Informatique quantique et cybersécurité : une arme à double tranchant

Informatique quantique et cybersécurité : une arme à double tranchant

Au-delà des données économiques, il est encore difficile de concevoir l’impact que l’informatique quantique aura sur nos vies. Dans cette chronique, notre expert Quentin Hibon, conseiller sénior au développement des affaires et partenariats stratégiques chez Mitacs et l’ADRIQ, aborde les enjeux qu’amène l’informatique quantique pour la cybersécurité, ainsi que les solutions innovantes qu’elle apporte.

Avec le récent dévoilement de sa stratégie quantique nationale et les importants investissements réalisés depuis des décennies, le Canada a clairement démontré son intention de rester l’un des pionniers dans les sciences quantiques. C’est tout un écosystème de centres d’expertise quantiques qui se développe, appuyé par les initiatives provinciales telles que celle de Québec, qui a investi 435 millions de dollars l’année dernière pour faire de Sherbrooke la capitale canadienne des sciences quantiques.

Cet écosystème ne cesse de grandir et compte également sur l’appui du secteur privé. En effet, Ericsson a annoncé le lancement prochain de son centre de recherche quantique à Montréal. Celui-ci a pour but de développer des algorithmes quantiques afin d’accélérer le traitement dans les réseaux de télécommunications et l’informatique quantique distribuée. Ce centre de recherche bénéficiera notamment de l’appui chercheurs universitaires grâce à Mitacs, qui a reçu 40 M$ de la part d’ISDE (Innovation, Sciences et Développement économique Canada). Cette collaboration vise particulièrement à soutenir l’attraction, la formation, la rétention et le déploiement de personnel hautement qualifié dans les sciences et technologies quantiques au niveau national.

40 M$, c’est le financement obtenu de l’ISDE par Mitacs

Selon le CNRC, le secteur quantique deviendra une industrie de 139 milliards de dollars au Canada avec plus de 200 000 emplois et des retombées de 42 milliards de dollars d’ici 2045. On comprend donc aisément, l’importance de ce secteur pour le Canada. 

Au-delà des données économiques, il est encore difficile de concevoir l’impact que l’informatique quantique aura sur nos vies. Quelles en seront les retombées positives et les enjeux s’y rapportent en matière de cybersécurité ?

L’informatique quantique comme menace potentielle pour la cybersécurité

L’informatique quantique est différente de l’informatique que l’on connait actuellement car elle utilise des bits quantiques (qubits) au lieu des bits classiques. Contrairement aux bits qui ne peuvent être uniquement qu’en deux états 0 ou 1, les qubits peuvent exister dans une multitude d’états en même temps : on parle de « superposition ». 

Cette particularité leur permet de réaliser un certain nombre de calculs beaucoup plus rapidement que les ordinateurs classiques, notamment de rompre les protocoles cryptographiques. Par exemple, l’algorithme Shor, un algorithme quantique, peut factoriser de grands nombres beaucoup plus rapidement que n’importe quel algorithme classique dont nous disposons actuellement. Cela signifie que de nombreux protocoles cryptographiques à clé publique que nous utilisons pourraient être vulnérables aux attaques des ordinateurs quantiques.

Renforcer la cybersécurité grâce à l’informatique quantique

La construction d’un ordinateur quantique à grande échelle avec correction d’erreurs est un énorme défi technologique et nous avons encore du chemin à parcourir avant d’en arriver là. La démocratisation de l’informatique quantique n’est donc pas encore d’actualité. De plus, si l’ordinateur quantique permet de déjouer les méthodes classiques de cryptage, il permet également de développer la cryptographie quantique : les données sont donc transmises à l’aide de qubits qui ne peuvent pas être copiés ou interceptés sans être détectés.  Ainsi, cela rend pratiquement impossible pour les pirates d’accéder et de voler des données sensibles.

« (…) si l’ordinateur quantique permet de déjouer les méthodes classiques de cryptage, il permet également de développer la cryptographie quantique (…) cela rend pratiquement impossible pour les pirates d’accéder et de voler des données sensibles. »

De plus, comme dans beaucoup d’industries, pousser les systèmes dans leurs retranchements permet d’en identifier les failles afin de les renforcer. L’utilisation d’ordinateurs quantiques permet de déjouer facilement certains types de cryptage, tel l’algorithme RSA, communément utilisé pour protéger les données dans les communications et les transactions. 

Cet exercice permet d’identifier les faiblesses du système et de le renforcer par la suite en développant d’autres méthodes de cryptage qui seront résistantes aux cyberattaques provenant d’ordinateurs quantiques. Plusieurs méthodes de cryptage sont d’ores et déjà développées comme le QKD (Quantum Key Distribution) qui utilise les principes de la mécanique quantique pour échanger des clés cryptographiques entre deux parties.

