Alors que je suis chez moi en train de préparer une activité d’éducation numérique pour enfants pour la bibliothèque de ma ville, je suis exposée aux informations et à la mesure prise par notre belle province pour répondre au problème d’invasion des téléphones en cours. Le Québec a décidé d’adopter une mesure interdisant les cellulaires en classe. L’objectif étant de lutter contre les distractions pour favoriser la concentration et l’écoute indispensable à un bon apprentissage des élèves. Je ne peux m’empêcher d’y voir une fois de plus un besoin criant qui n’a toujours pas de réponse adaptée…
En partageant le constat d’un problème de l’usage des téléphones cellulaires en classe, il semble que la question de l’éducation numérique soit malheureusement mise au second plan pour privilégier une mesure d’urgence répondant à un problème prouvé, mais auquel on n’apporte pas nécessairement de solution pertinente à long terme.
Comment avoir une approche éducative qui permet de préparer les élèves à une réalité numérique de plus en plus prégnante dans chaque sphère de la vie ?
Un appel à la mesure
En vigueur depuis le 31 décembre 2023, cette mesure fait donc du Québec la 2ème province canadienne (après l’Ontario) à l’avoir adoptée, et fait écho à des politiques que l’on a aussi pu voir appliquées dans d’autres pays, notamment en France où les téléphones cellulaires ont été bannis des écoles en 2018 (aussi bien en classe que dans les cours de récréation).
Il a aussi notamment été rapporté que l’un des facteurs ayant contribué à cette prise de décision de la part du ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, est la lecture d’un rapport de l’UNESCO faisant état des effets négatifs de l’usage non encadré de la technologie, et des téléphones cellulaires en classe.
Plusieurs études font d’ailleurs état de ces désagréments. Et lorsqu’on sait que la majeure partie du temps passé sur internet est dédiée à de l’activité sur les réseaux sociaux, à envoyer des messages et à s’informer, on peut comprendre l’inquiétude engendrée. Il a aussi été rapporté par l’UNESCO que même dans le contexte d’utilisation des outils numériques conçus pour l’éducation, des risques se portaient notamment sur le manque d’opportunités de socialiser, et sur d’autres effets affectant la santé physique et mentale, par l’extension du temps passé en ligne lorsque celui-ci intervient ainsi en classe.
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Les impacts de la technologie en éducation
D’autres études positionnent la technologie numérique comme un lieu pour beaucoup d’opportunités en éducation puisqu’elle offrirait des environnements engageants et immersifs. Mais selon l’UNESCO, non seulement les effets sont surtout plébiscités dans des études sponsorisées par les acteurs technologiques qui vendent ces outils, mais par ailleurs, trop d’initiatives partent de la question d’appliquer une technologie en classe. Au contraire, il faudrait commencer par recenser les objectifs pédagogiques et sélectionner ceux qui pourraient être appuyés par la technologie.
Il faut dire aussi que les technologies évoluent trop vite pour laisser le temps, en contexte de rigueur académique, de prendre des décisions éclairées en fonction des résultats actionnables. Par ailleurs, les applications et leurs contextes ne sont pas suffisamment standardisés pour que les impacts observés permettent de prendre du recul et d’extraire des règles de fonctionnement applicables à d’autres situations.
Il devient donc difficile de prendre des décisions en éducation, de faire des choix politiques, et de construire des cadres législatifs de manière informée sur des technologies quant à leur utilisation en enseignement.
Étude de cas : la technologie en éducation pendant la pandémie
Bien sûr, la technologie a permis de maintenir un fil de communication actif entre les élèves et les équipes pédagogiques pendant la pandémie. Mais elle a aussi fait ressortir une certaine disparité entre les apprenants, aussi bien en raison de leurs besoins distincts que des inégalités d’accès aux appareils numériques connectés.
Il ne faudrait pas détourner l’opinion publique du véritable problème : le manque d’éducation numérique des jeunes avant qu’ils soient confrontés aux problèmes de la vie numérique!
Par ailleurs, le travail incroyable des enseignants pour s’adapter à un contexte inédit a sauvé le lien avec l’école, tout en exacerbant le besoin de moyens supplémentaires pour soutenir le corps enseignant, tels que les formations, les équipements et le soutien opérationnel.
On a donc eu une révélation des limites des outils technologiques à des fins pédagogiques pour remplir la mission de l’école qui est bien plus vaste et fondamentalement humaine que celle surtout centrée sur la mise à disposition de contenus.
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L’interdiction, un pansement ?
Dans ce cadre, et avec la santé mentale des enfants comme préoccupation grandissante chez les parents, on ne peut que comprendre qu’il fallait agir dans l’urgence. Mais comme avec tout outil, son interdiction ne se substitue pas à l’apprentissage de sa maîtrise!
Comprendre la technologie est indispensable pour comprendre le monde dans lequel on vit, que l’on soit sur Internet ou pas.
Il ne faudrait pas détourner l’opinion publique du véritable problème : le manque d’éducation numérique des jeunes avant qu’ils soient confrontés aux problèmes de la vie numérique!
La nécessité de l’éducation numérique
Le fait de former les plus jeunes en technologie, mais aussi de leur faire développer leur pensée critique et l’intelligence émotionnelle qu’elle appelle, doit constituer un pilier fondamental de l’éducation pour les jeunes d’aujourd’hui. Ce constat, souligné notamment par l’UNICEF, est aussi associé à des opportunités supplémentaires qui viennent renforcer une solution pérenne pour une utilisation modérée et même profitable du numérique. Comprendre la technologie est indispensable pour comprendre le monde dans lequel on vit, que l’on soit sur Internet ou pas.
Pourtant, comprendre les tenants et les aboutissants de la technologie, peu importe le métier que l’on vise, devient une urgence absolue pour les plus jeunes.
Il s’agit de comprendre non seulement les enjeux de la cybersécurité mais aussi les facteurs de la citoyenneté numérique qui touchent entre autres à la compréhension des communications numériques, du traitement de l’information, et de l’économie du numérique. La prédominance d’internet appelle à aider les plus jeunes à anticiper les motivations, les mécaniques et les risques bien au-delà des interfaces numériques pour la souveraineté d’une citoyenneté numérique.
Malheureusement, construire de tels curriculums et les mettre en place dans les écoles ne constitue pas encore de mesures « glamour » ou qui font le « buzz », tant le travail de coordination, l’élaboration d’infrastructure actuelle et même de formation des décisionnaires est à fournir.
Pourtant, comprendre les tenants et les aboutissants de la technologie, peu importe le métier que l’on vise, devient une urgence absolue pour les plus jeunes. Apprendre à lire, à compter et à penser pour naviguer dans le monde actuel doit inclure la compréhension de la technologie. Il faudrait s’y consacrer davantage et aussi tôt que possible, parce que l’éducation numérique est une urgence, et parce que nous le devons à nos enfants et à notre société toute entière!
Crédit Image à la Une : RDNE Stock project, Pexels
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