Dans un système de santé où la prise en charge et les délais de suivi peuvent s’avérer aussi longs qu’ardus pour le patient moyen, force est de constater que le fait de vivre avec une maladie rare, tantôt comme personne atteinte, tantôt comme proche accompagnant, s’apparente souvent au parcours du combattant. Heureusement, des initiatives s’alignent graduellement au Québec afin de mener collectivement ce combat. Comment rendre l’expérience du système de santé moins lourde pour les patients et leurs familles, allant de la quête du diagnostic à celle des ressources et soins adéquats?
Les maladies rares, en quelques chiffres…
Entre 6 000 et 8 000 maladies orphelines ont été répertoriées à travers le monde. De ces maladies, dont le nombre continue de croître à mesure que les chercheurs en découvrent de nouvelles, pas moins de 80% sont d’origine génétique. Parmi les maladies rares répertoriées, on en compte plusieurs neurodégénératives mortelles et incurables, qui touchent environ un enfant sur 4 700, selon les données rapportées par le Centre universitaire de santé McGill.
« (…) on parle de 700 000 Québécois et 3,5 M de Canadiens affectés, soit d’une personne sur 12 frappée par une maladie rare. »
– Jonathan Pratt, directeur général du Regroupement québécois des maladies orphelines (RQMO)
« Une maladie rare est définie comme étant une maladie qui touche moins d’une personne sur 2 000, ce qui représente une faible prévalence. Mais dans le contexte où l’on considère tous les cas de maladies rares et leurs effets, on parle de 700 000 Québécois et 3,5 M de Canadiens affectés, soit d’une personne sur 12 frappée par une maladie rare », nous rappelait le directeur général du Regroupement québécois des maladies orphelines (RQMO), Jonathan Pratt, lors de la Journée éducative du RQMO du 23 octobre dernier.
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Les défis majeurs et l’innovation qui s’y attarde
L’isolement et la méconnaissance
Le premier obstacle que rencontrent les gens atteints d’une maladie rare et leur entourage est la difficulté d’obtenir le bon diagnostic. « Beaucoup de patients se sentent isolés et peu compris en général, notamment par les professionnels de la santé, lorsque ces derniers sont dans le flou face à la maladie dont ils souffrent. Quand les patients sont des enfants, à moins d’être suivis dans une clinique ou un centre surspécialisé(e), ce sont souvent leurs parents qui en deviennent les spécialistes et qui doivent en expliquer la maladie aux médecins qu’ils consultent », d’amener, en entrevue avec CScience, la neuropédiatre Geneviève Bernard, sommité mondiale du domaine des leucodystrophies, soit les maladies génétiques affectant la « substance blanche » du cerveau.
« Quand les patients sont des enfants, à moins d’être suivis dans une clinique ou un centre surspécialisé(e), ce sont souvent leurs parents qui en deviennent les spécialistes et qui doivent en expliquer la maladie aux médecins qu’ils consultent. »
– Geneviève Bernard, neuropédiatre et chercheuse
La Dre Bernard a notamment permis à des familles de s’orienter vers les réponses qu’elles attendaient depuis longtemps, comme celle du jeune Tommy, 16 ans, pour qui il a fallu environ 14 ans avant d’obtenir un diagnostic, après des centaines de rendez-vous.
Aux prises avec des problèmes de santé dès sa naissance, Tommy était pourtant un bébé qui ne présentait aucun signe médical alarmant. En 2008, alors qu’il a un an, son retard moteur préoccupe une pédiatre, qui l’envoie consulter en neurologie à Sainte-Justine et passer des tests d’analyses génétiques de base. Les résultats n’en seront toutefois pas concluants et ne permettront pas de déceler la cause des multiples problèmes de santé que connaîtra Tommy.
« Même avec le diagnostic, il est difficile d’être guidés au bon endroit, de savoir qui peut nous aider. »
– Caroline Joseph, maman de Tommy et adjointe administrative du RQMO
Les années passent et Tommy subit beaucoup de maux, de consultations, de tests, d’hospitalisations et d’interventions. Les suivis sont aussi adaptés que possible, vu l’absence de diagnostic… En janvier 2017, on annonce à sa maman, Caroline Joseph, qu’un chercheur en Europe a trouvé deux gènes anormaux pour lui. En février 2022, on associe enfin la maladie de Tommy au gène MORC2.