Ordinateur quantique. (Photo : Dreamstime)

L’idée de base derrière la QKD est que deux parties, appelons-les Pierre et Marie, utilisent les propriétés de la mécanique quantique pour générer une clé secrète partagée, qui peut être utilisée pour chiffrer et déchiffrer des messages. La QKD repose sur le fait que toute tentative de mesurer l’état d’un système quantique perturbera nécessairement ce système. En d’autres termes, si Marie envoie une série d’états quantiques à Pierre, tout éventuel pirate qui essaie d’intercepter le message introduira nécessairement des erreurs dans les résultats de mesure, alertant ainsi Pierre et Marie de la présence d’un pirate.

Les systèmes QKD utilisent généralement soit la polarisation des photons, soit la phase quantique pour encoder les informations. Dans le premier cas, Marie envoie à Pierre une série de photons avec des polarisations choisies aléatoirement. Pierre mesure ensuite la polarisation de chaque photon et enregistre les résultats. Alice et Pierre comparent ensuite un sous-ensemble de leurs résultats pour vérifier les erreurs et établir une clé secrète partagée.

Dans le cas d’une QKD basée sur la phase quantique, Marie envoie une série de photons avec différentes phases à Pierre. Pierre mesure ensuite la phase de chaque photon et enregistre les résultats. Marie et Pierre utilisent ensuite les mesures de phases pour établir une clé secrète partagée.

La QKD est donc considérée comme une méthode de distribution de clés efficace et sécurisée car toute tentative d’interception ou d’écoute clandestine de la communication introduira nécessairement des erreurs qui peuvent être détectées par les parties qui communiquent.

Deux secteurs à risque en matière de cybersécurité

Ces deux secteurs d’activité nécessitant de réaliser des calculs complexes en grandes quantités et plus rapidement que les ordinateurs classiques, l’adoption de l’informatique quantique devrait donc s’opérer rapidement. Étant donné la nature des données traitées, on comprend aisément que les enjeux de cybersécurité soient cruciaux dans ce secteur.

Le milieu de la finance

La finance est l’un des secteurs qui utilisent le plus de données dans le monde. Il repose sur des modèles mathématiques complexes qui permettent de prendre des décisions d’investissement. Cela sous-entend deux choses : d’une part, une énorme puissance de calcul, et d’autre part l’importance cruciale de la vitesse à laquelle ces calculs sont réalisés. 

« (…) les plateformes boursières réalisent des transactions en moins de trois millisecondes dans 60% des cas. »

En effet, dans le « trading à haute fréquence », chaque milliseconde compte pour maximiser ses gains. Selon l’estimation de Thierry Lebreton, enseignant chercheur à l’École Centrale d’électronique de Paris, les plateformes boursières réalisent des transactions en moins de trois millisecondes dans 60% des cas.

Évidemment, les enjeux en cybersécurité dans cette industrie sont énormes et pourraient engendrer des milliards de dollars de perte financière. Le secteur financier est donc un des premiers à s’intéresser à l’informatique quantique et à développer de nouvelles méthodes de cryptage pour pallier aux enjeux de cybersécurité

Les instances gouvernementales

Les gouvernements nécessitent eux aussi de puissances de calcul colossales pour gérer d’importantes quantités de données sensibles, comme des données économiques, de défense, de renseignements… 

Au même titre que pour la finance, on peut imaginer que les gouvernements utilisent l’informatique quantique pour réaliser plus rapidement les calculs portant sur de gros volumes de données.

Ils pourront également améliorer la cybersécurité de leurs systèmes en développant des méthodes de cryptage résistantes aux attaques quantiques. Évidemment, les cyberattaques réalisées par d’autres pays grâce à l’informatique quantique sont une réelle préoccupation.

Enfin, grâce aux possibilités de calcul de l’informatique, on peut envisager la simulation de systèmes complexes, afin de gérer au mieux des situations telles que : les pandémies, les crises économiques, les catastrophes naturelles et les guerres.

Conclusion

L’informatique quantique est ce que l’on appelle une technologie disruptive car elle a le potentiel de révolutionner de nombreux domaines de l’informatique et de la science en général. 

Bien qu’il soit difficile de prévoir l’ensemble des conséquences d’une telle technologie sur nos vies, une chose est sûre, la vitesse de calcul que permet l’informatique quantique aura un impact significatif sur de nombreux domaines, tels que la cryptographie, la recherche pharmaceutique, la conception de matériaux et l’IA. Elle pourra également permettre de résoudre des problèmes actuellement considérés comme insolubles ou très difficiles. 

Telle une boite de pandore, un certain nombre de menaces notamment en termes de cybersécurité pourront apparaitre en chemin. Toutefois, la recherche réalisée au Canada depuis de nombreuses années grâce aux moyens mis en œuvre par le gouvernement et le secteur privé devrait nous permettre de les anticiper, de les surmonter et de tirer parti de cette nouvelle technologie à son plein potentiel. Ainsi, le Canada pourra se positionner comme l’un des pionniers dans le domaine des sciences quantiques.

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Crédit Image à la Une : iStock