Une étude québécoise publiée cette semaine dans le journal scientifique BISE présente un nouveau prototype d’interface cerveau-machine pouvant lutter contre la baisse de l’attention soutenue lors de tâches de surveillance au sein d’un système d’entreprise. Cette expérience pourrait sécuriser davantage les environnements de travail ultra robotisés.
Pour faire une image, pensons à Homer en train de surveiller derrière son écran la centrale nucléaire de Springfield. Un événement inattendu survient pendant qu’il somnole! C’est justement pour contrer l’effet d’habituation (overreliance), propre à ce type de tâches ennuyeuses, mais cruciales en entreprise, que les auteurs de l’étude[i] Théophile Demazure et Alexander Karran de HEC Montréal ont conçu le projet.
INTERFACE CERVEAU-MACHINE
Qu’est-ce qu’une interface cerveau-machine? Pour simplifier, il s’agit d’un système qui utilise comme intrant (informations ou données) des mesures physiologiques de son utilisateur en temps réel pour aller soit contrôler l’ordinateur à la place de l’utilisateur ou lui envoyer des informations pertinentes concernant son état cognitif (stress, charge mentale ou niveau d’attention).
Le système vient outiller l’humain pour mieux accomplir une tâche routinière mais ponctuée d’événements, comme lorsqu’on observe des caméras de surveillance.
Alors, comment optimiser l’attention de Homer, alors que tout est fait pour qu’il s’endorme (avec la robotisation)? Ou comment aider un pilote d’avion à rester plus alerte sur un vol de six heures?
MONITORER L’ATTENTION
Pour y arriver, les chercheurs ont mis au point une expérience de simulation en laboratoire. Ils ont branché des capteurs sur 31 participants (électroencéphalogramme-EEG et spectroscopie fonctionnelle proche infrarouge- fNIRS) pour ensuite les astreindre à une tâche simple, répétitive et abrutissante. Les données captaient, en temps réel, l’activité sur les zones frontale (charge mentale) et occipitale (lier à l’attention).
Pendant 90 minutes, les participants devaient prendre des décisions pour gérer un inventaire de stocks, afin d’alimenter avec suffisamment de marchandises trois entrepôts régionaux en suivant les ventes réalisées. Pour mener l’expérience, il fallait suivre comment les participants réagissaient lorsqu’une activité survenait après de longues périodes d’inertie.
« Aucune tâche connexe n’était possible. On a rendu ça très ennuyant de manière intentionnelle avec de longues périodes où il ne se passait rien. » – Théophile Demazure, doctorant, HEC Montréal.
Pour réaliser l’étude, les chercheurs ont dérivé un nouvel index d’attention basé sur d’autres études précédentes portant sur des indicateurs d’engagement. Un contexte très proche, selon Théodore Demazure, doctorant de HEC Montréal.
Bref, ils ont corrélé les signaux détectés avec l’attention à la tâche sur une longue durée. Ce qui donne l’indice d’attention sur la tâche ou le ratio de trois bandes de fréquences (power bands) suivant : beta / alpha + thêta. La valeur de cet index était retournée en temps réel vers son utilisateur à l’aide d’un code de couleur pour l’aider à maintenir son attention.
AUGMENTER LA CAPACITÉ D’ATTENTION
Dans beaucoup de contextes industriels ou critiques pour la sécurité, il faut savoir qu’il est difficile, voire impossible, de modifier la tâche ou l’interface des tableaux de bord. Par exemple, les alertes physiques, les pop-up ou les notifications externes risquent d’avoir l’effet contraire en détournant le regard.
L’approche des chercheurs a donc été de conserver le tableau de bord fixe, mais de rendre le fond de l’écran des usagers transparent.
Pour l’exercice, les chercheurs ont utilisé un simulateur d’entreprise SAP, auquel ils ont ajouté une variation de couleur graduelle en arrière-plan (une contre-mesure subtile comme une inspiration). La couleur du fond d’écran pouvait changer en fonction du niveau d’attention actuel, et ce, sans réorienter le travailleur sur un autre écran ou une autre application. Un guide passif en quelque sorte.
Les trois conditions suivantes ont été étudiées sur les participants :
- Donner aux participants du groupe contrôle la même tache sans rétroaction de l’ordinateur.
- Offrir aux participants une rétroaction continue sur son niveau d’attention (fond d’écran variant en continu).
- Offrir au troisième groupe de participants une rétroaction au moment du changement, signalant la fin de la période d’inertie (fond d’écran variant parfois).
Le but était de découvrir quelle condition aiderait le plus une personne à moduler elle-même son attention. Selon vous, qu’est-ce qui aiderait mieux Omer à s’autoréguler?
RÉSULTATS SCIENTIFIQUES
L’étude a démontré que l’interface cerveau-machine passive et sa rétroaction en continue ou sporadique (2 ou 3) permettent de garder l’attention des participants à un niveau supérieur, selon les chercheurs. Au niveau comportemental, la personne était plus active sur l’ordinateur quand on lui fournissait le moyen de s’autoréguler avec des contre-mesures.
La robotisation des environnements de travail s’intensifie rapidement que ce soit sur les chaines de production d’automobiles ou dans les entrepôts presque 100% robotisés.
À partir de l’information reçue par ses capteurs, l’étude tend à démontrer que l’IA peut mieux tenir compte de la présence humaine dans un environnement automatisé sans mettre à risque la production tout en protégeant les travailleurs humains.
« Cette étude se base sur l’hypothèse que l’humain sera toujours la soupape de sécurité pour reprendre le contrôle, si l’autopilote lâche en plein vol, parce que la machine ne peut pas gérer des événements imprévus. » – Théophile Demazure, post-doctorant, HEC Montréal.
RETOMBÉES ÉCONOMIQUES
L’étude Enhancing Sustained Attention [i] , financée par le Tech3Lab sans partenaire industriel spécifique, constitue une preuve de concept appliqué en contexte manufacturier. Après quelques améliorations, l’interface pourrait ajouter des retombées économiques complémentaires aux retombées positives sur la sécurité dans des environnements à risque.
Au niveau de la performance, l’étude a d’ailleurs démontré que l’interface cerveau-machine pouvait réduire le risque d’erreur humaine de l’ordre de 2 %. Ce qui peut représenter beaucoup d’argent sur de gros volumes de production.
L’interface a été intégrée au sein du système d’entreprise SAP, leader mondial des progiciels de gestion (PGI) et testée sur une tâche réelle. Toutefois, l’expérience pourrait être reproduite dans de nombreuses applications actuellement sur le marché, selon les auteurs.
« On pourrait aussi faciliter la gestion du stress dans un contexte d’échanges boursiers ou créer un indice de la fatigue pour les opérateurs de charge ou pour les conducteurs à bord de véhicules autonomes », conclut Théophile Demazure.
[i] Demazure, T., Karran, A., Léger, P. M., Labonté-LeMoyne, É., Sénécal, S., Fredette, M., & Babin, G. (2021). Enhancing Sustained Attention. Business & Information Systems Engineering, 1-16.
Illustration : Les Simpsons (Marque déposée).
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