Selon différentes sources, des applications utilisant l’intelligence artificielle pour traquer le virus seront déployées au Canada dans les prochains jours. Un de ces outils technologiques est développé au Québec.
À Montréal, l’Institut Mila, dirigé par le pionnier en intelligence artificielle Yoshua Bengio, en collaboration avec des chercheurs de l’Université de Montréal, de l’Université McGill et de l’Université de Toronto, poursuit ses pourparlers avec le gouvernement du Canada. “Nous avons des échanges concernant les attentes du gouvernement par rapport au respect de la vie privée et aux droits humains, ce qui n’est pas négociable, autant pour nous que pour eux”, explique Vincent Martineau, porte-parole de Mila.
Comment ça marche?
L’application de Mila (qui n’est pas encore baptisée) cherchera à automatiser le travail réalisé jusqu’ici par des professionnels de différents établissements de santé. Ceux-ci travaillent sur le terrain et tentent de tracer les mouvements des personnes infectées en analysant les déplacements des deux semaines précédant la contagion. Avec Mila, ce travail devient virtuel.
Selon Vincent Martineau, Mila “cherchera à calculer, selon les contacts, l’âge, l’état de santé et le lieu de résidence, la probabilité qu’une personne soit porteuse du coronavirus et donnera des informations pour savoir quoi faire à quelle étape du développement de la maladie.”
L’application servira également à la santé publique à se baser sur des données fiables afin d’établir des stratégies de déconfinement sans créer une deuxième ou d’autres vagues de contagion.
Bluetooth versus GPS
Téléchargé sur une base entièrement volontaire, l’outil gratuit devrait se servir de Bluetooth plutôt que de la géolocalisation. Ainsi, les téléphones ne seraient pas suivis en continu, mais plutôt avertis lorsque ceux-ci croisent d’autres utilisateurs de l’application. Les appareils croisés permettraient de connaître le niveau de risque de chacun.
Le GPS susciterait des problèmes en matière de précision des données, puisque la technologie peut parfois compter une marge d’erreur de cinq mètres.
Ça se fait déjà ailleurs
En Asie ces dispositifs ont largement été déployés. Comme à Singapour par exemple où l’application TraceTogether a été téléchargée par un individu sur huit. Des outils similaires sont utilisés en Allemagne. Dans tous les cas les résultats sont mitigés. En France, l’appli. Stop Covid devrait être mise en place lors du déconfinement mais elle fait encore débat.
Limites techniques
Pour que la technologie soit optimale, il faut que les individus concernés téléchargent l’application, qu’ils se promènent avec leurs téléphones allumés et qu’ils fournissent les informations adéquates à la plateforme.
“Ça repose quand même sur l’idée que rester dans une zone sensible augmente le risque d’infection, ce qui est raisonnable comme réflexion,” nuance Martin Gibert, philosophe au Centre de recherche en éthique de l’Université de Montréal. “Mais si y a du plexiglass entre moi et l’autre, l’application ne voit pas ça. Y a tellement de facteurs qui rentrent en jeu. L’appli. ne peut pas identifier les choses que tu touches. Elle ne se rend pas compte d’une porte de métro touchée qui serait infectée.”
Acceptabilité sociale
Un récent sondage de la firme Léger dévoile que 49% des Québécois sont en désaccord avec l’application de telles technologies pour lutter contre la pandémie. Une appréhension quasi identique à l’ensemble du Canada (48%).
Les différences d’âge génèrent un plus grand clivage. Chez les 18-35 ans, 55% expriment un désaccord avec la méthode. C’est assez proche chez les 35-54 ans avec 52% de désaccord, mais chez les 55 ans et plus, un des segments de la population les plus à risques de complications de santé liées à la Covid-19, le désaccord diminue drastiquement, à 39%.
Enjeux éthiques
Données personnelles
Selon différents observateurs, les utilisateurs n’ont pas à s’inquiéter en matière de données personnelles. Celles-ci ne seront pas partagées sur la plateforme, et elles ne seront pas rendues disponibles à des géants comme Facebook ou Google.
Stigmatisation
La stigmatisation des individus et des quartiers à risque est un facteur à surveiller, selon Martin Gibert. L’équipe du chercheur en éthique a récemment présenté les enjeux éthiques majeurs que suscitent de telles applications.
Parmi celles-ci, on compte la dépendance au sentier, qui stipule qu’une solution temporaire peut être dangereusement considérée comme un nouveau statu quo.
“Même si on est prêt à abdiquer nos libertés pour plus de sécurité, faut envisager ça comme un truc temporaire et faut que ce soit présent dès le début de l’application.” explique Martin Gibert. “Là on est en période de stress, on veut être immunisé, on pourrait être prêt à dire “tant pis, géolocalisons les gens”, mais ça pourrait être un premier pas vers une société de contrôle de masse.”
La Commission d’accès à l’information du Québec rappelle que « ces outils technologiques ne sont pas sans conséquence sur les droits fondamentaux ».
Éviter le « triomphalisme technologique »
Selon Martin Gibert, il faut prendre conscience du caractère imparfait des solutions technologiques, qui font partie d’un arsenal plus large voué à combattre la pandémie.
“On a un marteau, l’intelligence artificielle,”, conclut le chercheur. “Et quand on a un marteau, tout ressemble à des clous.”
Allez-vous vous procurer ce marteau quand il sera disponible?