L’IA pour encadrer le télétravail : un outil à double-tranchant

L’IA pour encadrer le télétravail : un outil à double-tranchant

La pandémie aura apporté son lot de chamboulements sociaux, et ce jusque dans nos vies professionnelles. Depuis près d’un an, le télétravail est passé d’un phénomène marginal à la norme pour bon nombre de Québécois, et cette option semble être là pour de bon. Avec les nombreux défis que cela peut entraîner, l’utilisation de l’intelligence artificielle (IA) pourrait-elle améliorer les conditions de vie des employés dans le cadre du travail en dehors du bureau? Ou au contraire, faut-il craindre des pièges dans lesquels risquent de s’engouffrer productivité et santé mentale?

À l’Observatoire international sur les impacts sociétaux de l’IA et du numérique (Obvia), ce genre de question embrase les discussions et propulse la recherche.

L’organisme a invité un panel d’experts à se pencher sur les enjeux du télétravail et de l’intégration d’outils numériques dans le cadre du travail, vendredi dernier.

« On voit que plusieurs employés ont tendance à travailler de plus longues heures [ lorsqu’ils sont à distance ], et c’est sans doute lié au fait qu’ils peuvent être sollicités à tous moments de la journée par leur superviseur. Peut-être que l’IA pourrait aider à mieux encadrer le flux de communications, les courriels par exemple » – Alain Marchand

Sa collègue et titulaire de la Chaire BMO – Diversité et gouvernance, Tania Saba, craint pour sa part que le fardeau de gestion imposé aux cadres d’entreprises devienne trop lourd.

« Ce qui était présent dans les entreprises avant la venue de la pandémie ne sera qu’exacerbé par la situation actuelle. S’il n’y a pas de relation de confiance entre gestionnaires et employés en ce qui concerne la protection des données privées, ça n’ira pas mieux par la suite », souligne Mme Saba.

PRODUCTIVITÉ ET VIE PRIVÉE

La professeur de l’UdeM rappelle le cas du logiciel Microsoft 365, qui a récemment été dénoncé à cause de son indice de productivité, qui permet aux gestionnaires de suivre individuellement le niveau d’activité de leurs employés. L’outil rend possible l’agrégation de données, telles que l’utilisation des courriels ou du réseau internet pour rendre un portrait de la performance au bureau.

Toutefois, Anne-Marie Hubert, associée directrice chez la firme comptable Ernst & Young Canada, croit qu’il ne faut pas systématiquement craindre l’IA dans la gestion du travail.

« On a déjà des systèmes de surveillance pour la sécurité informatique qui sont bien implantés dans les entreprises. La présence de l’IA n’est donc pas à écarter. Cependant, il faudra voir ce qu’on permettra lorsqu’il est question de la protection des données personnelles », insiste Mme Hubert.

Enfin, François Lamoureux, Président du Comité consultatif du travail et de la main d’œuvre au Ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité Sociale, croit que la venue de l’IA dans la gestion du télétravail est « inéluctable ».

« Oui, l’arrivée de l’IA et de la numérisation fait partie des changements que connaît actuellement le monde du travail et cela pourrait favoriser le télétravail. Cela implique qu’on s’attarde aux enjeux de protection de la vie privée. Je comprends les craintes de certains quant à l’intrusion de leur employeur dans leur vie. Personne ne veut que son gestionnaire les surveille constamment, comme s’il était au-dessus de ses épaules », affirme M. Lamoureux.

TÉLÉTRAVAIL: UNE TENDANCE QUI SURVIVRA À LA PANDÉMIE

Les chercheurs de l’École de relations industrielles de l’UdeM se sont tous les deux penchés sur la question du télétravail, avant et pendant la crise sanitaire.

La professeure Saba et son équipe de la Chaire BMO – Diversité et gouvernance, ont monté un document comparant les réponses de travailleurs au Québec et ailleurs dans le monde pour connaître leurs perceptions du télétravail, entre les mois d’avril et de juillet 2020.

Les 3 500 répondants québécois ont démontré un grand intérêt pour cette option, lui trouvant des avantages quant à la conciliation entre la vie professionnelle et personnelle et leur autonomie.

Plus du quart d’entre eux désiraient fortement continuer à avoir le choix de faire du travail à distance après la pandémie, et 42 % des sondés disaient avoir « aimé » l’expérience.

Cependant, les questions de l’isolement social et de la gestion des émotions font partie des risques à examiner dans le cadre du télétravail selon une majorité de ceux-ci.

Pour sa part, le professeur Marchand s’est attardé aux conditions de travail de 2431 employés dans 66 milieux d’emploi qui ont fait usage du format télétravail avant la pandémie, soit d’avril à décembre 2019.

À l’instar de sa collègue, il a constaté dans son étude « une foule de facteurs positifs » engendrés par cette option, mais aussi une augmentation de la charge psychologique et du nombre d’heures travaillées.

« On voit surtout un conflit entre le travail et la famille; la vie professionnelle déborde sur la vie privée », indique M. Marchand.

Crédit Photo: Pexels/Anastasia Shuraeva