[Santé publique] Valoriser la recherche au profit de la lutte contre les maladies rares

[Santé publique] Valoriser la recherche au profit de la lutte contre les maladies rares

Au Québec, 700 000 personnes sont atteintes de maladies rares, nous apprend le Regroupement québécois des maladies orphelines (RQMO). Devant le besoin criant de données probantes, il exhorte les décideurs à agir pour faire avancer la recherche et mener une réelle étude épidémiologique.

Un problème d’ampleur nationale

Une maladie dite « rare » ou « orpheline » en est une qui « touche un faible pourcentage de la population, limitant ainsi la recherche, l’expertise clinique et l’accès des patients à des options de traitement efficaces », explique l’entreprise pharmaceutique Médunik Canada, précisant qu’ « aujourd’hui, seulement 60 % des traitements pour les maladies rares entrent au Canada, et la plupart sont approuvés jusqu’à six ans plus tard qu’aux États-Unis et en Europe ».

Mais lorsque pris en considération dans leur globalité, ces échantillons individuels de population forment une communauté importante, démontrant l’ampleur d’un problème qui, à bien y réfléchir, concerne beaucoup de Canadiens.

2/3, c’est la proportion des cas infantiles de maladies rares au Canada

– Canadian Organization for Rare Diseases (CORD)

La Canadian Organization for Rare Diseases (CORD) rappelle que les deux tiers des cas de maladies rares touchent des enfants, ayant de graves répercussions sur leur vie au quotidien ainsi que sur celle de leur entourage, en plus d’entraîner des conséquences d’ordre socioéconomique à l’échelle nationale, d’où l’urgence pour la santé publique d’y trouver des traitements efficaces.

Rappelons que l’un des éléments clés pour informer et éduquer les professionnels de la santé quant aux maladies est l’élaboration et la mise en œuvre de guides de pratique clinique (GPC) afin d’encadrer leur traitement et d’émettre des recommandations quant à la prise en charge des patients atteints. Exigeant de se fonder sur beaucoup de ressources et de données probantes, la plupart des GPC élaborés portent sur les maladies communes. Le développement de ceux portant sur les maladies rares se heurte ainsi aux limites des connaissances et de l’expertise des spécialistes, ainsi qu’à l’hétérogénéité des patients atteints.

PUBLICITÉ

Un sondage réalisé en 2010 par le RQMO auprès de 300 répondants québécois révèle qu’obtenir le bon diagnostic peut prendre jusqu’à dix ans pour 18 % des patients, cinq ans ou plus pour 27 % des patients, et trois ans pour 37 % des patients. On indique également que 30 % d’entre eux doivent consulter jusqu’à cinq médecins avant d’être fixés, illustrant l’importance de faire avancer les connaissances sur les diverses maladies rares et orphelines, en favorisant les échanges entre les malades et les chercheurs, ce qui s’inscrit dans la mission du RQMO.

Au chapitre des maladies rares neuromusculaires

Il existe plusieurs maladies rares propres au domaine neuromusculaire et aux ataxies. (Photo : Marcus Aurelius / Pexels)

« On finit par se rendre compte du fait que ça touche beaucoup de gens. Nous connaissons tous quelqu’un de notre entourage ou de notre famille touché par une maladie rare », de remarquer, en entrevue avec CScience, le Dr Bernard Brais, neurologue et directeur du Groupe des maladies neurologiques rares.

« On finit par se rendre compte du fait que ça touche beaucoup de gens. Nous connaissons tous quelqu’un de notre entourage ou de notre famille touché par une maladie rare. »

– Bernard Brais, neurologue et directeur du Groupe des maladies neurologiques rares

Il se consacre au domaine des maladies neuromusculaires et des ataxies, à la fois comme chercheur et comme clinicien, dans l’environnement du diagnostic, de la prise en charge multidisciplinaire et du suivi, et se spécialise également dans la transition de l’enfant à l’adulte. Il rappelle qu’ « une ataxie est principalement un problème de coordination en lien avec le développement du cervelet, pouvant être causé par toutes sortes de lésions. La plus connue est celle qu’entraîne l’intoxication à l’alcool, mais plusieurs ataxies relèvent de problèmes de naissance. » Le Dr Brais mentionne l’ataxie de Friedreich, « sans doute la plue connue, et dont le gène a été identifié en 1996 ». Elle touche près de 1 000 Canadiens, et 1/30 000 personnes en Europe.