« Même avec le diagnostic, il est difficile d’être guidés au bon endroit, de savoir qui peut nous aider. Quel chercheur souhaite s’impliquer ardemment dans les recherches pour le gène MORC2 ou la maladie qui affecte mon garçon? Vers qui me tourner si je souhaite amasser des fonds pour faire avancer la recherche pour la maladie de mon fils? Qui est l’expert qui pourrait m’aider et, surtout, acceptera-t-il? Des recherches sérieuses sont-elles en cours en ce moment? Ce sont mes préoccupations et ma réalité actuelles », témoigne auprès de CScience Mme Joseph, qui est également l’adjointe administrative du RQMO.
Atteint d’une forme rare et grave de la myasthénie, le président de la Confédération des organismes de personnes handicapées du Québec (COPHAN), Paul Lupien, a quant à lui témoigné lors de la Journée éducative du RQMO avoir remarqué des différences significatives quant à la manière d’aborder et prodiguer des soins aux patients dont la condition n’est pas connue. « Quand on est aux prises avec quelque chose qui n’est ni diagnostiqué, ni connu, comment peut-on nous traiter? Nous soigner? Interagir avec nous? », de soulever le président de la COPHAN.
M. Lupien se souvient d’ailleurs de la manière dont il avait été reçu et traité pour un AVC par le personnel de l’hôpital où il avait été admis en urgence. « On faisait comme si je n’étais pas du tout conscient, alors que je comprenais tout ce qui se passait autour de moi avec beaucoup de lucidité. » Une expérience des plus marquantes, vécue au début des premières manifestations de sa maladie rare…
Les méthodes de séquençage
Heureusement, dans les dix dernières années, les techniques de séquençage à haut débit ont révolutionné l’identification des gènes associés à ces maladies. Avec le séquençage à haut débit ou NGS (« next-generation sequencing »), consistant en une méthodologie moléculaire séquençant des milliers à millions de molécules d’ADN ou d’ARN simultanément et rapidement, on peut comparer la séquence de gènes du patient à une séquence de référence.
La Dre Bernard évoque le séquençage du génome à lecture longue ou « long-read », qui améliore la précision et les délais pour un diagnostic urgent des maladies génétiques. « Le taux de diagnostic en est plus élevé qu’avant, et beaucoup de maladies ont ainsi été découvertes, ce qui permet aux patients d’avoir plus de réponses. Or, beaucoup de patients attendent encore longtemps avant de recevoir un diagnostic », de rappeler la neuropédiatre.
L’accès équitable aux soins
Bien que l’accès aux soins soit difficile pour tous les Québécois, l’odyssée diagnostic est particulièrement pénible pour les familles côtoyant une maladie rare. « Attendre les résultats des tests peut être très difficile et frustrant. Cela peut se traduire par le décès d’un enfant des suites d’une maladie neurodégénérative, sans que l’on ait pu comprendre pourquoi il était de plus en plus malade. Dans des cas où la maladie rare peut aussi être associée à des problèmes comportementaux, il est d’autant plus difficile pour l’entourage de comprendre le comportement du proche qui en souffre, même après la pose du diagnostic », soutient la Dre Bernard.
« On dit trop souvent aux patients atteints de maladies rares que le mal dont ils souffrent est dans leur tête, ce qui est extrêmement malheureux. »
– Ariane Quintal, bioéthicienne
« On a beau être chanceux d’avoir un système de santé universel, auquel tout le monde a accès, on n’est pas en mesure de fournir à tous les niveaux, par exemple, en ce qui a trait aux suivis en réadaptation, dont beaucoup de familles ont besoin. Pensons aux suivis en physiothérapie ou en ergonomie, qui requièrent un objectif de réadaptation bien précis pour être menés. »
La bioéthicienne Ariane Quintal a aussi abordé les conséquences de l’errance diagnostique lors de la Journée éducative, rappelant qu’ « On dit trop souvent aux patients atteints de maladies rares que le mal dont ils souffrent est dans leur tête, ce qui est extrêmement malheureux », en plus de compliquer grandement leur accès aux prestations d’invalidité.
