Des chercheurs réclament plus de données québécoises en santé

Des chercheurs réclament plus de données québécoises en santé

Le manque d’accès à des données de santé publiques, notamment locales, devient une source croissante de frustration et d’inquiétude pour les chercheurs ayant recours à l’intelligence artificielle (IA).

Plus que jamais, les chercheurs se trouvent dans une véritable course contre la montre pour accélérer les découvertes médicales. Mais l’avancement de l’IA en santé se bute à des enjeux majeurs selon BIOQuébec, le réseau québécois des biotechs et des sciences de la vie.

« Les grands défis de l’heure pour l’IA dans notre domaine concernent la recherche clinique et l’accès aux données en santé. » – Anie Perrault, LL.L, ASC, Directrice générale chez BIOQuébec

Actuellement, les chercheurs en IA qui outillent les grandes compagnies pharmaceutiques, les universités et les centres de recherche (incluant Mila) avec des modèles intelligents contournent le problème en s’approvisionnant avec des données à code ouvert (Open source) disponibles aux États-Unis et en Europe pour réaliser leurs projets.

Cette pratique n’est pas totalement représentative de la population du Québec, ce qui rend les produits et services en santé moins personnalisables au marché québécois.

ET ALORS, DIREZ-VOUS?

Et alors, ça donne des médicaments moins ajustés à nos besoins médicaux et à notre réalité « biologique, génétique, systémique, historique et à notre style de vie », explique Sarah Jenna, PhD, cofondatrice et PDG de My Intelligent Machines (MIMs).

« Jusqu’à présent c’était moins un problème parce que les traitements n’étaient pas personnalisés à la source, mais plus il y aura d’approches comme les nôtres, plus les médicaments vont devenir spécialisés pour des sous-groupes de population. C’est là qu’en tant que peuple, il faut se décider à savoir si l’on veut ou pas faire partie des groupes sur lesquels les pharmaceutiques vont se baser pour prendre des décisions (ou pas) dans leur pipeline de projets », ajoute-t-elle.

« Un médicament développé à l’étranger qui ne tiendrait pas compte des particularités biologiques québécoises pourrait, dans certains cas, ne pas fonctionner sur une partie de notre population. Et si c’était votre fille? », lance la PDG de MIMs.

Pensons aussi à des maladies orphelines ou héréditaires, comme l’ataxie spastique de Charlevoix-Saguenay, pour qui les grandes compagnies n’ont pas d’incitatif à développer un médicament. C’est dans cet esprit d’ailleurs qu’a été développé le projet CARTaGENE pour faire avancer la recherche génomique au Québec.

« Est-ce qu’on a réellement envie que notre identité biologique nationale soit inconnue des pharmaceutiques quand vient le temps de produire un vaccin ou un médicament? » – Sarah Jenna, PhD, cofondatrice et PDG de My Intelligent Machines.

L’inverse est aussi vrai. Prenons le cas où une partie de la population québécoise serait immunisée contre un virus, comme pour les insulaires de Giglio avec la Covid-19 en Italie. Pourrions-nous rapidement étudier les composantes de la réponse immunitaire avec l’IA, si les chercheurs n’ont pas accès à des données québécoises régionalisées?

L’ACCÈS AUX DONNÉES EN SANTÉ MENTALE

Comme nous l’avons vu, l’IA peut aussi “corriger” les traitements de la dépression en générant des prévisions de traitement personnalisées pour chaque patient et en proposant aux médecins le bon médicament à la bonne dose.

Pour y parvenir, le modèle développé par Aifred a eu besoin de tenir compte d’une multitude de paramètres en utilisant des données générées lors d’essais cliniques mondiaux. Ils ont signé des accords avec les compagnies pharmaceutiques et des hôpitaux américains (plus permissifs pour rendre les données accessibles).

« L’IA permet de trouver des liens par patient que nous ne pouvons pas voir », affirme Don Olds, Président du conseil chez Aifred.

Le National Institute of Mental Health aux États-Unis s’est avéré une mine d’information pour recueillir des données anonymisées. On parle ici de centaines de données détaillées par patient sur plus de 20 000 patients. Ces données sont enrichies de composantes génétiques, endocrinologiques, immunologiques, métaboliques et neurologiques grâce à la détection d’images et aux biomarqueurs multimodaux.

L’accès aux données, c’est aussi une question de temps et d’argent pour les biotechs.

« Nous avons commencé il y a 4 ans et le timing était bon, dit-il. Nous avons eu la chance de ne pas payer pour accéder aux données afin d’entrainer notre modèle. Je ne suis pas certain que ce serait le cas aujourd’hui… » – Don Olds, Président du conseil chez Aifred.

UN TRAVAIL DE RESPONSABILISATION

Le gouvernement Legault a mis trois ans pour accoucher d’une Stratégie de transformation numérique gouvernementale et d’un Projet de loi pour gérer uniformément les données numériques détenues par les organismes publics, incluant les données de santé et de services sociaux.