Le Dr Bernard Brais. (Photo : McGill)

« L’ataxie de Friedreich (AF) est une maladie neuromusculaire héréditaire et dégénérative caractérisée par une dégénération spinocérébelleuse (une maladie des voies allant du cervelet à la moelle épinière). Elle débute le plus souvent pendant l’enfance, généralement entre cinq et 18 ans (bien que l’on puisse trouver des cas chez des plus jeunes et certains adultes). L’AF apporte un handicap progressif associé à des troubles moteurs et à un problème cardiaque (…) Bien qu’elle soit héréditaire, elle n’est pas toujours présente à chaque génération. Un porteur du gène est asymptomatique et il y a 25 % de chances que son enfant soit atteint de l’AF (…) En raison de l’évolution de la maladie, généralement entre huit et dix ans après le premier signe de symptômes, la personne touchée devra utiliser un fauteuil roulant pour pallier son incapacité à marcher », indique l’Association Ataxie Canada.

Commencer par la sensibilisation

Les téléthons, les témoignages de vedettes, sinon de militants dont l’engagement marqué les a ensuite propulsés au rang de célébrités, contribuent grandement à faire rayonner la cause des maladies rares. « Pensons à des personnalités comme Claude Saint-Jean, fondateur de l’Association canadienne des ataxies familiales en 1972, lui-même atteint de l’ataxie de Friedreich, aujourd’hui décédé. Il se promenait partout, participait aux téléthons, était de toutes les tribunes, comme d’autres patients qui ont vraiment aidé à personnifier les maladies rares pendant des décennies au Québec », amène le Dr Brais.

« Issus de presque toutes les spécialités, les cardiologues, néphrologues, pneumologues, immunologues, neurologues et microbiologistes, par exemple, développent de vraies expertises cliniques en maladies rares propres à leurs domaines respectifs. »

– Bernard Brais, neurologue, directeur du Groupe de recherche sur les maladies neuromusculaires de l’Institut neurologique de Montréal et membre du Centre de l’ataxie du CHUM

Claude Saint-Jean. (Photo : archives)

Il pense aussi que les médecins spécialistes jouent un rôle d’innovation et de sensibilisation non négligeable, en ce qu’ils développent une rare expertise, ce qui en fait également de précieux atouts et de bons porte-paroles : « Issus de presque toutes les spécialités, les cardiologues, néphrologues, pneumologues, immunologues, neurologues et microbiologistes développent de vraies expertises cliniques en maladies rares, propres à leurs domaines respectifs. Ils peuvent aussi s’avérer d’excellents ambassadeurs pour la cause. »

Parmi les formes d’ataxies les plus médiatisées, on compte l’ataxie spastique Charlevoix-Saguenay (ARSACS), qui touche les nerfs périphériques ainsi que le cervelet. « Des cas d’ataxie de Charlevoix-Saguenay se retrouvent dans plusieurs régions du Québec et non seulement au Charlevoix/Saguenay/Lac-Saint-Jean », précise le Dr Brais, qui suit plus de 35 cas à Montréal. « Plus d’une centaine de patients sont suivis dans la région de Québec. On parle alors de maladies qui sont visibles et perceptibles, contrairement à celles comme la fibrose kystique ou encore l’hémophilie, ce qui affecte d’autant plus le quotidien des patients. »

Investir dans la recherche et améliorer les diagnostics

ADN (Photo : Braňo / Unsplash)

Lorsqu’on lui demande si l’on devrait en faire davantage pour investir dans la recherche et la mise en place de ressources pour la population directement touchée par les maladies rares, le neurologue précise qu’ « Il y a différents niveaux de besoins. Celui qui est le plus criant se rapporte aux personnes dont on sait qu’elles sont atteintes d’une maladie rare, sans toutefois que l’on sache laquelle ou que l’on soit certain de son diagnostic. Ces patients, que l’on peut qualifier d’ ‘orphelins’, sont ceux qui souffrent probablement le plus, et que le système a le plus de difficulté à desservir, en plus de leur paraître d’autant plus rébarbatif et incommodant. »

Le RQMO distingue trois groupes de patients n’ayant pas obtenu le bon diagnostic. Les « pas encore diagnostiqués » sont « les patients qui ont peut-être une maladie rare connue, mais qui n’ont pas été orientés vers le service approprié pour en faire le diagnostic », ou qui « ont une présentation clinique inhabituelle de la maladie », sinon « présentent des symptômes non spécifiques communs qui sont trompeurs ».

