Imaginez qu’un outil innovant, capable de projeter votre entreprise dans trois ou cinq ans, vous permette d’anticiper vos besoins en matière de ressources humaines et de main-d’œuvre. Que diriez-vous d’optimiser votre stratégie de recrutement et votre gestion des talents, selon une vision à long terme ? C’est ce que permet aujourd’hui une méthode alliant intelligence artificielle (IA) et science des données.
Selon les résultats d’un sondage mené en mai 2022 par l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés (CRHA), les solutions en IA pour contrer la pénurie de main-d’œuvre seraient sous-exploitées. En effet, pas moins de 60 % des membres du CRHA auraient répondu que « leur organisation n’a pas intégré ou ne compte pas intégrer l’IA dans leur quotidien, ou que la situation ne s’applique pas ». Ce constat s’expliquerait par un manque de ressources financières et humaines (dans 47 % des cas), de connaissances en technologies liées à l’IA (37 %), ou de temps (19 %).
Étant toutefois nombreuses à solliciter l’aide d’experts-conseils en matière de recrutement, les entreprises se montrent de plus en plus ouvertes à profiter des dernières innovations en matière d’intelligence artificielle, dont les solutions devraient voir leur marché croître en 2023, notamment grâce au déploiement des technologies de la 5G et à l’augmentation de leur capacité à traiter une grande quantité de données. Mais à défaut de ne servir qu’à automatiser les tâches chronoghages et quotidiennes, l’IA peut aussi vous aider à planifier et élaborer une stratégie de recrutement en fonction des besoins anticipés de l’avenir.
Une solution pour optimiser le recrutement
Patrick Robert est associé et chef des opérations de Sia Partners au Canada. CScience s’est entretenu avec lui au sujet de la méthode développée par son entreprise, soit celle de la gestion prévisionnelle de la main-d’œuvre. Cette méthode s’appuie sur l’intelligence artificielle et la science des données pour permettre aux organisations publiques et parapubliques, ainsi qu’aux entreprises de toute taille, d’anticiper leurs besoins de main-d’œuvre sur le long-terme, et d’orienter leur stratégie d’affaires, de recrutement et de croissance.
« Cette méthode (…) allie intelligence artificielle et science des données pour permettre aux organisations (…) d’anticiper leurs besoins de main-d’œuvre sur le long-terme, et d’orienter leur stratégie d’affaires, de recrutement et de croissance. »
C’est en vendant la compagnie qu’il a co-fondée, E3 Services Conseils, au président de Sia Partners, Matthieu Courtecuisse, que M. Robert a pu monter une équipe de conseil en transformation organisationnelle à Montréal, accompagnant de grandes organisations québécoises dans leur opération de projets transformationnels.
Un accompagnement personnalisé, fondé sur une expertise sectorielle
« L’idée était de mettre en place une équipe de conseil ayant des compétences en intelligence artificielle et un centre de design créatif dans la métropole. Dans les dernières années, l’entreprise a pris de l’expansion vers l’ouest du pays. On a fait des acquisitions stratégiques dans le secteur financier, à Toronto, Calgary, etc. »
« Les firmes d’experts-conseil offrent divers types de services. Nous, ce qu’on veut, c’est être un catalyseur de changement. Pour être catalyseur de changement, il faut avoir des conseillers experts dans les métiers d’affaires de ses clients. C’est pour cela que nous ciblons quatre secteurs d’expertise profonde et que nos équipes se spécialisent en finances, énergie, détail et gouvernements », explique M. Robert.
« Notre marché s’étend partout où il y a des talents et des métiers, et ne se limite pas à une seule industrie. Toutefois, plus on a accès aux données publiques d’un secteur, plus il y aura de matière favorable à une gestion prévisionnelle. »
En quatre ans, SIA Partners a vu son chiffre d’affaires quintuplé, passant de 8 M$ à 45 M$.
En quelques années, l’entreprise a vu son chiffre d’affaires quintuplé. « J’ai opéré toute une transformation, ici à Montréal, en quatre ans. Notre organisation roulait sur 8 M$ de chiffre d’affaires à l’époque. On parle maintenant de 45 M$. »
« Les sociétés ont enfin compris, depuis la pandémie, l’impact d’une pénurie de main-d’œuvre sur leur capacité d’exercer leur stratégie. On avait pourtant été prévenus de l’exode des talents en lien avec les baby-boomers. Il aura fallu deux décennies et une crise mondiale pour que cela devienne la priorité des organisations », relève M. Robert.
