Une jeune pousse française propose de créer un outil d’aide aux devoirs pour les enfants dyslexiques grâce à l’intelligence artificielle (IA) qui saurait s’adapter à leurs besoins et qui pourrait même évoluer au cours de leur apprentissage. Des experts en neuropsychologie et en orthophonie se disent intrigués par le concept, mais font aussi part de leurs inquiétudes.
Dyslex’IA, c’est l’initiative de trois jeunes diplômés : deux ingénieurs en informatique et un entrepreneur. Face à l’enjeu de la dyslexie chez les enfants d’âge scolaire, ceux-ci ont décidé de prendre part au défi d’« AI for Tomorrow », une sorte de projet incubateur dont l’objectif est de propulser des idées qui « changeront le monde de demain » grâce à l’IA.
Les collaborateurs ont donc entrepris de créer une plateforme de traitement de langage naturel, capable de numériser des documents et d’identifier le texte pour ensuite l’adapter aux difficultés de lecture des élèves.
L’algorithme pourrait par exemple identifier des mots ou des syllabes qui posent des embuches à la compréhension du texte et les retranscrire avec une couleur, une police ou un espacement allégeant la charge mentale des jeunes dyslexiques, explique Amélie Jariel, une des cofondatrice du projet.
Les parents et professeurs bénéficieraient ensuite d’un suivi et d’une analyse des progrès de l’enfant. Tout cela serait rendu possible avec l’apport d’un algorithme d’IA capable de s’adapter aux besoins de chaque enfant.
« Il y a autant de sortes de dyslexie qu’il y a de dyslexiques » – Amélie Jariel, cofondatrice de Dyslex’IA
Encore à l’étape de prototype, l’innovation vise les enfants dyslexiques aux niveaux scolaires CP, CE1 et CE2, soit de 6 à 9 ans.
« Nous avons déjà effectué une trentaine d’heures d’entretiens avec 25 personnes que nous avons contactées sur Facebook et nous collaborons avec la Fédération Française des Dys », souligne Mme Jariel.
Cette dernière indique que son équipe souhaite pouvoir faire des tests à grande échelle de sa plateforme cet automne.
UNE IDÉE INTÉRESSANTE AVEC DE GROS BÉMOLS
Si le concept de Dyslex’IA pique la curiosité des spécialistes en neuropsychologie, ceux-ci croient qu’il laisse aussi beaucoup de questions en suspens.
« Le potentiel de l’IA de pouvoir s’adapter aux besoins des enfants est intéressant. Identifier les types d’erreurs commises à la lecture et à l’écriture en temps réel serait certainement utile », affirme Elisabeth Perreau-Linck, neuropsychologue et membre du conseil d’administration de l’Association québécoise des neuropsychologues.
Si cette dernière voit généralement d’un bon œil l’utilisation d’outils technologiques pour aider les enfants atteints de troubles de l’apprentissage, elle a toutefois des doutes quant à leur efficacité en l’absence de données probantes.
« Toutes les innovations ne sont pas nécessairement bénéfiques. Un modèle scientifique pour en démontrer les bons effets est nécessaire avant de s’avancer sur leurs vertus » – Elisabeth Perreau-Linck, neuropsychologue
L’orthophoniste Anaïs Deleuze abonde dans le même sens. « Il ne faut pas tomber dans le solutionnisme technologique », souligne-t-elle.
Cette dernière s’inquiète des enjeux déontologiques et éthiques liés à la création d’une solution commerciale à partir d’un bassin d’enfants dyslexiques utilisés en tant que cobayes.
De plus, la solution proposée, qui consiste à modifier la couleur, la police ou l’espacement du texte, n’a rien de nouveau et a ses limites.
« Plusieurs outils similaires existent déjà en ce sens. Ils s’agit d’outils utiles, auquel nous faisons appel, mais ils servent à soulager les difficultés de lecture, ce ne sont pas des moyens thérapeutiques (qui soignent la dyslexie) mais plutôt compensatoires », insiste l’experte.
Enfin, en matière de suivi et d’adaptation, l’orthophoniste est sceptique. « Je ne vois pas comment concrètement l’IA pourra accomplir cela. Pour vous donner une idée, lorsque j’évalue les besoins spécifiques d’un enfant dyslexique, il faut passer au travers d’une série de tests qui peuvent prendre jusqu’à cinq heures », soutient-elle.
L’implication d’experts en sciences cognitives en amont devrait être de mise dans ce genre de projet, s’accordent à dire les deux expertes.
C’est quoi la dyslexie?
Il s’agit d’un trouble d’apprentissage spécifique, qui peut affecter l’assemblage des mots ou la compréhension lexicale de ceux-ci.
La neuropsychologue Elisabeth Perreau-Linck explique : « Cela se manifeste par une difficulté à apprendre le « code » qui nous permet de faire la lecture et l’écriture. »
Il existe trois grandes formes de dyslexies. La dyslexie phonologique, qui est présente lorsqu’il y a atteinte à la voie d’assemblage, soit la voie qui nous permet de faire la correspondance entre les graphèmes que l’on voit (les lettres) et les phonèmes que l’on entend (le son des lettres et des syllabes).
La dyslexie lexicale est un trouble au niveau de la voie d’adressage, soit la capacité de reconnaître globalement les mots, qui permet d’avoir une lecture rapide et fluide.
Enfin, la dyslexie mixte est présente lorsque les deux voies d’accès à la lecture sont touchées.
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