Est-il trop tard pour protéger nos sociétés démocratiques à l’ère du numérique?

Est-il trop tard pour protéger nos sociétés démocratiques à l’ère du numérique?

Les élections provinciales ont eu lieu. Nonobstant qui a gagné, le pourcentage de voix obtenu, le nombre de sièges occupés, le fait de voter est un geste de confiance que nous accordons envers un parti politique et son chef. Le même principe s’applique lorsque nous décidons de télécharger une application sur notre cellulaire et d’en accepter (cette fois-ci de facto sauf si vous avez quelques jours devant vous) les conditions générales. C’est un vote de confiance que nous donnons envers l’éditeur de l’application.

Et pourtant, le rapport de force est totalement inversé. Voter pour un gouvernement, c’est s’attendre à ce que celui-ci pose des gestes, édicte des lois, réalise des investissements qui nous soient favorables en tant que société.

Décider d’installer une application sur notre cellulaire, c’est, dans la réalité, offrir à l’entreprise privée qui l’édite, nos données personnelles liées à son utilisation mais surtout liées à nos comportements, pour qu’elle puisse influencer ce que nous devons faire afin que ce lui soit favorable.

Le leurre de la gratuité

Le rapport de force est inversé et accepté en tant que tel, puisque cette application nous apporte précisément ce que nous pensons essentiel à notre quotidien, éliminant bien des frictions et nous faisant gagner bien du temps, et le tout de manière gratuite la plupart du temps.

« Si c’est gratuit, c’est que ce sont vos données comportementales qui sont le produit, pas vous. »

Mais rien de tout cela ne devrait être toléré, car petit à petit, à l’image de fourmis charpentières qui indument grignotent la structure de votre maison, ces applications numériques affaiblissent nos démocraties qui finiront par arriver à un point de rupture si rien n’est fait par ceux pour qui nous avons voté.

L’expression bien connue de tous qui dit que « Si c’est gratuit, c’est que c’est vous le produit » appartient désormais au siècle passé. Aujourd’hui, nous devons avoir conscience que si c’est gratuit, c’est que ce sont vos données comportementales qui sont le produit, pas vous.

Le pouvoir souverain en déclin

Un petit tour sur Wikipédia nous ramène à la base de ce qu’est une démocratie : une union entre « demos » qui veut dire « peuple » et « kratein » qui veut dire « commander ». Dit autrement, ce sont tous les citoyens qui participent aux décisions publiques et à la vie politique.

Ce terme désigne aujourd’hui tout système politique dans lequel le peuple est souverain. Et c’est seulement si le peuple, en qui repose ce pouvoir souverain, délègue une partie de sa souveraineté à des institutions crées spécialement pour résoudre des problèmes spécifiques, que nous pouvons dire que nous avons un gouvernement de forme démocratique.

Maintenant, un petit tour au Capitol (Trump), ou un petit tour en Angleterre (Brexit), et on comprend que ce pouvoir souverain n’est plus ce qu’il était. Il s’effrite tranquillement et se partage de plus en plus avec des entreprises privées, qui pour la plupart ne sont pas des citoyens corporatifs de notre propre pays ou province.

En n’agissant pas, ce sont nos propres institutions qui à leur tour sont en train de leur déléguer une partie de la souveraineté que nous leur avons confiée, pour que, grâce à leur toute puissance technologique et leur portée de plus en plus infinie, ces nouveaux citoyens corporatifs puissent résoudre des problèmes spécifiques. Gagner du temps.

Le tournant du 11 septembre

Éliminer les frictions. Rendre la vie plus simple. Nos gouvernements ne résistent pas plus au charme des géants du numérique que nous ne le faisons à l’échelle individuelle. L’exemple le plus frappant concerne Google, qui ne serait probablement pas le même Google qu’aujourd’hui si un événement charnière n’avait pas eu lieu, j’ai nommé les attentats du 11 septembre 2001.

C’est à partir de ce moment-là que l’administration Bush fils a donné les coudées franches à cette entreprise privée pour récolter un maximum de données sur l’ensemble du peuple américain et quelques autres dans le monde, afin de « gagner du temps », « éliminer les frictions administratives » et « simplifier le travail » pour trouver l’origine terroriste de ces attentats*, mais ouvrant sans en être forcément conscient, une certaine forme de dérive vers une démocratie partagée.

La bonne nouvelle c’est qu’il existe des moyens pour protéger nos démocraties à une époque de plus en plus numérique. La Chine en adopte (j’en reparlerai), l’Union Européenne en adopte (j’en reparlerai), et l’Amérique du Nord également. La véritable question en revanche que nous allons devoir collectivement nous poser est « Est-il déjà trop tard, le mal est-il déjà fait ? ». Et ça aussi, j’en reparlerai.

*Selon le livre « L’âge du capitalisme de surveillance » de Soshana Zuboff

Crédit Image à la Une : Matthew Henry, Unsplash et Pexels