L’équipe du Pr Alexandre Blais de l’Institut Quantique de l’Université de Sherbrooke (IQ) et des chercheurs de l’ETH Zürich, dirigés par le Pr Andreas Wallraff, ont publié le 7 décembre un article intitulé Realizing Repeated Quantum Error Correction in a Distance-Three Surface Code. Leurs travaux constituent une étape décisive vers la réalisation de l’ordinateur quantique.
En 40 ans, la puissance de calcul d’une puce a été multipliée par plus d’un million ! Avec le futur ordinateur quantique, une nouvelle ère informatique se profile.
SUPERPUISSANCE DE L’ORDINATEUR QUANTIQUE
Leur superpuissance de calcul pourra, en effet, effectuer rapidement des simulations numériques demandant, à ce jour, des mois de travail aux ordinateurs classiques.
Parmi les applications escomptées, la simulation ultrarapide du comportement des interactions moléculaires les plus complexes et en bout de course la composition accélérée de nouveaux médicaments, par exemple.
L’équipe de l’ETH Zürich, conduite par le Pr Andreas Wallraff, et le groupe du Pr Blais de l’Institut Quantique de l’Université de Sherbrooke, composée d’Élie Genois, Catherine Leroux et Agustin Di Paolo, ont donc fait un pas considérable vers ce Saint Graal de l’innovation informatique, à savoir l’ordinateur quantique.
« L’étape que nous franchissons maintenant est significative. (…) C’est la première fois qu’on réussit à implémenter au laboratoire ces principes théoriques sur un ordinateur quantique basé sur les supraconducteurs. » – Pr Alexandre Blais, Directeur scientifique, Université de Sherbrooke
… AVEC PLUS D’ERREURS
De fait, les ordinateurs quantiques ont tendance à faire beaucoup plus d’erreurs que les ordinateurs actuels. Les codes correcteurs sont omniprésents en informatique classique : ils exploitent la redondance de l’information afin de détecter et corriger les erreurs qui peuvent survenir. Préserver l’intégralité de l’information est essentiel à la fiabilité de systèmes de communication. Par conséquent, le correcteur d’erreurs quantique s’avère être un élément clé à la conception d’un ordinateur quantique fiable et performant.
Jusqu’à présent, de multiples efforts ont été déployés dans l’amélioration de la conception des bits quantiques, appelés qubits et la fidélité de leurs opérations.
« On a vu l’apparition de processeurs quantiques supraconducteurs à grande échelle avec plusieurs dizaines de qubits chez Google par exemple, explique Catherine Leroux, membre de l’équipe de Pr Blais. Ce tour de force d’ingénierie a, entre autres, permis de démontrer la suprématie quantique : les algorithmes seraient exponentiellement plus rapides avec un ordinateur quantique. »
UN CODE CORRECTEUR PLUS QUE NÉCESSAIRE
Pourquoi une telle rapidité ? Un phénomène très singulier de la mécanique quantique, l’enchevêtrement, permet aux qubits de subsister à la fois dans les états 0 et 1.
Cette superposition est toutefois très fragile aux erreurs dues, par exemple, aux fluctuations des champs électromagnétiques et de la température.
Un code correcteur est donc nécessaire afin de préserver l’information quantique et d’améliorer la fidélité des opérations, plus particulièrement quand elles gagnent en complexité.
Un code de correction d’erreurs quantiques est, de fait, le chemin vers des calculs tolérants aux fautes, et donc vers un ordinateur quantique qui, non seulement, permettra un gain exponentiel en ressources, mais sera aussi plus fiable.
« Il existe différents types de code de correction d’erreurs quantiques, dont les codes bosoniques — les codes de “chat” et “GKP” ont été expérimentalement démontrés, entre autres, à Yale récemment — et les codes de surface — pour lequel nous avons réalisé la première démonstration expérimentale. » – Catherine Leroux, membre de l’équipe du Pr Blais, université de Sherbrooke
En parvenant à tester un code de surface [code de correction d’erreurs qui utilise des caractéristiques topologiques d’un réseau de qubits pour protéger des erreurs], les chercheurs permettent ainsi de mieux assurer la fiabilité de ces futurs ordinateurs dont la technologie est basée sur des circuits supraconducteurs.
La méthode utilisée est la suivante : les scientifiques ont utilisé un circuit supraconducteur composé de 17 qubits, et ont encodé de l’information quantique. Ils ont ensuite appliqué jusqu’à 16 rondes de correction d’erreurs.
Le but étant de répliquer le plus fidèlement possible les résultats expérimentaux obtenus par le groupe du Pr Andreas Wallraff afin de bien capturer les mécanismes physiques en jeu et éventuellement, d’améliorer le processeur quantique pour obtenir une meilleure performance pour le code de correction d’erreurs.
« Plus les simulations sont fidèles à l’expérience, plus il est possible de faire des prédictions éclairées sur l’amélioration de ces processeurs », analyse Catherine Leroux.
« Pour modéliser les qubits, on a mis en place un modèle numérique qui nous permet de les simuler efficacement. Cette méthode fournit beaucoup d’informations sur comment le code correcteur devrait se comporter et nous permet de vérifier si l’on est en mesure de comprendre ce qui se passe dans l’expérience. » – Élie Genois, membre de l’équipe du Pr Blais, Université de Sherbrooke
À l’évidence, un pas important a été franchi pour améliorer chacune des composantes de cette technologie révolutionnaire, mais il reste, aux dires des protagonistes eux-mêmes, à obtenir « une meilleure mesure et un contrôle plus précis des qubits. Toutefois, ce modèle [les] guide vers les prochaines décisions expérimentales et permet de voir où il faut investir pour obtenir le gain le plus important ».
Par ailleurs, les membres de l’équipe restent lucides. « L’ordinateur quantique [universel] n’est pas pour demain et il reste encore beaucoup de travail à faire, et chaque étape franchie nous rapproche de l’objectif. La réalisation de ce code de surface était un passage obligé pour le domaine », a ainsi précisé, pour sa part, le Pr Blais de l’IQ, détenteur de la médaille Rutherford de la Société Royale du Canada.
Il existe déjà, aujourd’hui, des ordinateurs quantiques exploités majoritairement dans le milieu universitaire qui aident, par exemple, à analyser le spectre d’énergie de petites molécules.
Néanmoins, un ordinateur quantique à usage universel qui permettrait de factoriser de grands nombres n’est pas encore né.
« Il est par contre évident que cette première démonstration expérimentale d’un code de corrections d’erreurs de surface nous a nettement rapprochés de cet objectif, assure Catherine Leroux. L’addition d’un tel code améliorait significativement la performance des algorithmes réalisés sur le processeur de Google, par exemple. Le premier pas étant fait, on devrait voir dans les cinq prochaines années d’autres démonstrations de correction d’erreurs à grande échelle. Par ailleurs, il existe une dérivée du code de surface appelé XZZX qui permettrait, au niveau théorique, en parallèle avec le qubit de chat d’atteindre une efficacité de correction d’erreurs similaire à ce qui est obtenu classiquement. Lorsque ce niveau sera atteint, nous serons très proches dans le temps d’un ordinateur quantique fonctionnel. »
Crédit photo : IQ de l’UdeS