Récemment, un article entièrement rédigé par un robot s’est hissé à la première place du site américain Hacker News, source d’information de référence en matière d’innovation de la Silicon Valley. Derrière cette supercherie: Liam Porr, étudiant en informatique à l’Université de Berkeley en Californie. Nous avons voulu en savoir plus.
Il aura dupé (presque) tout le monde. Le 19 juillet dernier, Liam Porr a une idée : publier un article entièrement écrit par un robot. Son nom: GPT-3.
Un puissant modèle de traitement du langage naturel
Développée par l’entreprise américaine OpenAI, la société d’Elon Musk, l’API de GPT-3 a été initialement pensée et conçue pour être un modèle d’IA du langage. À ce jour, cette nouvelle technologie est uniquement accessible aux chercheurs même si OpenAI cherche à la commercialiser. Concrètement, elle est capable de rédiger un texte complet en se basant sur très peu d’instructions. En effet, il lui suffit d’un titre, et de deux ou trois phrases courtes (voire même seulement quelques mots-clés). Et en quelques secondes, elle écrit un article structuré et cohérent.
Un article détaillé de 1112 mots
Grâce à l’aide d’un autre étudiant, Liam Porr a pu avoir accès à cette interface. L’étudiant en informatique a alors fourni à GPT-3 un titre et une introduction à l’article qu’il souhaitait écrire. Ensuite, l’algorithme en a rédigé plusieurs versions. Poor n’a eu qu’à choisir celle qui lui convenait pour enfin la publier sur un faux blog sous un pseudo.
Résultat, un article détaillé de 1112 mots, comme s’il avait été écrit d’une main humaine. Intitulé « Vous vous sentez improductif ? Peut-être devriez-vous arrêter de trop réfléchir », le post est devenu viral en quelques heures.
Si quelques lecteurs ont deviné que l’article n’était pas l’oeuvre d’une plume humaine, l’illusion a en revanche été totale pour la grande majorité d’entre eux, jusqu’à ce que l’étudiant ne révèle la vérité quelques jours plus tard dans la revue « MIT Technology Review ».
Des progrès spectaculaires inquiétants
Une avancée significative dans le domaine de l’intelligence artificielle, qui peut effrayer, d’après Patrick White, professeur de journalisme à l’UQAM, spécialisé dans les nouvelles technologies de l’information : « La science évolue très très vite. L’accès à l’API du GPT-3 date de début juillet pour les chercheurs. Lui, en a profité pour montrer que l’IA a atteint certains sommets, et oui, ça peut faire peur d’une certaine manière ».
Toutefois, de telles IA vont avoir besoin d’apprendre des concepts éthiques et à se montrer responsable avant de pouvoir sortir des laboratoires de recherche.
Mais cette prouesse n’est pas vraiment une nouveauté dans le monde de l’information. Depuis des années déjà, Internet pullule d’articles écrits et mis en page par des robots.
« On voit que des plateformes comme MSN ont supprimé au cours des derniers mois des postes d’éditeurs, les personnes en charge du placement des nouvelles sur la page d’accueil de MSN Québec par exemple. On parle quand même de plusieurs dizaines d’emplois. Ces gens-là n’étaient pas des journalistes, mais c’est quand même des emplois dans le domaine de l’information qui ont été supprimés ».
Bientôt, des robots à la place des journalistes ?
Les journalistes sont-ils alors condamnés à être remplacés par des algorithmes? Certainement pas, pour Patrick White, pour qui la machine ne pourra jamais remplacer l’humain au sein d’une rédaction: « Je pense globalement, qu’au contraire, l’intelligence artificielle va aider le journalisme. Elle est par exemple, déjà très performante pour détecter les fake news et les deepfakes. Mais d’après les évaluations de tous les grands scientifiques, on prévoit que d’ici à cinq ans, l’IA ne pourra pas faire plus de 12 à 15% de l’ensemble des tâches journalistiques. Ces logiciels peuvent certes écrire des textes courts sur les résultats sportifs, ou les résultats boursiers, mais ils ne sont pas capables de faire des entrevues. (…) Alors oui, chapeau à ce jeune homme! Mais, cet article long et argumenté, n’est pas un article journalistique pour moi. Il peut tromper la majorité des lecteurs, mais lorsqu’on prend le temps de lire, c’est d’ailleurs ce qu’on demande aux gens d’aller plus loin que le titre et le premier paragraphe, on se rend bien compte qu’il a été écrit par un robot».
L’IA serait donc la clé pour se libérer de certaines tâches routinières, comme « c’est déjà le cas en ce moment dans certains médias. Au “Globe and Mail” par exemple, la mise en page des nouvelles sur le site internet est gérée par une IA qui s’appelle Sophi, mais il y a encore des centaines de journalistes et éditeurs qui travaillent à la rédaction. Au “New York Times”, ils sont 1700 et ils ont une IA qui fonctionne à temps plein pour eux, pareil chez Bloomberg ou Reuters où des milliers de journalistes travaillent ».