Des images générées par l’IA, inspirées des phénomènes naturels et célestes qui ont ému les Québécois, comme la tempête solaire et ses aurores boréales, sinon l’éclipse totale du 8 avril, circulent sur les réseaux sociaux. Y donnant une dimension sensationnaliste, elles contribuent à la désinformation scientifique.
Parmi les millions de Canadiens et d’Américains qui ont assisté à l’éclipse totale le 8 avril dernier, nombre d’entre eux en ont profité pour sortir leurs caméras et immortaliser le spectacle, se doutant qu’ils ne le verraient probablement qu’une seule fois dans leur vie. La plupart d’entre eux ont réussi à photographier l’anneau de lumière qui perçait le ciel noir, alors que d’autres ont passé plusieurs heures à capter le phénomène pour faire de magnifiques montages montrant la trajectoire de la Lune dans le ciel ainsi que toutes les phases de l’éclipse.
Certains, quant à eux, ont réussi à créer des images plutôt surréalistes, avec beaucoup de couleurs, de détails ou de lumière. Malheureusement, toutes ces belles images ont une chose en commun : elles ont été créées avec l’aide de l’intelligence artificielle.
N’y voir que du feu
Damian Peach, astronome amateur et astrophotographe, a dénoncé la situation sur son compte Facebook le 9 avril dernier en publiant un montage de fausses images de l’éclipse, mentionnant que leur nombre est beaucoup plus élevé cette année qu’en 2017, lors de la dernière éclipse solaire totale aux États-Unis. « Je pense que ce qui est le plus troublant, c’est qu’avec la grande popularité de certaines de ces images, la grande majorité des gens ne peuvent pas faire la différence entre ce qui est faux et ce qui ne l’est pas », souligne-t-il.
« J’ai l’impression que cela participe à une certaine désinformation ou une certaine détérioration de la qualité des informations qui nous entourent en science. »
– Marie-Eve Naud, astronome et communicatrice scientifique
Marie-Eve Naud, astronome et coordonnatrice scientifique à l’éducation et au rayonnement à l’Institut Trottier de recherche sur les exoplanètes, croit que cette vague de fausses images de l’éclipse qui a réussi à berner plusieurs internautes montre que le domaine de l’éducation scientifique doit parfaire son adaptation. « Il y a toujours eu une certaine éducation pour trouver la bonne information et trouver des sources fiables, sauf que là, ça rajoute beaucoup de bruit. Ça demande d’être plus à l’écoute, plus alerte, plus critique, d’avoir des compétences de plus en plus élevées pour valider l’information, et cela va générer un certain cynisme de la part de la population, une méfiance qu’on perçoit déjà à l’endroit de la science. Étant donné qu’il y a tellement d’informations fausses qui circulent en même temps que la vraie, cela peut écœurer certaines personnes […] J’ai l’impression que cela participe à une certaine désinformation ou une certaine détérioration de la qualité des informations qui nous entourent en science », déplore la scientifique.
« Pour beaucoup de gens c’est un peu banal, ça n’aura pas une grande incidence dans leur vie, ça va peut-être même les aider à connecter positivement avec cet événement-là. Ils ont vu une belle image, et ont ressenti une belle émotion. » Leur apprendre que l’image qui a piqué leur curiosité, dans un domaine qui leur est étranger, était fausse, peut être démotivant et les pousser à moins s’intéresser à la science à l’avenir, car, comment peuvent-ils distinguer vrai du faux parmi tous les contenus qui leur sont présentés sur le web ?
Quels moyens de mieux s’y retrouver
Les logiciels de génération d’images sont de plus en plus performants, mais il y a encore plusieurs manières de repérer leurs créations, incluant les images de l’éclipse. « Qui a publié cette image là ? Est-ce que c’est un compte qui utilise clairement des mots-clics ? Est-ce que c’est quelque chose qui a été repartagé sans trop d’informations ? », sont des questions que Marie-Eve Naud trouve pertinentes à se poser lorsque l’on tombe sur une image un peu spectaculaire se voulant le reflet d’un événement réel.
Elle ajoute aussi que souvent, lorsqu’un astrophotographe ou un astronome amateur publie une photo, elle est accompagnée d’informations concernant le lieu de l’événement illustré, l’équipement utilisé pour le photographier, le processus de création de l’image ainsi qu’une accréditation si elle ne lui appartient pas. Si la publication ne contient aucune de ces informations, cela peut être un pas dans la direction de la fausseté.
Il est également important de se questionner quant à ce que l’image nous évoque lorsqu’on la regarde, selon Mme Naud. On doit se demander ce qu’on y reconnaît, si cela nous paraît impossible ou improbable, et se fier aux connaissances que l’on a acquises, soit à l’école ou au quotidien en faisant l’expérience de la vie.
Sur une image générée de l’éclipse derrière la tour du CN, par exemple, plusieurs éléments devrait nous alerter quant à ses attributs artificiels. La totalité de l’éclipse solaire du 8 avril a eu lieu vers 15h25 environ, et selon Mme Naud « monsieur et madame Tout-le-monde peut se souvenir qu’en après-midi, le soleil est plus haut, il n’est pas à l’horizon ». De plus, la ville de Toronto était couverte d’un ciel nuageux cette journée-là, et vu du lac Ontario, le Centre Rogers (la structure sphérique) est situé à gauche de la tour CN, et non à sa droite.
L’astronome explique que généralement, il suffit de faire des recherches sur internet avec deux ou trois mots-clés en lien avec une image artificielle, pour voir des sources qui l’auront décryptée. Avec l’image évoquée plus tôt, il suffit de chercher « tour du CN », « éclipse solaire » et « fake » sur Google pour tomber sur un article de l’Agence France-Presse (AFP) décryptant son origine.
L’événement « appelle à une éducation scientifique différente » selon Marie-Eve Naud. Il sera important, à l’avenir, lorsqu’il sera question d’éclipses, de comètes ou même de feux de forêts, avec l’été qui approche à grands pas, de développer un meilleur sens critique, et de se questionner quant à l’origine des images que l’on voit sur les réseaux sociaux.
Crédit Image à la Une : A4size-ska, DeviantArt