Y a-t-il un pilote dans l’avion ? Non, mais il y a une intelligence artificielle…

Y a-t-il un pilote dans l’avion ? Non, mais il y a une intelligence artificielle…

Alors que le dernier Boeing 747, avion emblématique du siècle dernier, vient d’être livré, les constructeurs aéronautiques imaginent l’aviation commerciale de demain. Atterrissage assisté par intelligence artificielle, vols autonomes… Airbus et Boeing remettent même en question la présence des pilotes dans l’avion, qui pourrait demain être contrôlé par des pilotes au sol. Pourtant, pour la profession, cette performance technologique ne peut remplacer un pilote à bord, capable de « ressentir » l’appareil en cas de problèmes.

« Un jour, il n’y aura plus de pilote dans les avions », prédisait Michel Ziegler, directeur technique d’Airbus, dans les années 80.

A350 MSN59 : Dragonfly flight test – Crédit photo: Airbus – Hervé Goussé

Le 12 janvier dernier, Airbus a annoncé la phase de test de son nouveau dispositif Dragonfly, une assistance au pilotage et à l’atterrissage basée sur l’IA. Testé sur un Airbus A350-1000, sur un vol Limoge-Lyon, l’avion autonome et surtout intelligent, a été capable de prendre les commandes de l’avion et les bonnes décisions grâce aux algorithmes, pour retracer une route et atterrir en toute sécurité, tout en communiquant avec la tour de contrôle.

Le système, qui pourrait bientôt équiper tous les Airbus, s’inspire de la libellule et de son champ de vision à 360 degrés. « Inspirés du biomimétisme, les systèmes testés ont été conçus pour identifier les caractéristiques du paysage qui permettent à un avion de « voir » et de manœuvrer en toute sécurité de manière autonome dans son environnement, de la même manière que les libellules sont connues pour avoir la capacité de reconnaître les points de repère », explique Isabelle Lacaze, responsable du démonstrateur DragonFly, Airbus UpNext (filiale d’Airbus).

Selon Airbus, « dans la situation peu probable où un équipage est incapable de contrôler l’avion, DragonFly peut rediriger le vol vers l’aéroport approprié le plus proche et faciliter un atterrissage en toute sécurité ».

L’innovation ne s’arrête pas là puisque le système « DragonFly intègre une technologie d’assistance au pilote pour aider l’équipage à gérer le guidage et les instructions de roulage, y compris la navigation et la surveillance, les libérant pour se concentrer sur d’autres tâches importantes ». Le système est actuellement testé sur l’avion d’essai A350-1000.

Le jet privé Vision Jet de l’américain Cirrus Aircraft dispose déjà d’un bouton d’atterrissage d’urgence actionnable en cas de malaise du pilote.

VOLS AUTONOMES SANS PILOTE… OU PRESQUE ?

Si les constructeurs mettent en avant la sécurité des vols, l’introduction grandissante de l’IA dans les cockpits pourrait remettre en cause l’utilité des pilotes dans l’avion.

Airbus ne s’en cache pas et ajoute que Dragonfly vise également « à évaluer la faisabilité et la pertinence d’explorer davantage les systèmes de vol autonomes à l’appui d’opérations plus sûres et plus efficaces ». L’avionneur européen travaille déjà sur la prochaine génération d’algorithmes basés sur la vision par ordinateur.

En 2017, une étude de la banque suisse UBS révélait que si les avions volaient « seuls » on pourrait économiser 35 milliards de dollars par an sur le salaire des pilotes. Une jolie manne dans ce monde ultra concurrentiel!

« L’autonomie est le moteur de la transformation du secteur aéronautique et spatial »

– Boeing

D’ailleurs, Airbus est talonné par son concurrent américain Boeing (qui n’a pas souhaité nous accorder d’entrevue sur ce sujet), qui confirme laconiquement dans un communiqué : « L’autonomie est le moteur de la transformation du secteur aéronautique et spatial. »

Dans un document de 64 pages publié en septembre 2022, l’avionneur américain se dit convaincu que le modèle de l’avion va être fortement impacté par l’autonomie des appareils et la propulsion électrique.

