Sébastien Massy est à 39 ans un “vieux-jeune” stagiaire en informatique. Il travaille sur l’intégration de solutions d’intelligence artificielle chez Hydro-Québec depuis un peu plus d’un an. Un informaticien peu commun dans bien des aspects. Rencontre.
Avant d’arriver à l’informatique, Sébastien Massy a eu plusieurs vies. Même s’il a commencé à programmer à l’âge de 8 ans sur les genoux de son père, il a débuté sa carrière en tant que traducteur de russe. Puis a occupé les postes de rédacteur, ingénieur du son et webmaster. C’est sur le tard qu’il est revenu à l’informatique. Stéphane Dellacherie supervise les projets d’IA sur lesquels Sébastien travaille chez Hydro-Québec. Il ne tarit pas d’éloges sur cet élément “brillant” : « C’est l’un des meilleurs informaticiens que j’ai rencontré dans mes 20 ans de carrière. » Dernière particularité de Sébastien Massy et pas des moindres. Il est non-voyant depuis l’âge de 2 ans. Dans cet entretien accordé à Cscience IA, il nous partage son expérience en tant qu’informaticien et non-voyant dans le domaine de l’IA.
Pouvez-vous nous expliquer comment vous travaillez sur vos équations ?
Il y a toujours une certaine visualisation que ce soit des équations ou des données. La visualisation avec des graphiques ça ne fonctionne pas vraiment pour nous, par exemple. Il est possible de regarder une série de chiffres et de voir la courbe que ça génère, sans avoir une image devant soi. C’est la même chose pour les équations, il y a une certaine complexité, mais souvent, malheureusement, le langage mathématique peut être un peu visuel. C’est définitivement un problème. Le fait de lire, et souvent d’en créer une représentation mentale, c’est plus rapide et plus simple que d’essayer d’utiliser des outils créés par des gens qui sont voyants. Parce que là, ça peut être plus un handicap qu’autre chose.
Comment vous modélisez ces équations ?
C’est malheureusement la partie qui est difficile à traduire, parce qu’il n’y a pas vraiment d’analogies dans l’univers quotidien. J’ai tendance à penser en trois dimensions, avec des couches qui s’influencent chacune l’une envers l’autre. Moi quand j’imagine ça, je les imagine toutes comme étant reliées. Je fonctionne pareil avec des diagrammes de bases de données, des relations de données, des choses comme ça. Je les ai toujours modélisés en trois dimensions. Mais à moins que je m’assoie pour une numérisation de mon cerveau, je ne crois pas qu’on aura vraiment de façon de traduire ça. Du fait que j’ai perdu la vue à l’âge de 2 ans, je n’ai pas vraiment de références visuelles. Mais je pense que ça laisse certaines traces dans la façon dont je visualise le monde.
Est-ce que votre particularité a amené des difficultés dans votre travail ?
Il y a toujours des difficultés qui peuvent arriver, mais en terme de parcours de travail pas tellement. Dans le sens où, moi je travaille avec de la donnée et du code; donc ce sont des choses qui n’amènent pas tellement de difficultés parce que ce sont seulement du texte et des chiffres. C’est plus facile pour traduire où transposer l’information.
Est-ce que les employeurs sont frileux à l’idée d’embaucher un travailleur non-voyant?
Oui, les employeurs sont assez frileux parce qu’il y a une tendance à la crainte. C’est sûr que ce sont des choses auxquelles on doit faire face sur le marché du travail. C’est quelque chose que j’ai vécu auparavant, surtout en tant que pigiste, car les gens ont plus de questions que d’autres choses. Par contre, j’ai été très chanceux parce que dans mon embauche chez Hydro-Québec, je n’ai pas eu ce problème-là.
Comment pourrait-on aider les non-voyants à mieux s’intégrer dans une entreprise ?
La priorité c’est d’informer les gens et les exposer à ce type de choses pour que cela ne soit pas si mystérieux lorsqu’ils rencontrent une personne qui a des différences. Il y a toujours un grand travail à faire de ce côté-là.
Quels conseils donneriez-vous à un jeune non-voyant qui hésiterait à se lancer dans les nouvelles technologies ?
Je dirais que c’est une merveilleuse opportunité parce que souvent, si on fait fi des interfaces, etc, une fois que l’on rentre dans la technologie en elle-même, les barrières n’existent pas vraiment; parce que ce sont juste des chiffres, du code et de la donnée. Ce sont des choses très agnostiques. Elles n’apportent pas les obstacles qu’on rencontre dans la vie quotidienne. Le monde a été façonné selon les attentes de la majorité mais lorsque on tombe dans ce qui est la vérité, qui va au-delà des interfaces banales que l’on crée que ce soit des interfaces logiciels ou des interfaces comme des poignées de porte, cela n’a pas d’importance. C’est vrai dans le numérique et l’informatique, mais cela peut être aussi vrai pour la physique ou l’astrophysique ou certaines autres sciences. Parce qu’on transcende et on retrouve une autre réalité où en fait ces limitations-là n’existent pas vraiment.