Horizons quantiques au Québec : le maillage entre entreprises, talents et recherche

Horizons quantiques au Québec : le maillage entre entreprises, talents et recherche

Bien qu’encore peu familier au grand public, le quantique nourrit déjà des idées de grandeur dans le milieu de la science et de l’innovation, promettant de révolutionner plusieurs secteurs d’activité, et d’y créer des emplois hautement qualifiés et valorisés pour les années à venir. Si les grandes entreprises rencontrent déjà des défis quant au recrutement de professionnels dans les domaines de l’ingénierie et de la recherche quantique, le positionnement et le leadership du Québec en la matière incitent de plus en plus d’organisations à s’implanter dans la Zone d’innovation quantique à Sherbrooke, et à se tourner vers des pourvoyeurs de talents comme Mitacs pour s’enrichir d’une relève qualifiée, soutenant leur essor. Mais comment se dessine cette révolution, et qu’elle en est la promesse d’innovation et d’emplois d’un secteur à l’autre ? CScience s’entretient avec Sylvain Giguère, vice-président du développement des affaires chez Mitacs, pour en dresser le portrait.

L’ordinateur quantique est le gage d’avancées majeures pour le milieu de la recherche et du développement dans tous les secteurs, pour son incomparable puissance de calcul et sa vitesse. Dans l’informatique traditionnelle, qui repose sur un système binaire, on parle de bits, qui correspondent à la plus petite unité d’information manipulable par une machine numérique. En quantique, le premier élément de base d’un ordinateur est le qubit, capable d’être simultanément dans les valeurs 0 et 1, et dans toutes les valeurs intermédiaires du spectre entre les deux, tel que le rappelle M. Giguère, ce qui confère « un potentiel de calcul infini ». À titre d’exemple, le modèle System Quantum One, exploité à Bromont par la Plateforme d’Innovation Numérique et Quantique du Québec (PINQ²), peut supporter jusqu’à 127 qubits. Le dernier modèle de puce développé par IBM, IBM Osprey, en soutient quant à lui plus de 400.

Ordinateur quantique d’IBM à Bromont : une journée historique et « un pas de géant » pour le Québec

Selon Sylvain Giguère, « Nous sommes aux balbutiements de l’industrie quantique. On peut espérer des retombées concrètes et révolutionnaires, mais pas avant cinq, dix, ou même 15 ans », de spécifier le VP du développement des affaires chez Mitacs, un organisme sans but lucratif qui, en partenariat avec les universités, le secteur privé et les gouvernements du Canada et du Québec, aide à relever les défis organisationnels au travers de stages rémunérés, notamment dans le secteur de l’innovation en quantique.

Publicité

La promesse d’une révolution multi sectorielle

Parmi les domaines que le quantique transforme déjà, il mentionne la cryptographie, « parce que cela ouvre tout un champ de possibilités de codage, permettant de décrypter tout ce qu’il y a à décrypter jusqu’à présent, sinon crypter ce qui ne l’a pas encore été. Les communications seront également beaucoup plus rapides, grâce à un cryptage qui est bien plus imperméable aux attaques », optimisant la gestion du risque et renforçant la sécurité des systèmes dans des secteurs où l’erreur est critique, tels que la finance, « qui implique de gros volumes de données sensibles », de pointer M. Giguère.

« On parle, au Canada, de 200 000 emplois créés grâce au quantique d’ici 2045. Au Québec, on s’attend à au moins 50 000 emplois, vu l’essor concentré du secteur dans la province. »

– Sylvain Giguère, vice-président du développement des affaires chez Mitacs

Or, cette puissance de calcul, qui rend le cryptage traditionnel inefficace, représente aussi une menace pour les systèmes de cybersécurité actuels. Mais pour M. Giguère, ça tombe bien, puisque « L’identification de solutions qui répondent à ce problème commence justement par le quantique, ce qui en fait un sujet de valeur stratégique, d’où l’importance de se donner les moyens d’établir son propre hub de développement quantique pour relever les défis qui accompagnent l’opportunité. »

Il ne manque pas non plus de relever la santé, domaine dans lequel les experts sont nombreux à attendre la découverte de médicaments et de traitements grâce à la modélisation moléculaire. « On va ainsi pouvoir réduire le temps et le coût de développement des traitements. Pensons aussi à l’énergie et au transport, où plusieurs projets de recherche et travaux sont en cours. »

La création d’emploi et l’attraction des talents de la relève

En plein essor dans plusieurs industries, le domaine du quantique foisonne d’opportunités pour la création d’emplois parfois insouçonnés, « pour des mathématiciens et des ingénieurs de toutes spécialités, car c’est un domaine d’impact transversal, qui touche toutes les branches du génie, celles-là même qui auront un rôle significatif à jouer dans ce mouvement. Pensons également aux technologies numériques et à l’implication des informaticiens. On parle, au Canada, de 200 000 emplois créés grâce au quantique d’ici 2045. Au Québec, on s’attend à au moins 50 000 emplois, vu l’essor concentré du secteur dans la province », de compléter Sylvain Giguère.