La transition vers l’âge adulte
Le passage vers l’âge adulte se veut aussi très difficile en contexte de suivi pour une maladie rare, puisqu’on conserve rarement le même niveau de soins et de ressources lorsqu’on atteint la majorité, en plus de disposer de moins de services propres à d’autres aspects de son quotidien, tels que l’éducation. « Pensons aux enfants qui ont des handicaps importants et qui vont dans des écoles spécialisées, avant de se retrouver devant rien à l’âge de 21 ans. Leurs parents doivent souvent cesser de travailler et rester à la maison pour s’en occuper. Il faudrait sans doute s’attarder davantage à trouver des solutions pour pallier cette réalité », suggère la Dre Bernard.
La technologie manipulable par les patients
Lors de l’événement organisé par le RQMO, Tristan Audet, atteint de phénylcétonurie, et éditeur du PCU blogue, a fait valoir que les applications mobiles pouvaient s’avérer très utiles pour « s’auto-discipliner » et gérer certains aspects de la maladie, de sorte à les rendre moins incommodants au quotidien.
La maladie génétique dont souffre M. Audet entraîne l’accumulation de phénylalanine dans le sang et le cerveau, et un niveau insuffisant de tyrosine. Ayant des effets limitatifs sur son style de vie, notamment sur son alimentation, elle peut même entraîner une dégradation des fonctions cognitives si non traitée.
« Ce genre d’outils technologiques est simple et améliore énormément la routine, d’autant plus qu’on a toujours son téléphone sur soi. On peut aussi partager les données avec sa famille et les professionnels de la santé qui nous suivent. »
– Tristan Audet, éditeur de PCU blogue
« La technologie est super importante dans mon cas, notamment pour gérer mon alimentation. J’utilise les applications Lose it et EasyPKU, qui m’ont aidé notamment à baisser mon taux sanguin de phénylalanine. Avec EasyPKU, on peut facilement voir combien de grammes de protéines on doit prendre. Ce genre d’outils technologiques est simple et améliore énormément la routine, d’autant plus qu’on a toujours son téléphone sur soi. On peut aussi partager les données avec sa famille et les professionnels de la santé qui nous suivent. »
Un message ultime d’espoir pour les familles
La Dre Bernard se montre optimiste quant aux avancées que peut espérer la population touchée par les maladies rares et orphelines. « Certes, il en reste beaucoup à faire pour améliorer les conditions de vie des patients et de leurs familles, mais on a quand même connu de grandes avancées, et on avance déjà beaucoup plus vite qu’à mes débuts, il y a douze ans. On a trois essais thérapeutiques en cours, dont deux avec la thérapie génique, et une avec la thérapie antisens. » Elle participe à autant d’études sur les maladies rares, conjointement avec le Dr John Mitchell. « On peut maintenant se réjouir de l’existence de traitements approuvés contre l’amyotrophie spinale, qu’on arrive à développer beaucoup plus rapidement qu’il y a dix ans. »
Elle ajoute que selon elle, le Plan d’action en maladies rares du gouvernement du Québec témoigne d’ « un désir profond, à tous les niveaux de structures, de reconnaître davantage les maladies rares, et de mieux soutenir la population qui en est touchée, et le développement de nouvelles thérapies. Donc je pense que tout ça reste très encourageant. »
Le Plan d’action en maladies rares
Jade Falardeau, coordonnatrice clinique en maladies rares et programmes spécifiques au Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (MSSS), a justement présenté les problématiques auxquelles s’attarde le Plan d’action en maladies rares du Gouvernement du Québec, dévoilé en mai dernier.
