Quand la technologie se substitue aux artistes pour créer

Quand la technologie se substitue aux artistes pour créer

Si le recours à l’intelligence artificielle (IA) ne fait pas toujours l’unanimité, au chapitre de la propriété intellectuelle, son utilisation soulève de nouvelles questions quant à la manière d’aborder la création artistique et musicale. Peut-on se dire artiste lorsqu’on crée grâce à l’IA ?

Au cours des dernières années, la mise en marché de nombreux outils numériques, abordables et gratuits, a permis de démocratiser la manière de créer et de commercialiser son art et sa musique.

EN ARTS VISUELS

Plus besoin d’avoir été formé aux beaux-arts, ni même à l’école de graphisme, pour s’improviser créateur de contenu d’art visuel. Il suffit de faire une petite recherche sur le web pour y trouver les plus récentes innovations en matière d’IA, comme les sites Nightcafe ou Snowpixel, afin de générer des images de qualité commerciale, et de s’en approprier le crédit.

En moins de deux, on peut y passer une commande, en y entrant les mots-clés de son choix. Il peut s’agir d’objets, de motifs, d’une texture ou de couleurs. L’IA interprétera la demande pour en concevoir une image unique, qui n’existe nulle part ailleurs, et où l’on retrouvera, possiblement, l’ensemble des éléments suggérés.

EN Production MUSICALE

La révolution numérique a aussi transformé la manière de créer de la musique, et continue de le faire. Brouillant les frontières entre le rôle de l’outil et celui de l’auteur, la technologie n’est plus seulement utilisée pour exécuter l’idée. Elle l’est aussi pour créer des mélodies et structures musicales en partant de rien.

Pensons, par exemple, au logiciel AIVA, reconnu officiellement par la SACEM comme étant un « compositeur » à part entière. En s’en remettant aux principes de composition algorithmique, le programme peut, à lui tout seul, créer une infinité de morceaux, de A à Z, dans tous les genres, mais pas sans quelques limites, estime certains professionnels.

https://www.youtube.com/watch?v=2iItsL2e8Ho

PEUT-ON VRAIMENT APPELER ÇA DE L’ART?

Selon Clea Reynolds, propriétaire de la Galerie de Miss Rey sur la Rive-Sud de Montréal, la création d’images esthétiques avec des outils comme Nightcafe ou Snowpixel, en ne donnant que très peu de consignes à l’IA , « Ce n’est aucunement artistique », parce que le rôle créatif des utilisateurs de ce genre d’innovation  est trop « limité ».

« On peut très bien avoir recours à de la technologie pour certains procéder artistiques, mais il est important de garder le contrôle sur son processus de création (…) »

– Clea Reynolds, Propriétaire de la Galerie de Miss Rey

« On peut très bien avoir recours à de la technologie pour certains procéder artistiques, mais il est important de garder le contrôle sur son processus de création, et d’en conserver l’intention de départ, qui est-ce qui permet de procurer une réelle émotion chez le public. » Selon elle, les oeuvres dites « artistiques » générées par l’IA ne remplaceront jamais l’oeuvre humaine, car « Il y aura toujours des peintres, des artistes pour créer à la sueur de leur front, et pour s’échiner à la tâche, jusqu’à y laisser des cheveux, qu’il m’arrive de retrouver dans les toiles. C’est aussi ça, l’art! »

paul dubreuil concepteur sonore

CScience IA s’entretient avec Paul Dubreuil, concepteur sonore et compositeur de musique

On obtient un peu le même son de cloche du côté des professionnels de la musique. « Je n’ai jamais eu recours à l’IA pour produire de la musique, mais disons que son existence m’a poussé à devenir meilleur », rapporte, en direct de son studio, Paul Dubreuil, concepteur sonore et compositeur de musique basé à Montréal. Selon lui, le fait d’être « confronté à quelque chose d’automatique qui, dans certains cas, produit des résultats très satisfaisants », peut inciter les ingénieurs son à se dépasser en proposant des nuances, assurant une qualité hors d’atteinte pour l’IA.

« Pour un contrat de télévision, un client m’a déjà présenté une oeuvre musicale qui avait été générée au moyen de l’IA. On y perdait toute la dimension de la personnalité et son côté contextuel, car c’est beaucoup plus modulable lorsque c’est fait par quelqu’un que lorsque c’est fait par l’IA. »

DES BÉNÉFICES

Bien qu’elle éprouve « un malaise » à l’égard de la création artistique au moyen de l’IA, Mme Reynolds admet que les automates peuvent s’avérer utiles pour créer des images esthétiques dans un contexte de production industrielle. « Ça peut être efficace pour la production de masse de quelque chose de très commercial, sans avoir à faire de la recherche ou à maîtriser une technique (artistique) particulière. »

Selon l’artiste Éric-Pierre Bergen, interviewé par CScience IA l’année dernière, les outils IA pour produire de la musique peuvent « faciliter le rendement » et « réduire le coût en production multimédia, car les compositions faites par l’IA n’ont pas de droits d’auteur ». Notons toutefois que la startup luxembourgeoise AIVA n’a pas exclu de changer ses termes et conditions afin de toucher des redevances, au même titre que n’importe quel compositeur.

Quant à M. Dubreuil, il souligne les apports de l’IA dans le contexte de l’audio pour les jeux vidéo, qui s’inscrit dans son champ d’expertise. « Ce qu’on peut faire avec l’IA, dans le contexte des jeux vidéo, c’est créer l’ambiance dont on a besoin. Il ne s’agit pas seulement d’une trame sonore. On crée alors un monde. Et, dans ce monde, il y a des moments où la trame sonore et musicale doit s’adapter à ce que le joueur est en train de faire dans le jeu. On parlera alors d’une musique interactive, c’est-à-dire qu’elle sera rétroactive avec les événements dans le jeu. »

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Crédit Image à la Une : Possessed Photography, Unsplash