[AMOUR + TECHNO] Applis et sites de rencontre : entre échec et succès

[AMOUR + TECHNO] Applis et sites de rencontre : entre échec et succès

Difficulté à trouver des matchs, harcèlement, baisse d’estime, ghosting, les défis et problèmes sont nombreux sur les sites et applications de rencontre. Comment expliquer leur immense popularité, alors que de plus en plus d’utilisateurs se plaignent de mauvaises expériences sur ces plateformes?

Le subreddit r/TinderData regroupe les statistiques d’utilisateurs de l’application Tinder, présentant leur nombre de « swipes » faits à gauche et à droite, de matchs obtenus, de chats initiés, de rencontres en personne obtenues, etc. Un constat semblable se dessine au travers de leurs chiffres et data : malgré d’innombrables swipes, minimes sont ceux qui mèneront à des rencontres en personne. Il n’est d’ailleurs pas rare que des utilisateurs fassent plusieurs dizaines de milliers de swipes avant d’obtenir un seul rendez-vous en personne.

Florian Saugues, directeur de projet chez Numana, a par le passé utilisé ce type d’application de rencontre. Une expérience qu’il décrit comme étant aussi intéressante que négative, et qui l’a menée à se questionner sur l’impact qu’un swipping compulsif, ne résultant qu’en très peu de matchs, peut avoir sur le bien-être des individus. « Après avoir swippé 100 000 fois, avoir eu seulement 100 matchs et n’avoir rencontré personne, est-ce seulement possible de se sentir bien là-dedans? Je ne vois pas comment… »

« Après avoir swippé 100 000 fois, avoir eu seulement 100 matchs et n’avoir rencontré personne, est-ce seulement possible de se sentir bien là-dedans? Je ne vois pas comment… »

– Florian Saugues, directeur de projet chez Numana

Selon Noé Klein, candidat au doctorat en Sociologie à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), l’impact de ces pratiques compulsives menant à un rejet est complexe à mesurer : « C’est assez difficile de documenter l’impact que ça a, parce qu’on a assez peu de données réelles. Ce qu’on peut dire sur l’accès à des bassins de partenaires immense et la possibilité d’y accéder rapidement est que ça change la possibilité de faire des rencontres : ça devient quelque chose de pratiquement infini, menant les personnes à parfois développer des exigences plus grandes ou à avoir des critères plus précis, mais ce ne serait pas forcément vrai pour tout le monde. »

Si l’impact sur le bien-être des individus est peu étudié à ce jour, il est plus facile d’observer la place massive que prennent les plateformes en ligne dans l’univers des rencontres. Aux États-Unis, tout comme dans une bonne partie des sociétés occidentales, le moyen le plus populaire afin de faire des rencontres est par les applications de rencontre, passant devant le réseau d’amis, l’école et le travail. Le côté rapide, accessible et démocratique de ces plateformes contribue à leur essor.

Genre, âge et usage

Si des tendances claires et plutôt inévitables se dessinent au travers des statistiques des utilisateurs, plusieurs facteurs ont un grand impact sur leur expérience en ligne, dont le genre de l’individu et ses motifs d’utilisation de la plateforme.

Les hommes représentent près de 75% des utilisateurs de Tinder internationalement. Ce déséquilibre démographique explique en partie pourquoi les femmes ont près de 25 fois plus de chances d’avoir des matchs que les hommes, et dicte, d’une certaine manière, les comportements normatifs et genrés sur ces applications. « Les hommes vont envoyer beaucoup plus de sollicitations et recevoir beaucoup moins de réponses positives, là où les femmes vont recevoir énormément de sollicitations, dont des sollicitations non désirées, et vont faire un plus gros travail de filtrage », résume Noé Klein.

