En cette semaine du souvenir, les cérémonies de commémoration en l’honneur de nos vétérans m’ont amené à réfléchir à la place de l’IA dans la guerre.
Carl von Clausewitz
Le général Vincent Desportes l’exprime clairement dans son ouvrage « Décider dans l’incertitude » : « Le monde, matériel et immatériel, est marqué d’une caractéristique indéfectible : l’incertitude, qui en est la seule véritable certitude. Par nature, le réel est indéterminé et aléatoire, chaotique et instable. Toute action humaine y est de nature dialectique, car elle se heurte très vite à la volonté de l’Autre… S’il veut jouer son rôle, le chef n’a pas d’autre choix que de concevoir et conduire son action dans « la certitude de l’incertitude ».
Dans nul autre domaine les choix n’atteignent une telle complexité. Dans le « brouillard de la guerre », tel que l’a nommé Carl von Clausewitz, jamais le décideur ne s’est trouvé plus démuni.
« Dans le « brouillard de la guerre », tel que l’a nommé Carl von Clausewitz, jamais le décideur ne s’est trouvé plus démuni (…) Il n’est donc pas surprenant, si l’on additionne incertitude et probabilité, que l’art de la guerre soit un domaine de prédilection pour l’IA. »
Napoléon le savait mieux que tout autre, lui qui demandait, lorsqu’on lui présentait un nouveau général, « A-t-il de la chance ? ». Et, pourtant, on l’ignore souvent, Napoléon préparait ses batailles de façon mathématique et minutieuse. Pour chaque phase de son engagement, il en prévoyait la probabilité de réussite de manière quantitative.
Il n’est donc pas surprenant, si l’on additionne incertitude et probabilité, que l’art de la guerre soit un domaine de prédilection pour l’IA.
Trois champs d’application à considérer
1. L’armement
Le Loyal Wingman
L’armement d’abord, comme outil principal d’un conflit armé : depuis plusieurs années déjà, nous avons vu apparaitre des armes dites « intelligentes ». Cette intelligence présumée s’applique surtout, pour le moment, à des systèmes de guidage. Une bombe, ou un missile, équipé d’un système de reconnaissance d’image et d’un guidage satellitaire de type GPS, pourra trouver sa cible avec une grande précision. Comparé aux bombardements massifs de la seconde guerre mondiale, on opère une économie de coût car besoin de moins de munitions (n’oublions pas que toute guerre est avant tout économique), et une économie humaine en limitant les victimes collatérales.
Mais on voit arriver, depuis peu, une tout autre dimension dans l’armement dit intelligent, avec les « robots tueurs ». Ces mécaniques armées, sont équipées d’un système de reconnaissance d’images et de situations, ainsi que d’un système de décision de l’ouverture du feu. On citera comme exemple le « Loyal Wingman » de Boeing, un drone armé censé créer une zone de protection autour d’un avion de chasse. Ou encore les « robots tueurs autonomes », terrestres, en cours de développement, malgré de nombreuses réactions internationales. En effet, donner à une machine, la liberté de décider d’ôter une vie humaine de sa propre initiative, présente un problème éthique considérable.
2. La logistique
Un robot tueur
La logistique ensuite : domaine purement quantitatif, essentiellement fondé sur de la gestion de flux, c’est LE domaine de prédilection de l’IA et de ses algorithmes d’optimisation. Gestion des approvisionnements en équipements, nourriture et munitions à flux tendu, anticipation des consommations et identifications des itinéraires, sont des savoir-faire déjà largement développés dans le monde civil et qui trouvent leur utilisation naturelle dans le monde militaire. A l’opposé des « robots tueurs », la technologie se rattrape avec la conception des « robots sauveteurs ». Ceux-ci parcourent le champ de bataille, identifient les blessés, leurs prodiguent les premiers soins et les ramènent vers l’hôpital de campagne le plus proche.
3. La planification et la décision
Le Kriegspiel prussien
Et enfin, le cœur du problème, la planification et la prise de décision : développé par l’armée prussienne au cours du 19ème siècle, le Kriegspiel ou jeu de guerre, est la simulation des phases d’un engagement afin d’en identifier les forces et les faiblesses et en calculer les probabilités de succès. Le logiciel Janus, développé par les américains il y a plus de 25 ans, initialement codé en Fortran, est devenu aujourd’hui, géré par le Groupe Janus Research, une gigantesque plateforme de simulation et de gestion tactique des engagements.
Le système rencontre cependant rapidement ses limites. Si l’IA y trouve une place évidente, la guerre reste un art, comme l’a souligné Sun Tzu il y a 2700 ans, et est une activité avant tout tristement humaine.
Lest we forget. Ne l’oublions pas.
Logiciel Janus
Crédit Image à la Une : Un robot sauveteur. Libre de droits.
