[AMOUR + TECHNO] Applis et sites de rencontre : aussi addictifs que les jeux vidéo ?

[AMOUR + TECHNO] Applis et sites de rencontre : aussi addictifs que les jeux vidéo ?

Les applis et sites de rencontres sont-ils devenus aussi addictifs que les jeux vidéo ? Dans le cadre de la série de reportages estivaux de CScience consacrés à l’impact de la technologie sur les relations, la journaliste Roxanne Lachapelle vous propose une analyse de la ludification des applis et sites de rencontre. Sont-ils devenus aussi addictifs que les jeux vidéo ?

L’amour est accessible au bout de vos doigts. C’est ce que promettent les applications de rencontre. Alors que celles-ci continuent à gagner en popularité, de plus en plus de chercheurs établissent des parallèles entre ces plateformes et des mécanismes de jeux vidéo. Si trouver l’amour semble être un jeu d’enfant sur ces applications, il importe néanmoins d’observer les processus ludiques qui rendent ces sites si addictifs pour les utilisateurs.

La ludification des sites de rencontres « rend l’environnement de rencontre plus stimulant, ce qui fait en sorte que, alors qu’on ne s’y attend absolument pas, le site de rencontre devienne ludique. On a une approche immersive de la quête de l’amour qui devient gamifiée », résume Marlène Dulaurans, directrice des études du Département des Métiers du Multimédia et de l’Internet de l’IUT Bordeaux Montaigne, en France.

« (La ludification des sites de rencontres) rend l’environnement de rencontre plus stimulant, ce qui fait en sorte que, alors qu’on ne s’y attend absolument pas, le site de rencontre devienne ludique. On a une approche immersive de la quête de l’amour qui devient gamifiée. »

– Marlène Dulaurans, directrice des études du Département des Métiers du Multimédia et de l’Internet de l’IUT Bordeaux Montaigne, en France

Mme Dulaurans a observé sur les sites de rencontres trois principaux aspects qui sont exploités de la même manière que dans les jeux vidéo : la mise en place de mécanismes de jeu pour accompagner l’utilisateur, la proposition d’une dimension de storytelling et l’inclusion d’une dimension réputationnelle qui s’apparente à de la méritocratie.

Les sites de rencontres, un vrai jeu d’enfant!

« La démarche de rencontrer quelqu’un en ligne est très complexe et anxiogène (…) et ça, les sites de rencontres l’ont bien compris », lance Marlène Dulaurans. En effet, devoir entrer en contact avec l’autre, ou ressentir le besoin de créer un profil parfait est source d’anxiété chez de nombreux utilisateurs, et ce, même si l’idée de trouver l’amour en ligne est de moins en moins taboue.

En guise de solution, les sites de rencontre vont accompagner les utilisateurs et simplifier le processus d’inscription autant que possible afin d’éviter de les décourager. Ainsi, en séparant les activités, comme l’ajout de photos, de biographie, en sous-tâches, l’inscription sur le site devient ludique, et surtout facile.

Certaines applications de rencontres utilisent même des mécaniques de dark design afin d’encourager l’utilisateur à poser des actions en amenant chez lui une motivation intrinsèque. Des messages diront par exemple que « cette personne n’accepte que les contacts des profils ayant plus de cinq photos : ajoutez-en », ou encore que « vous aurez 70% plus de chance de voir des profils susceptibles de vous plaire si vous ajoutez une description de vous ». Des mesures incitatives, mises sous forme d’objectifs, invitant l’utilisateur à passer plus de temps sur l’application.

De nouvelles narratives

coeur story narrative

Par la mise en place d’un certain storytelling, l’expérience parvient à capter et à retenir l’utilisateur. Marlène Dulaurans note les six principaux processus de ludification contribuant à enrichir la dimension expérientielle selon Gordon Calleja, professeur en philosophie du jeu à l’Université de Copenhague, au Danemark : la narration, l’émotion, le social, l’espace, le geste et le ludique.

La narration fait de l’amour une quête, un but à atteindre, dans une expérience qui apparaît personnalisée pour le célibataire selon des caractéristiques propres à son univers et ses intérêts personnels. Avec la pléthore de sites existants, tout est possible : l’existence de plateformes rassemblant des personnes ayant les mêmes croyances, métiers, intérêts, religions, etc. « On joue sur une approche qui vous raconte une histoire complètement immersive, comme dans un jeu vidéo », souligne Mme Dulaurans.

« (Les applications de rencontres) joue sur une approche qui vous raconte une histoire complètement immersive, comme dans un jeu vidéo. »

– Marlène Dulaurans, directrice des études du Département des Métiers du Multimédia et de l’Internet de l’IUT Bordeaux Montaigne, en France.

En misant sur la recherche d’émotions, les sites de rencontre permettent une multitude de rencontres, qu’il devient possible de « consommer » la rencontre de manière compulsive, addictive. Sans surprise, près de 30% des utilisateurs des applications de rencontre sont ou ont été accros à ces sites, selon un sondage mené en France. D’autres chiffres révèlent qu’un utilisateur moyen passe près de 10 heures par semaine sur des applications de rencontres.

Afin d’entrevoir différemment la conception de l’amour, l’aspect social de certains sites de rencontre met de l’avant des avatars, des pseudonymes, qui sont très liés aux jeux vidéo. L’espace de rencontre est complètement dématérialisé et revoit les codes sociaux et normatifs habituels, pour le meilleur et pour le pire. Le geste, dont l’idée de swipe, crée des usages particuliers rappelant les jeux vidéo.

Ludification, compétition et réputation

Enfin, « le ludisme est la dimension la plus riche que les sites de rencontre ont exploitée et (celle qui) fait réaliser que la quête de la rencontre amoureuse est super gamifiée », selon Marlène Dulaurans. Des mécanismes de compétition sont inclus, misant sur l’idée d’exclusivité (par des privilèges obtenus par des abonnements, par exemple) ou de classement réputationnel.

« Le ludisme est la dimension la plus riche que les sites de rencontre ont exploitée et (celle qui) fait réaliser que la quête de la rencontre amoureuse est super gamifiée. »

– Marlène Dulaurans, directrice des études du Département des Métiers du Multimédia et de l’Internet de l’IUT Bordeaux Montaigne, en France

Ces applications incluent aussi ce que Mme Dulaurans nomme des mécaniques de déclencheurs, qui ont pour but « d’encourager les utilisateurs à revenir encore et encore » : la sérendipité, misant sur l’effet de surprise, le système de récompense et le metagaming, en sont des exemples. « Cette gamification permet de conserver les clients sur le site Internet. Il y a vraiment une démarche très mercatique », souligne-t-elle.

Et cette démarche semble particulièrement bien fonctionner pour les sites de rencontres. En 2022, le marché mondial des applications de rencontres en ligne était estimé à plus de 7 milliards USD. Un immense marché pour des géants qui en saisissent bien l’ampleur : « La déception sentimentale et la recherche de l’autre sont au cœur de nos préoccupations quotidiennes. Les sites de rencontres proposent une niche parce que ça génère énormément d’argent », avance Marlène Dulaurans.

Elle rappelle aussi que « c’est l’argent qui fait que les sites de rencontres vont essayer de reproduire l’expérience immersive pour vous. Ils ont un intérêt à ce que ça ne fonctionne pas, parce que c’est ce qui fait que vous revenez. »

À lire dans la même série :

https://www.cscience.ca/2023/07/20/amour-techno-robots-sexuels-nos-partenaires-de-demain/

Pour plus de reportages sur la thématique « AMOUR + TECHNO » :

AMOUR + TECHNO

Crédit Image à la Une : Montage photo CScience