Il estime qu’avant, la stratégie des organisations reposait essentiellement sur l’amélioration continue, misant sur les efforts de recrutement, les facteurs d’attraction-rétention et les sondages de satisfaction. « Ça a son effet, mais surtout pour colmater les brèches. Aujourd’hui, on se rend compte que pour opérer de réelles transformations, il faut adopter une vision à plus long terme, et prévoir sa situation trois à cinq ans à l’avance. Pensons aux organisations rencontrant des défis géographiques ou des contraintes importantes relatives à leur secteur d’activité ou à des syndicats. » C’est là qu’intervient la gestion prévisionnelle de la main-d’œuvre…
Collecte de données et mesure de variables clés
Mais avant de parler d’un outil, il faut lancer une démarche : « On accompagne le client dans ce processus, en déterminant quels métiers et talents seront nécessaires à l’exécution de son plan stratégique. Puis, on détermine où le client se situe par rapport à cet objectif, et quelles sont ses capacités de faire grandir ces talents au sein de son organisation. Ce n’est qu’après qu’on introduit l’outil. »
« Nous avons conçu un outil qui, s’appuyant sur l’IA, collecte une foule de variables économiques significatives dans le marché qui nous intéresse, telles que la disponibilité de la main-d’œuvre dans un secteur donné, afin de faire une prévision sur les besoins qui se déclareront en termes de main-d’œuvre. De là, des recommandations seront faites en fonction du portrait de variables analysées. Faudra-t-il, par exemple, transformer du personnel que l’on a déjà ? Faire des alliances avec les universités pour la création de programmes particuliers ? Importer de la main-d’œuvre étrangère qualifiée ? On peut même s’amuser en faisant varier ces facteurs, et générer plusieurs scénarios hypothétiques. C’est ainsi que l’on produit une courbe d’offre et de demande, et que l’on établit, en fonction des hypothèses posées, le point d’équilibre afin de mieux y adapter sa stratégie. Ça ne vous donnera pas le nombre exact de talents à recruter. Par contre, ça vous en donnera une bonne idée et, surtout, vous permettra d’identifier les métiers clés sur lesquels concentrer vos énergies organisationnelles. »
La source des données
Mais dans quelles banques ou sources cet outil puise-t-il ses données ? « Il y a une série de données publiques qui sont fournies par divers organismes et qui démontrent l’évolution des talents disponibles, selon différents secteurs d’économie, au Québec et à travers le monde. Les autres données proviennent de l’organisation cliente elle-même. Il faut donc réconcilier ces données avec celles de l’industrie, ce que nous attardons aussi à faire », d’indiquer M. Robert.
Des exemples concrets
Dans quel contexte peut-on déjà mettre cette solution à contribution ? Selon l’expert, dans toutes les situations où le manque d’effectifs et de gestion organisationnelle fait les manchettes : « le traitement des passeports, les problèmes dans le système de santé, le cafouillage avec Air Canada, etc. Le ministère de l’Emploi, notamment, fait une veille prospective sur l’évolution des emplois au Québec, et nous y avons contribué, notamment en collaborant pour établir les bases de son engin. »
Quant au prix d’un tel service, bien qu’il ne préfère pas donner de chiffre précis, M. Robert ne nie pas que l’investissement puisse être évalué à hauteur de six chiffres. La soumission devrait varier en fonction des besoins de gestion prévisionnelle de l’entreprise. Mais dans le calcul du retour sur investissement, le gain quant à la valorisation des données ne devrait pas être négligé, pense l’ambassadeur de Sia Partners. « Ce n’est vraiment pas aussi dispendieux qu’on le pense. C’est abordable, et accessible aussi bien aux sociétés publiques que privées. L’outil devient un élément de plus dans la boîte à outils des ressources humaines, pour accompagner l’organisation interne. »
Crédit Image à la Une : Alex Kotliarskyi, Pexels