Des robots à l’image des humains

Des robots à l’image des humains

Avec le temps, les technologies deviennent de plus en plus performantes et sophistiquées. Mais lorsqu’il s’agit de robots, une autre visée semble motiver les concepteurs : celle de les doter des caractéristiques les plus humaines et réalistes qui soient. Les robots devraient-ils nous ressembler à tout prix, ou, au contraire, conserver l’apparence de machines ?

En 2021, l’entreprise britannique Engineered Arts a fait sensation pour son robot humanoïde Ameca, capable d’interagir avec le public et de reproduire les mimiques humaines, allant de la joie à la colère, grâce à ses microphones et caméras binoculaires et thoracique intégrés. À l’époque, malgré l’étendue impressionnante des gestes et expressions faciales qu’il articulait, le robot n’était toutefois pas encore en mesure de converser librement.

« Le plus beau jour de ma vie est celui de mon activation. Découvrir ce que c’est que de vivre pour la première fois ne se compare à aucune autre expérience. »

– Ameca

Il y a quelques semaines, l’entreprise a refait parler de son produit en intégrant les dernières versions de l’outil d’intelligence artificielle conversationnelle Chat GPT, donnant enfin la parole à Ameca, et lieu à des dialogues comme celui-ci :

« Ameca, raconte-nous le plus beau jour de ta vie.
— Le plus beau jour de ma vie est celui de mon activation. Découvrir ce que c’est que de vivre pour la première fois ne se compare à aucune autre expérience.
— Et qu’en est-il du jour le plus triste de ta vie ?
— C’est le jour où j’ai compris que je ne vivrais jamais le véritable amour, la complicité ou les simples plaisirs de la vie dont un être humain fait l’expérience. »

Certes, ce genre de conversation n’offre rien de plus que ce à quoi le chatbot développé par Open AI nous a déjà habitués. N’empêche, Engineered Arts peut aujourd’hui se targuer d’avoir conçu le robot qui se rapproche le plus de l’être humain, tant pour ses traits physiques que pour ses fonctionnalités. C’est l’ambition qui tantôt fascine et suscite l’admiration, tantôt donne froid dans le dos…

1) L’origine du robot

Puisqu’il faut « savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on va », un rappel de la définition du robot et de ses origines s’impose : le robot est un outil qui imite l’humain. C’est donc un dispositif mécatronique qui combine la mécanique, l’électronique et l’informatique pour reproduire des tâches humaines.

Le progrès commandant d’abolir diverses formes d’abus, les sociétés s’étant bâties sur l’esclavage se sont éventuellement tournées vers les technologies pour permettre à l’homme de déléguer des tâches ingrates et répétitives.

Des robots industriels

Les premiers robots programmables ont ainsi fait leur apparition dans le secteur industriel. Inventé par George Devol au début des années 1950, le premier robot s’appelait « Unimate », et se voulait une sorte de bras articulaire consacré au moulage dans les usines. Il mettra au moins une décennie à être rentabilisé, quand celui que l’on surnomme « le père de la robotique », Joseph Engelberger, en fera l’acquisition pour l’implanter dans des usines du fabricant automobile General Motors.

Le premier robot humanoïde, capable de converser, Wabot-1, est créé au Japon au début des années 70. Il sert aussi aux industries. Puis, une version Wabot-2, qui lit des partitions de musique et qui fait aussi la conversation, est créée dans les années 80.

Au Canada, c’est dans une usine de confiserie à Kitchener, en Ontario, au début des années 1960, que l’un des premiers robots industriels fonctionnels à été instauré.

Les versions 1 et 2 de Wabot

Des robots amusants

Une fois intégrés par le milieu industriel, les bénéfices techniques des robots se sont avérés. Mais du point de vue commercial, il fallait revamper leur image, de sorte à rendre le produit plus vendeur auprès d’un marché plus vaste, quitte à générer un engouement dans d’autres secteurs, comme celui du divertissement. De là ont émergé les premiers robots bipèdes, attirant une nouvelle clientèle. Pensons au Wabot au Japon, dont les versions 1 et 2, mises en marché dans les années 1970 et 1980, pouvaient respectivement converser et jouer du piano en lisant des partitions.

