Au-delà du Net zéro : la finance sera-t-elle le catalyseur du changement? C’est la grande question posée au Sommet de la finance durable mené par Finance Montréal, les 18 et 19 mai derniers. Les banques, comme le Mouvement Desjardins, sont à la table!
Il faut savoir qu’à la Conférence de Glasgow sur les changements climatiques, les banques des pays signataires se sont effectivement engagées pour le « Pacte de Glasgow pour le climat » envers la neutralité carbone. Avec tous types d’institutions financières (assureurs, fonds de pension, gestionnaires d’actifs), elles ont fait un choix vert. Mais comment se manifeste cet engagement de la part de la Finance? À quoi renvoie ce qu’on nomme l’investissement durable?
Selon Florian Roulle, directeur principal, stratégie et partenariats et responsable finance durable chez Finance Montréal, « alors que les défis mondiaux de la durabilité deviennent de plus en plus interconnectés, la finance est dans une position unique pour agir en tant que catalyseur du changement systémique. »
LA CARBONEUTRALITÉ, LE NET ZÉRO, LE ZEN, ET LA DÉCARBONATION
Une carboneutralité signifie une économie qui n’émet pas de gaz à effet de serre. C’est l’équivalent du Net zéro et du Zen. La « décarbonation » est l’action de limiter ces gaz. Pour nuancer son obligation, la carboneutralité admet une certaine compensation carbone qui consiste soit en des mesures physiques, comme la plantation d’arbres, soit technologiques permettant la réduction des émissions.
« Nous devons passer d’un comportement négatif envers la nature, à un comportement positif. »
– Elizabeth Maruma Mrema, secrétaire exécutive à la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique
Or, la neutralité carbone paraît encore floue car elle est définie de plusieurs manières, avec différentes balises et peut laisser place à l’écoblanchiment. De plus, la neutralité carbone renvoie à des réalités plutôt disparates, selon les pays et les industries.
La neutralité carbone n’a véritablement de sens qu’à l’échelle de la planète, c’est la raison pour laquelle le milieu de la finance élabore des cadres internationaux afin d’orienter l’investissement en faveur d’une économie durable. Le GIEC (Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat), par exemple, fournit des évaluations quant aux changements climatiques.
De plus, « les grandes chaleurs vécues au Soudan, ces jours-ci, s’ajoutent à la crise du blé et affichent l’urgence planétaire d’agir pour le climat », précise Nisreen Elsaim, présidente du Groupe consultatif des jeunes sur le changement climatique au Cabinet du Secrétariat général de l’ONU.
Par ailleurs, Elizabeth Maruma Mrema, nous rappelle les enjeux majeurs de la biodiversité et la nécessité d’agir sur plusieurs fronts en matière d’écologie. Il faut prendre en compte 4 secteurs majeurs (la terre, la mer, l’atmosphère et l’eau potable) pour répondre aux enjeux critiques et complexes de la nature.
NORMES COMPTABLES INTERNATIONALES
L’IFRS (International Financial Reporting Standards) qui impose une transparence dans la divulgation a mis en place l’ISSB (International Sustainability Standards Board) afin de mesurer les résultats de la finance durable sur une base commune et de lutter contre l’écoblanchiment. D’ailleurs, Montréal accueillera prochainement un bureau de l’ISSB.
« La route est longue, mais nous avons les standards ! »
– Hugo Lacroix, surintendant, marchés de valeurs, Autorité des marchés financiers
Hugo Lacroix énonce alors les 3 principes clés, en faveur de l’intégration de ces normes, dans les plans de transition :
- Identifier l’engagement commun
- Calculer les impacts de la transition
- Se conformer aux normes canadiennes et internationales
En Europe, l’EFRAG (European Financial Reporting Advisory Group), est un autre régulateur possédant ses propres standards.
LES CRITÈRES ESG
Or, l’ISSB n’est pas le seul cadre commun auquel les institutions financières doivent se plier, les critères ESG font également office de régulation.
« Le secteur financier doit se mobiliser bien au-delà du Net zéro. »
– Florian Roulle, Finance Montréal
En effet, le secteur financier doit mesurer l’impact des activités d’une entreprise, non seulement sur l’Environnement, mais aussi sur la Société et la Gouvernance, tel que le recommande les critères financiers ESG. La finance responsable, devient la finance durable à travers ces critères.
Or, en investissant selon des normes ESG, les entreprises font face à de nouveaux risques. De surcroît, les PME ont de la difficulté à estimer ce qui sera demandé par les acteurs financiers. La plupart voient les nouvelles normes comme des contraintes additionnelles et ne sont pas en mesure d’en évaluer les bénéfices. Très peu d’entreprises sont en mesure de fournir un plan de décarbonation et même une comptabilisation de l’empreinte carbone. Or, elles manquent ainsi des opportunités d’affaires.
Alexandre Bernhardt, responsable mondial de la recherche sur le développement durable chez BNP Paribas, conseille alors d’éviter de recourir à la diversification des portefeuilles, afin de miser davantage sur l’engagement des tiers parties. Ceci permettra de faciliter l’intégration des PME.
Il faut établir un chemin clair et crédible avec des cibles basées sur la science et des données fiables et accessibles.
LA SCIENCE DES DONNÉES ET L’IA
Les données ESG sont considérées comme des données extrafinancières, mais elles sont de plus en plus recueillies par les investisseurs. Les grands groupes financiers fournissent désormais des données ESG, en plus des données financières traditionnelles.
De plus, les investisseurs calculent de plus en plus l’E-réputation grâce à une analyse globale des données, sur les réseaux sociaux par exemple. Grâce aux données extrafinancières, on peut mesurer la notoriété publique des investissements. On procède ici à une analyse des propos sur les réseaux sociaux.
Au niveau de l’empreinte carbone, peu d’outils numériques existent actuellement. Aussi, les PME ont de la difficulté à évaluer le bien-fondé de nouveaux outils. Certaines entreprises font appel à un service-conseil. D’autres s’inspirent des normes IASB. Par ailleurs, certaines données sont structurées, tandis que d’autres ne le sont pas.
LE FLOU ENTOURANT LE SCOPE 3
« 90% du carbone provient des compagnies en Scope 3. »
– Alexandre Bernhardt, responsable mondial de la recherche sur le développement durable chez BNP Paribas.
Le plus grand défi de la transition écologique pour les investisseurs est l’ajout du Scope 3, un périmètre de calcul supplémentaire, établi dans la méthodologie internationale de comptabilité carbone GHG Protocol. En bref:
- Scope 1 = calcul des émissions directes de gaz à effet de serre
- Scope 2 = calcul des émissions indirectes liées à l’énergie
- Scope 3 = calcul des autres émissions dîtes indirectes
Si les entreprises en Scope 3 sont les plus polluantes, elles sont aussi celles qui divulguent le moins l’impact environnemental et social de leurs activités.
De plus, la distinction entre fonds ESG et fonds à impact social n’est toujours pas claire. Alors que certains investisseurs utilisent l’ESG comme outil de gestion du risque, d’autres l’utilisent pour améliorer leur position sur la finance durable afin de s’aligner sur questions de société et d’impact.
Isabelle Laprise, vice-présidente, stratégie d’investissement durable, et gestionnaire de portefeuille institutionnel chez Jarislowsky Fraser, rappelle l’importance de la Déclaration de la place financière durable et de la Déclaration de l’investissement canadien pour le changement climatique qui rassemblent autour des mêmes objectifs.
Par ailleurs, Guy Cormier, président et chef de la direction du Mouvement Desjardins, affirme que l’écosystème québécois est petit, en matière de finance, mais très agile !