Améliorer l’offre de ressources en région
« Le ministère s’est engagé à rehausser les ressources et, par souci d’équité, à favoriser le recrutement en région éloignée, pour faciliter l’accès au diagnostic et au dépistage, notamment en ayant recours à des outils de télésanté. »
Elle a en effet soulevé le fait que les défis de recrutement des programmes universitaires contribue à exacerber ce manque de ressources, soit de professionnels qualifiés, particulièrement en génétique médicale. « Les conseillères en génétique, médecins et généticiens font partie des ressources les plus en pénurie. »
Améliorer l’offre en matière de dépistages prénatal et néonatal
Elle a aussi mentionné l’intention de rendre accessibles les tests génétiques préhypotatoires, qui consistent en des tests pratiqués sur les embryons avant l’implantation, lorsqu’on a recours à la fécondation in vitro, afin de dépister les embryons qui pourraient être atteints avant leur implantation. « Actuellement, ces tests ne sont pas remboursés au Québec », une situation qui pourrait évoluer prochainement.
Le Programme québécois de dépistage prénatal, qui permet de dépister les maladies rares durant la grossesse, et principalement la trisomie, pourrait évoluer en fonction des nouvelles connaissances, et bientôt permettre de dépister d’autres types de maladies rares.
Elle a aussi rappelé que le Programme québécois de dépistage néonatal fait actuellement l’objet d’un rehaussement, puisqu’il intègre depuis le 2 octobre le déploiement du dépistage de l’amyotrophie spinale (AS) et du déficit immunitaire combiné sévère (SCID).
« À travers (le réseau Navi-Nat), on veut assurer un rapprochement des soins et services, réduire le temps nécessaire pour accéder au diagnostic, faciliter la mise sur pied d’une communauté de pratique en maladies rares, et faciliter la collecte de données et le transfert de connaissances. »
– Jade Falardeau, coordonnatrice clinique en maladies rares et programmes spécifiques au Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (MSSS)
Valoriser l’expertise des centres de recherche et la création d’un nouveau réseau
Il existe des centaines de cliniques consacrées aux maladies rates, dont 300 situées aux quatre coins du Québec, principalement dans les grands centres universitaires. « Or, il n’y a pas de trajectoire de soins bien établie, sauf pour des conditions particulières d’une certaine clientèle, amène Mme Falardeau. Il faut ainsi définir des corridors de service. »
« Il y a beaucoup de travaux au ministère pour faciliter l’accès au séquençage de nouvelle génération, on parle du Réseau québécois de diagnostic moléculaire (RQDM), qui va permettre de standardiser les analyses génétiques qui, jusqu’à tout récemment, étaient réalisées dans des laboratoires privés hors du Québec. »
Elle estime que la création du Réseau national de navigation clinique en maladies rares (Navi-Nat) prévue par le ministère sera une porte d’entrée pour orienter rapidement les gens vers les bonnes ressources. « À travers ce réseau, on veut assurer un rapprochement des soins et services, réduire le temps nécessaire pour accéder au diagnostic, faciliter la mise sur pied d’une communauté de pratique en maladies rares, et faciliter la collecte de données et le transfert de connaissances. »
Quant au problème évoqué par tous les intervenants interrogés par CScience, soit le passage difficile entre l’enfance et l’âge adulte, Mme Falardeau a indiqué qu’ « On veut encadrer davantage la transition entre le milieu pédiatrique et le milieu adulte. La fluidité se fait déjà un peu mieux pour certaines maladies, tandis que pour d’autres, la rupture se veut sèche. Cela a un impact sur l’adhérence au traitement et au suivi des patients qui ne bénéficient pas du même encadrement une fois adultes », des effets que le gouvernement souhaite mieux éponger.
Enfin, elle a ajouté que la désignation officielle des cinq centres de référence interdisciplinaires pour les soins et la recherche en maladies rares (CHUM, CHU de Québec – ULaval, Le CIUSSS de l’Estrie – CHUS , CUSM et CHU Sainte-Justine) permettra aussi de reconnaître leurs expertise et implication, en plus de motiver le déploiement d’actions pour en pérenniser les équipes de recherche et ressources.
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Dossier spécial consacré aux maladies rares
Crédit Image à la Une : Quang Tri NGUYEN / Unsplash