Selon différentes expériences d’utilisateurs, ce filtrage en ligne limite souvent grandement les rencontres réelles, alors que des centaines d’échanges de messages ne donnent qu’une poignée de rendez-vous, avec un peu de chance. Devant ce constat, Florian Saugues croit qu’il faut réfléchir à « ce qui se passe de manière systémique dans la société pour qu’aussi peu de matchs résultent en des rencontres », notamment aux comportements normatifs genrés qui s’inscrivent dans la culture des applications de rencontre.

L’utilisation de ces applications varie aussi selon l’âge. De manière générale, les personnes de moins de 30 ans y sont à la recherche de relations éphémères, mais saines, tandis que les utilisateurs plus âgés recherchent une relation à plus long terme.

Cependant, on observe de plus en plus de réappropriation du sens donné à ses applications, notamment chez certaines communautés LGBTQ+. Si 80% des hommes et 55% femmes étudiant au collégial aux États-Unis y cherchent des « rencontres occasionnelles », certains groupes voient néanmoins Tinder comme une manière de contourner la « hookup culture » (relations sans engagement).

« Ce genre de choses, dont la ‘hookup‘ culure, est dans la culture de base de ces campus-là. Tinder, qui est hors de ces campus associés à cette culture, est utilisé pour la contourner et pour bâtir des relations plus sérieuses. C’est un détournement de l’image qu’on a de Tinder qui est fait par les jeunes dans ce contexte », avance M. Klein.

Comment expliquer leur succès?

Mais peu importe l’usage qu’on fait du site ou le profil d’utilisateur qui nous caractérise, faire des rencontres demeure bien souvent une tâche moins simple qu’elle en a l’air. « Comment peut-on justifier que quelque chose de ce faible niveau de performance, parce qu’on vit dans un système qui cherche à être productiviste, puisse exister et gagner autant d’argent? Comment expliquer qu’il y a autant de sites de rencontres qui existent, alors qu’ils produisent autant de frustration et de mal-être? », se demande M. Saugues.

Noé Klein propose deux pistes de réponse à cette interrogation. D’abord, les idéaux sociaux quant aux liens amoureux expliquent le retour constant des utilisateurs sur l’application, même si elle entraine son lot d’échecs : « On est dans une société où l’on met vraiment en avant l’intimité, la recherche de partenaires. On a aussi en parallèle de ça la même chose avec la sexualité, même si c’est plus récent. Il faut qu’on ait une sexualité accomplie et active. Ces applications proposent à la fois la recherche d’amour ou de partenaires sexuels, donc ça s’inscrit dans une quête partagée très largement dans la société, et les gens vont y adhérer sans même réaliser à quel point c’est quelque chose d’ancrer dans nos attentes. »

https://www.cscience.ca/2023/07/13/amour-techno-les-applis-et-sites-de-rencontre-aussi-addictifs-que-les-jeux-video/

Ensuite, les processus de ludification de ces sites contribuent en grande partie à la popularité de ces applications. « Elles sont conçues pour qu’on y reste et que, même si ça ne fonctionne pas toujours bien, on soit constamment nourri et stimulé de sorte à ce que ça donne envie de continuer », poursuit-il. Ainsi, « le système addictif des applications peut expliquer le succès qu’elles ont, même si ce succès ne se traduit pas forcément de manière concrète dans la vie des gens », ajoute le chercheur uqamien.

Parallèlement à ces mécanismes de ludification, M. Klein souligne aussi l’approche capitaliste de ces plateformes. « On est de plus en plus conscients que les applications sont là pour accumuler des données : elles ne sont pas faites pour qu’on y trouve l’amour, mais pour être rentables et avoir des données à revendre. Il y a des gens qui disent développer un regard critique à cet égard, conscients du fait que les applications ne cherchent pas forcément leur bien et développent un rapport un peu cynique en lien avec ça », défend le chercheur.

À lire dans la même série :

https://www.cscience.ca/2023/07/27/amour-techno-sexologie-spatiale-le-plaisir-jusquaux-cieux/

Pour plus de reportages sur la thématique « AMOUR + TECHNO » :

AMOUR + TECHNO