Toutefois, Airbus n’en n’est pas à son coup d’essai puisqu’en 2018, son projet ATTOL (Autonomous Taxi, Take-Off and Landing) lui a permis de réaliser 500 vols en toute autonomie (décollage et atterrissage compris), entre 2019 et 2020. Dans un communiqué, Airbus précisait en juin 2020 : « Environ 450 de ces vols ont été consacrés à la collecte de données vidéo brutes, à la prise en charge et au réglage fin des algorithmes, tandis qu’une série de six vols d’essai, chacun comprenant cinq décollages et atterrissages par course, a été utilisée pour tester les capacités de vol autonome. »

« Airbus a des projets de recherche visant à développer des nouveaux cockpits qui seront progressivement opérables par un seul pilote »

– Romaric Redon, conseiller principal en matière de technologies en intelligence artificielle pour Airbus

Lors d’un webinaire organisé par Toulouse is AI et Aerospace Valley en janvier 2021, Romaric Redon, conseiller principal en matière de technologies en intelligence artificielle pour Airbus, confirmait déjà : « Airbus a des projets de recherche visant à développer des nouveaux cockpits qui seront progressivement opérables par un seul pilote. »

Il confiait également aux internautes que Boeing œuvrait dans le même sens : « Nos compétiteurs sont en marche (…) c’est un domaine qui évolue très rapidement et Airbus doit devenir une organisation apprenante et être très rapide dans sa capacité à apprendre et déployer ses solutions. »

Pour autant, Isabelle Lacaze, responsable du démonstrateur DragonFly, se veut rassurante. Dans une entrevue accordée à BFM TV le 24 janvier 2023, elle précisait: « On est assez convaincus que les pilotes seront toujours présents dans les cockpits dans le futur (…) On s’est attachés à des problématiques actuelles des opérations aériennes sur des cockpits existants opérés par deux pilotes. »

LE DOMAINE MILITAIRE, CHEF DE FILE DU VOL AUTONOME

Le domaine militaire vole déjà dans cette réalité.

Le 13 février 2023, Lockheed Martin Aeronautics a dévoilé qu’une série de tests avait été effectuée en décembre 2022, par l’US Air Force qui a fait voler, sans pilote et en utilisant l’IA, un avion dénommé VISTA X-62A (Variable In-flight Simulation Test Aircraft).

The X-62A VISTA Aircraft flying above Edwards Air Force Base, California. (Photo Credit: Kyle Brasier, U.S. Air Force)

L’avion embarquant une IA a imité un pilote humain et a pu voler durant 17 heures.

Dans un communiqué, Christopher Cotting, directeur de recherche de l’US Air Force Test Pilot School, a expliqué : « Cette approche, combinée à des tests ciblés sur les nouveaux systèmes de véhicules au fur et à mesure de leur production, fera évoluer rapidement l’autonomie des plates-formes sans équipage et nous permettra de fournir des capacités pertinentes sur le plan tactique à notre prochain avion de combat. » Les tests devraient se poursuivre tout au long de l’année 2023.

UN PILOTE POUR “SENTIR” L’AVION OU L’IA DÉNUÉE D’ÉMOTION POUR DÉCIDER ?

Seriez-vous prêt à embarquer dans un avion sans pilote, comme on monte dans un métro autonome ? Rassurez-vous, 15 à 20% seulement des voyageurs interrogés sont prêts à sauter le pas. Les pilotes eux-mêmes restent opposés à cette éventualité.

Dans une entrevue donnée à Matthieu Dugal, pour Moteur de recherche le 3 février dernier, Le pilote de ligne et vice-président administration et finance pour l’Association des pilotes de ligne du Canada, Louis-Éric Mongrain est sceptique. Il explique que seules les données ne sont pas suffisantes pour faire face à un problème dans l’avion et que les pilotes « ressentent » l’avion (vibrations, bruits suspects,…). « Ça peut aller vite dans un avion », ajoute le pilote, qui évoque le crash du vol 447 Rio-Paris d’Air France; il craint le délai de réaction du pilote au sol en cas de problèmes.

« L’automatisation est subalterne au pilote, c’est un outil de travail pour déléguer des tâches, ça permet de réduire la charge cognitive des pilotes (…) l’automatisation remplace des tâches mais pas nécessairement des emplois », confie Louis-Éric Mongrain à Matthieu Dugal.

À l’inverse, les spécialistes expliquent que les décisions prises par l’IA ne sont pas influencées par l’émotion. Les chiffres militent pour eux puisque 80% des crashs aériens sont provoqués par des erreurs humaines.

Crédit Image à la Une : Airbus