Levez les yeux au ciel… Vous ne les voyez pas, pourtant des milliards de données transitent au-dessus de nos têtes. Avec la puissance décuplée des télescopes, l’astrophysique n’a d’autres choix que de recourir à l’intelligence artificielle pour faire face à cette avalanche de données. Objectifs : découvrir de nouvelles galaxies, comprendre la matière noire et pourquoi pas, esquisser les origines de l’humanité.
« L’intelligence artificielle permet d’accélérer les simulations, de les rendre plus précises et plus exactes », explique Laurence Perreault-Levasseur. En tant que professeure adjointe à l’Université de Montréal et membre associée de Mila, elle animait le 8 mai dernier, le colloque 204 du 90ème congrès de l’ACFAS, consacré aux mégadonnées de la cosmologie et de l’astrophysique.
Selon elle, l’apport de l’intelligence artificielle (IA) « ouvre un univers de possibilités en termes d’analyse de données ». Par exemple, à partir de l’observation de la position des planètes et des lunes du système solaire, on peut entrainer une IA à découvrir la loi de la gravité de Newton et faire des prédictions pour la position future des planètes. « C’est extrêmement prometteur », assure la scientifique.
ASTROPHYSIQUE: UNE AVALANCHE DE DONNÉES
L’astrophysique devient un joueur majeur de l’intelligence artificielle, tant les volumes de données sont de plus en plus colossaux. Le télescope à infrarouge James Webb, capable de détecter les signatures chimiques des images collectées dans l’univers, sera bientôt surclassé par des télescopes générant des milliards de données.
Télescope James Webb : une découverte qui déstabilise les scientifiques
Euclid, le télescope de l’agence spatiale européenne (ESA), dont le lancement est prévu en juillet 2023, sera capable d’observer deux milliards de galaxies. L’une de ses missions sera d’observer et d’étudier l’énergie sombre et la matière noire. « Si l’on veut les faire observer par la science citoyenne, il faudra attendre 50 ans », lâche David Elbaz, astrophysicien au Commissariat à l’Énergie Atomique en France (CEA), au cours d’une conférence en mai 2022.
La caméra en cours de construction à l’observatoire Vera Rubin sera la plus grande et la plus précise jamais construite, avec un capteur numérique de 3,2 milliards de pixels. On pourra ainsi voir des sources de lumière indétectable à l’œil humain.
Le télescope Vera Rubin sera capable d’observer 20 milliards de galaxies et de traiter 20 teraoctets par nuit. Cinq siècles seraient nécessaires au traitement traditionnel des données.
Le télescope de cet observatoire sera capable d’observer 20 milliards de galaxies et de traiter 20 teraoctets par nuit. Cinq siècles seraient nécessaires au traitement traditionnel des données. L’IA devient alors essentielle, d’autant que l’Univers est toujours en expansion.
Quant au radiotélescope géant international, Square Kilometre Array (SKA), dans sa phase finale en 2027, il sera capable de générer un exaoctet de données par jour (un milliard de milliard d’octets). Le volume annuel des informations générées dans le monde représente deux exaoctets.
DES DONNÉES COMPLEXES À TRAITER RAPIDEMENT
Chaque nuit, le télescope SKA va découvrir 10 millions d’objets variables (étoiles qui explosent, trous noirs flottants, …). Il faudra les analyser vite et réagir immédiatement grâce à des algorithmes performants et adaptés.
Selon le doctorant français en astrophysique invité de l’ACFAS, Hubert Bretonnière, spécialisé dans l’étude des galaxies, l’IA doit faire face à trois obstacles : détecter les galaxies malgré un ciel noir, faire face à un signal très bruité et traiter des images qui viennent de télescopes très différents. « Sur quel télescope devrons-nous entraîner les algorithmes ? », s’interroge le scientifique. Il insiste également sur la complexité des données collectées et la nécessité de les traiter rapidement.
La communauté scientifique se questionne également sur ce qu’elle appelle « l’inconnu inconnu » et mesure la limite de l’IA. « Comment identifier des sources intéressantes parmi cette avalanche de données, comment faire le tri, quand on ne sait pas quoi demander à notre algorithme », poursuit Hubert Bretonnière, qui travaille sur ce projet avec son équipe.
LE TROU NOIR, OBJET DE TOUTES LES RECHERCHES
« Les galaxies sont les neurones de l’univers. », expliquait David Elbaz en mai 2022.
Si les galaxies intéressent les scientifiques, les trous noirs, dont on sait aujourd’hui qu’ils sont au cœur des galaxies, concentrent beaucoup de recherches. On les évalue à 40 milliards de milliards…
La matière noire, par leur masse ultra dense et leur force gravitationnelle surpuissante, empêche la lumière de sortir et les galaxies de se disloquer.
Si l’Everest était de la matière noire, il serait compressé à la taille d’un atome.
Grâce à la combinaison de l’intelligence artificielle et de la résolution exceptionnel du télescope « Event horizon telescope », un réseau terrestre de télescopes, on a récemment pu prendre l’image d’un trou noir, pourtant réputé invisible. En quelques jours, on a collecté cinq petaoctets de données, soit l’équivalent de 10 000 laptops.
L’IA permet d’introduire la notion de relativité pour traduire la véritable image, puisque la gravité extrême du trou noir courbe l’espace-temps et déforme l’image.
LE CIELA, INTERSECTION MONTRÉALAISE ENTRE ASTROPHYSIQUE ET IA
Laurence Perreault-Levasseur souligne l’hétérogénéité et la richesse des données recueillies dans l’univers : des données numériques comme des images, des données catégoriques comme des catalogues de galaxies, ou encore des séries temporelles (objet qui varie dans le temps dans l’univers). « On a un potentiel très riche pour la fertilisation croisée entre l’astrophysique et l’intelligence artificielle », se réjouit Mme Perreault-Levasseur.
« On a un potentiel très riche pour la fertilisation croisée entre l’astrophysique et l’intelligence artificielle. »
– Laurence Perreault-Levasseur, professeure adjointe à l’Université de Montréal et membre associée de Mila
Une collaboration complète entre l’astrophysique et l’intelligence devenait nécessaire. C’est ainsi qu’est né récemment l’institut montréalais CIELA, à l’intersection de ces deux disciplines. L’une des missions de CIELA est de rendre possible cette nouvelle génération de découvertes en astrophysique. Sans surprise, Yoshua Bengio, directeur de recherche du Mila, s’est joint à l’équipe.
Plusieurs projets sont actuellement sur la table de l’institut, qui prépare les nouvelles générations d’algorithmes qui révèleront les prochaines générations de cartes de l’univers.
La 90ème édition du Congrès de l’ACFAS se déroule du 8 au 12 mai 2023 à l’Université de Montréal.
[credti]Observatoire Vera Rubin – Rubin Observatory under the Milky Way – Crédit: B. Quint/ Rubin Observatory/NSF/AURA – Creative Commons Attribution 4.0 International License)[/credit]