Plus qu’en nombre d’emplois, il estime que « C’est en termes de productivité que l’on va pouvoir mesurer le progrès du secteur quantique et de sa contribution à l’épanouissement de notre économie et de notre société, et à la qualité de vie des citoyens, car nous sommes en contexte de pénurie de main-d’œuvre. Le potentiel d’augmentation de la productivité, grâce au quantique, n’est pas négligeable. »

Des investissements à la hauteur des ambitions du Québec

Le gouvernement du Québec s’est voulu démonstratif quant à son ambition d’exploiter le plein potentiel de la richesse de talents et de recherche produite en sciences quantiques au Québec, et de continuer d’en développer l’expertise et l’application, en formant de nouveaux talents et favorisant l’adoption de technologies en collaboration avec le milieu industriel dans la province.

« Le Québec a la chance de pouvoir compter sur des infrastructures quantiques parmi les meilleures au monde. En combinant la recherche appliquée de l’ÉTS aux infrastructures nouvellement mises en place, on s’assure de créer la synergie nécessaire pour tirer un maximum de bénéfices des sciences quantiques », a d’ailleurs souligné le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, en marge de la récente annonce d’un octroi de 5 millions de dollars à l’ÉTS pour soutenir la réalisation d’initiatives évaluées à 19,1 millions de dollars. C’est dans cet esprit que son ministère entend aussi renforcer son appui auprès de Mitacs, grâce à un investissement de 64,6 millions de dollars étendu jusqu’à 2027.

Des exemples concrets

Parmi les projets notoires du Québec en quantique, on compte le banc d’essai lancé par Numana, catalyseur d’écosystèmes d’innovation technoligique, pour tester la communication quantique, auquel Mitacs a collaboré par la mise en relation entre chercheurs et entreprises et le financement de talents comme parties prenantes.

Le quantique, les avancées en cybersécurité et en efficacité des systèmes de communication

Un trio gagnant

Ces maillages entre instituts de recherche, entreprises et organismes aussi bien de liaison que d’activisme, constituent, selon Sylvain Giguère, les ingrédients d’une recette gagnante pour l’épanouissement de l’innovation en quantique au profit de la collectivité.

Si le retard de transfert technologique, dans d’autres secteurs que le quantique, est observé de manière généralisée au Québec et au Canada, M. Giguère l’explique par un manque de recherche et développement, de brevets, mais aussi d’investissement en machinerie et équipements. « Les PME sont aux prises avec des défis de performance et de productivité. Elles ont une plus petite capacité d’absorption des technologies, et c’est d’autant plus vrai au Canada, où l’enjeu n’est pas le même qu’aux États-Unis, par exemple. » Un constat qui fait écho au témoignage de l’Innovateur en chef du Québec, Luc Sirois, qui rappelait, en entrevue avec CScience il y a quelques mois, que le Québec produit 10 000 fois moins de brevets qu’aux États-Unis.

« Le défi pour faire face à l’achat de propriété intellectuelle, c’est de convaincre les entreprises des bénéfices de miser sur le Québec pour renforcer l’écosystème et mener la révolution du quantique. »

– Sylvain Giguère, vice-président du développement des affaires chez Mitacs

« On pourrait aussi en faire davantage dans l’aéronautique et les technologies en santé. Dans le cas de l’informatique quantique, on parle d’un domaine émergent, qui se fonde sur le plus haut niveau de connaissances et d’infrastructures de pointe atteint en communication et technologies numériques, ce qui élimine un obstacle propre à d’autres secteurs », de suggérer M. Giguère.

Questionné quant à l’équilibre à trouver entre la collaboration internationale et le protectionnisme, quand on sait que plusieurs entreprises locales et talents, dans lesquels le Québec investit, finissent par rejoindre le marché américain, il soutient que « Le défi pour faire face à l’achat de propriété intellectuelle, c’est de convaincre les entreprises des bénéfices de miser sur le Québec pour renforcer l’écosystème et mener la révolution du quantique », qui semble plus accessible que le défi homologue en intelligence artificielle, ne serait-ce qu’à en juger par le nombre d’entreprises qui s’implantent à DistriQ, Zone d’innovation quantique à Sherbrooke.

DistriQ en passe de faire du Québec la puissance mondiale la plus en vue dans le quantique

« Il y a l’Institut de quantique de l’Université de Sherbrooke, l’Université de Montréal et l’ÉTS, qui mènent divers projets de recherche, ainsi que des entreprises qui sont présentes sur la scène québécoise, comme IBM, dont le superordinateur quantique est mis à disposition d’entreprises d’ici afin de mener des tests, et enfin, des start-up issues d’autres provinces canadiennes et même d’Europe qui viennent s’implanter. » Cela représente un nouvel écosystème, qu’il est impératif de structurer grâce à des connecteurs, et c’est là qu’interviennent des organismes comme Québec Quantique et Mitacs, « en connectant les industries et entreprises de toutes tailles, qui ont des besoins de productivité spécifiques, aux bonnes têtes du milieu de la recherche. Cela passe notamment par le financement de tout le processus de recherche et développement, et de talents issus d’universités du Québec et d’ailleurs au Canada », de conclure le VP du développement des affaires.

Crédit Image à la Une : Sylvain Giguère (Mitacs) et ordinateur quantique d’IBM à Bromont (CScience)

Pour en savoir plus sur les défis et solutions de recrutement dans le secteur des technologiques :

Dossier : Les défis de recrutement dans le secteur des technologies