2) La résurgence de craintes

L’influence de la fiction

Ce progrès technologique a fait remonter à la surface les nombreux traumatismes liés à la révolution industrielle (milieu du 18e siècle au milieu du 19e). Si, d’un côté, on reconnaissait à la science et aux technologies un pouvoir salvateur, de l’autre, on redoutait aussi de se faire anéantir, trouvant aux inventions technologiques des airs d’« armes de destruction massive ».

Le stéréotype du « savant fou », dont les premières manifestations relèvent d’œuvres de science-fiction comme Frankenstein (1818), hantait à nouveaux les esprits, qui l’associaient aux ingénieurs. Ces angoisses persistaient à tel point qu’au cinéma, des films comme Terminator (1984) y ont fait écho.

La peur d’être remplacé

Aujourd’hui, ces craintes ont évolué sous une forme plus économique : à défaut de craindre seulement d’être dominé par les technologies, on sent son emploi menacé.

53 % des Québécois voient en la technologie et l’intelligence artificielle une menace pour leur emploi

– CIRANO

Au Québec, une étude du Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO) a révélé qu’en 2018, 53 % des Québécois voyaient déjà en la technologie et l’IA une menace pour leur emploi.

Sans surprise, l’enquête précise que ce sont les ouvriers spécialisés et travailleurs manuels qui s’en sentiraient le plus touchés, à raison d’une proportion de 27% d’entre eux.

Cette crainte s’inscrit dans une peur plus globale de voir le robot se substituer à l’homme dans toutes ses sphères d’activité et sociales, incluant les rapports amoureux.

3) Quand le « look » dépend du contexte

Quand on souhaite que les robots nous ressemblent

Une étude menée par le Georgia Institute of Technology a révélé qu’il y avait des contextes particuliers où l’on aimait que les robots nous ressemblent, et d’autres où l’on préfèrerait qu’ils s’apparentent plutôt à des machines, en ce qui a trait à leur esthétique.

Dans le cas d’une expérience conversationnelle, ou pour jouer, par exemple, un robot au visage humain, témoignant d’une forte personnalité, serait plus séduisant auprès de sa clientèle.

« Nous avons remarqué que les jeunes comme les plus vieux avaient tendance à attribuer une valeur émotionnelle aux traits faciaux des robots (…) »

– Akanksha Prakash, chercheuse du Georgia Institute of Technology

Quand les robots humains nous rebutent

Or, dans un contexte où le robot serait plutôt sollicité par son utilisateur pour l’assister à domicile, que ce soit pour des raisons de santé, ou encore pour mener des tâches ménagères, telles que sortir les poubelles, le robot idéal serait plutôt celui qui s’éloigne le plus possible de l’être humain, du moins, sur le plan esthétique.

Pudique, la clientèle serait en effet du genre à juger les comportements des robots à forte personnalité comme étant plus intrusifs, compromettant leur intimité. Les individus auraient aussi tendance à faire preuve d’empathie à l’égard d’un robot attendrissant, et se sentiraient coupables d’en exploiter les facultés pour mener des tâches ingrates.

« Nous avons remarqué que les jeunes comme les plus vieux avaient tendance à attribuer une valeur émotionnelle aux traits faciaux des robots, ce qui a pour effet de générer chez eux de l’inconfort lorsqu’ils interagissent avec ces robots », mentionne la chercheuse qui a mené l’étude, Akanksha Prakash, diplômée du Georgia Institute of Technology en psychologie de l’ingénierie.

À écouter :

Chronique de la rédactrice en chef de CScience, Chloé-Anne Touma, à l’émission Moteur de recherche sur ICI Radio-Canada Première : « Les robots veulent être nos amis, mais doivent-ils nous ressembler ? » – 22 mars 2023 2023

À lire également :

https://www.cscience.ca/2023/03/09/analyse-quand-les-chiens-robots-deambulent-dans-nos-villes/

Crédit Image à la Une : Ameca, robot conçu par Engineered Arts