L’encadrement instauré par le Projet de loi 95 permet au gouvernement de désigner ‘’qui’’ pourra fournir des données numériques gouvernementales.

Le bureau du ministre Caire nous précise par courriel que : « la désignation d’une source officielle de données numériques se fait sur recommandation conjointe du président du Conseil du trésor et du ministre responsable de l’organisme public qui détient les données concernées, sauf lorsque certaines de ces données sont détenues par le ministre de la Santé et des Services sociaux ou par un organisme public sous sa responsabilité, auquel cas la désignation de la source se fait sur recommandation de ce ministre ».

Ce qui pourrait donner plus de latitude au ministère de la Santé pour favoriser à la fois une gestion concertée des projets impliquant les données gouvernementales et la protection accrue des données des Québécois.

Pour Sarah Jenna, la technologie pour protéger la sécurité existe déjà. Il est temps de mettre à niveau les technologies du système de santé et la numérisation des dossiers patients, deux incontournables avant de pouvoir utiliser la puissance de modélisation de l’IA.

Rappelons que d’autres gouvernements se sont cassé les dents sur la modernisation des systèmes informatiques du réseau de la santé ayant couté des millions de $ aux contribuables, sans grand résultat.

UN TRAVAIL DE COORDINATION

C’est le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant, qui s’occupe actuellement de développer un dossier de santé numérique (DSN) partageable entre les différentes entités médicales.

« Le DSN est plus que numérisé, c’est un dossier interactif. Les dossiers actuels sont numérisés, mais ils ont beaucoup de limitation, car il s’agit surtout d’images numérisées au scanneur des notes papier », dit le Dr Carmant, ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux.

C’est le cabinet du ministre de la Santé et des Services sociaux, M. Dubé, qui s’occupe de la gestion des données médicales disponibles dans tous les établissements de santé publics de la province. Ajoutons que les hôpitaux sont gérés par les CISSS et que les cliniques médicales opèrent comme des cabinets privés.

Nous savons que la Transformation numérique gouvernementale relève du ministre Éric Caire et qu’il a, tout récemment, récupéré les fonctions du ministre Simon Jolin-Barrette concernant l’Accès à l’information et la Protection des renseignements personnels.

Enfin, l’accompagnement et le soutien financier des entreprises dans les projets de transformation numérique sont sous la gouverne du ministre de l’Économie et de l’Innovation, Pierre Fitzgibbon.

Bref, il y a beaucoup de porteurs de ballon – en santé seulement! Et tout le monde a pu constater avec la course au vaccin contre la Covid-19 (que nous avons perdu) à quel point l’infrastructure numérique, dont l’intelligence artificielle a besoin en santé, se met en place en même temps que le train passe.

UN TRAVAIL DE CONCERTATION

Québec solidaire a déjà demandé, sans succès, au gouvernement du Québec et au ministre Fitzgibbon de fermer la porte à tout partage des données médicales des Québécois aux entreprises pharmaceutiques tant et aussi longtemps que le Québec n’aura pas eu une commission parlementaire sur le sujet.

La réflexion politique sur la gestion des données massives se poursuit au mois de mai dans la cour du MEI, alors que plusieurs groupes sont à peaufiner leur mémoire dans le cadre du renouvellement de la Stratégie québécoise de Recherche et d’Innovation (SQRI).

La date de dépôt est le 15 mai 2021. Parions que de nombreuses organisations (avec ou sans but lucratif) y prôneront l’utilisation responsable des données publiques en santé pour améliorer la qualité et l’espérance de vie des citoyens en plus de créer de la richesse collective.

VERS L’ACCEPTABILITÉ SOCIALE

En France, en Angleterre, en Israël, il est déjà possible de vendre ou de louer des fichiers anonymisés à des fins de recherche, si les citoyens concernés ont signé une décharge.  

L’été dernier, la maladresse du ministre Fitzgibbon a créé une perception défavorable dans l’opinion publique, selon laquelle l’État pourrait s’enrichir sur le dos des données de santé des Québécois, déplorent Sarah Jenna et Anie Perrault.

Le ministre Éric Caire et le premier ministre se sont aussi montrés favorables à la vente des données anonymisées des Québécois.

Mais avec les nombreux scandales concernant la fuite de renseignements personnels au Québec, on peut comprendre que le grand public demeure craintif à l’idée de partager les données médicales de la RAMQ.

Une solution mitoyenne serait de passer par le consentement individuel à dévoiler ses données de santé dans une base ou une plateforme anonyme pour fins de recherche, selon Sarah Jenna, PDG de MIMs.

Une fois les dossiers numérisés adéquatement et sécurisés efficacement, la RAMQ pourrait demander aux gens de signer pour que leurs données non traçables servent à la recherche scientifique. Un peu comme le collant du Don d’organes à l’endos de la carte-soleil. Le bureau du ministre Christian Dubé n’a pas répondu à cette question avant la diffusion.