Les patients « sans diagnostic » ont quant à eux passé tous les tests imaginables, mais souffrent d’une maladie qui n’a pas encore été caractérisée et qui ne peut être décelée au travers des processus et ressources existants. « Certains obtiennent un diagnostic grâce à l’utilisation de nouveaux tests (par exemple, dans le cadre de recherche en génétique avec l’utilisation du séquençage de l’ADN exomique ou génomique). » Le séquençage du génome est un test complet qui permet de détecter presque toutes les variations de l’ADN d’un génome, et de diagnostiquer la plupart des maladies de la base de données dont on connaît actuellement l’origine génétique, incluant la fibrose kystique, la dystrophie musculaire de Duchenne, l’hypercholestérolémie familiale, l’hémophilie A, le syndrome de Lynch, le syndrome de Marfan et la néoplasie endocrinienne multiple.

Enfin, les personnes recevant un « diagnostic ambigu » sont celles à qui l’on a suggéré la probabilité qu’elles aient « une maladie connue X » ou une « maladie X atypique », ou bien pour lesquelles on hésite entre deux diagnostics définitifs.

Des retombées pour la société à plus grande échelle

Les frères Jacques et Jean-Marc Forest en 1988. (Photo : site web de la STM)

Le Dr Brais rappelle que le fait de faire rayonner la cause des maladies rares et d’encourager leurs associations peut avoir des retombées positives insoupçonnées pour une communauté plus large. « Par exemple, on pense toujours au transport adapté comme d’un service qui s’adresse aux gens qui ont un handicap, sans se dire que bon nombre d’entre eux doivent leur handicap à une maladie chronique rare plutôt qu’à une condition acquise ou à un accident. Mais rappelons que le premier service de transport adapté au Québec a été fondé par Jacques et Jean-Marc Forest, deux frères qui étaient tous deux atteints d’amyotrophie spinale. »

La place de la recherche dans la stratégie gouvernementale

« Il existe, en effet, un certain nombre de groupes de recherche qui ont su développer localement une expertise et des activités, tout en ayant des retombées à l’échelle internationale. Toutefois, en ce qui concerne les maladies rares, le paysage de la recherche au Québec demeure en manque de structure intégrée cohérente permettant une coordination globale de ces activités », précise le gouvernement du Québec dans son Plan d’action en maladies rares, dévoilé en mai dernier.

« (…) en ce qui concerne les maladies rares, le paysage de la recherche au Québec demeure en manque de structure intégrée cohérente permettant une coordination globale de ces activités. »

– Plan d’action en maladies rares du gouvernement du Québec

Budgété à 17,2 M $ et s’échelonnant sur quatre ans, il prévoit notamment la promotion de la recherche, de l’innovation et de la collecte de données, au travers d’un réseau de recherche sur les maladies rares, de la mise en place d’une première base de données de recherche unique regroupant les registres et les bases de données relatives aux principales maladies rares, et la mise en place de biobanques associant produits biologiques, données génétiques et données issues des registres.

« Comprenant les établissements de santé, les centres de références en maladies rares, les milieux universitaires, l’industrie biotechnologique et les associations de patients, cet écosystème permettra à l’ensemble de la population de bénéficier de retombées sans précédent au pays. La recherche sur les maladies rares pourra profiter des investissements présentés dans la Stratégie québécoise des sciences de la vie 2022-2025 (SQSV), dans la Stratégie québécoise de recherche et d’investissement en innovation 2022-2027 (SQRI2) et dans le Plan pour mettre en œuvre les changements nécessaires en santé. »

28 octobre : la journée éducative du RQMO

La Journée éducative du RQMO se tiendra le 28 octobre. (Photo : canadahelps.org)

Afin d’aborder les grands axes du Plan d’action, et de réfléchir aux avancées espérées pour les quatre prochaines années, le RQMO tiendra sa Journée éducative, le 28 octobre prochain de 9h00 à 16h00, en mode hybride.

Animés par le directeur général du RQMO, Jonathan Pratt, les échanges se tiendront en présentiel, en direct de l’Hôtel OMNI (Salle Pierre-de-Coubertin), au 1050, rue Sherbrooke Ouest, à Montréal, ainsi que simultanément en ligne.

Pour y participer, il suffit de s’y s’inscrire sur canadahelps.org, en remplissant le formulaire à cet effet.

À voir également :

Dossier spécial consacré aux maladies rares

[Dossier] Maladies rares : Et si ça vous arrivait ?

Crédit Image à la Une : Xavier Mouton Photographie et CDC / Unsplash