[ÉDITO] L’agriculture en crise : des solutions « porteuses et pérennes » exigées

[ÉDITO] L’agriculture en crise : des solutions « porteuses et pérennes » exigées

Le 6 février prochain, le Grand colloque Agtech du Québec réunira 200 intervenants issus du monde de l’agriculture, pour aborder les grands enjeux propres au secteur, et les solutions innovantes à déployer dans le milieu pour tenter d’y répondre. À l’ère d’une grande colère, qui secoue l’industrie au Canada comme en France, reste à déterminer si l’innovation sociale et technologique proposée est en phase avec les préoccupations des agriculteurs excédés, ceux-là qui attendent la démonstration d’un élan collectif de solidarité pour se sauver du gouffre financier qui les guette…

Rappelons qu’en décembre dernier, des centaines de membres de l’Union des producteurs agricoles (UPA) ont marché dans les rues de Québec pour faire valoir leurs inquiétudes quant à l’avenir des agriculteurs, et plus particulièrement des jeunes de la relève, aux prises avec les conséquences du manque de liquidités pour faire face à l’inflation.

Car bien que les effets dévastateurs des extrêmes météorologiques soient souvent mis en cause pour justifier la crise, c’est le manque de programmes de subventions et la hausse du prix des terres agricoles que les principaux concernés pointent avec autant de véhémence que de vigueur… L’expression de leur détresse, accompagnée de revendications pour plus de soutien gouvernemental, n’est pas sans faire écho à la réalité des agriculteurs français, qui ont décidé d’assiéger Paris. Sur les ondes de FM Charlevoix, le président de la Fédération Capitale-Nationale-Côte-Nord de l’UPA, Yves Laurencelle, préparait d’ailleurs les Québécois à une crise homologue, suggérant que les agriculteurs pourraient tout aussi bien adopter ce moyen de pression à Québec.

Le risque de se suicider serait plus élevé de 43 % chez les agriculteurs

– Mutualité sociale agricole

On martèle pourtant depuis longtemps qu’au moins la moitié des producteurs agricoles souffrent sur le plan psychologique, soit 51 % d’entre eux au Québec, selon les données de l’Association québécoise pour la prévention du suicide (AQPS).

En France, déjà en 2013, l’Institut de veille sanitaire rapportait qu’un agriculteur se suicidait tous les deux jours. Ceux dont c’est le métier seraient en effet plus à risque de 43 % de se donner la mort, si l’on se fie au rapport de 2021 de la Mutualité sociale agricole.

Images du siège de Paris (réseaux sociaux).

L’affaire de tous…

« D’où penses-tu que la viande et le lait proviennent? », demandait l’illustre Joan Crawford à une fillette d’à peine six ans, qui lui répondait que tout venait « du supermarché ». Une interaction filmée pour une publicité de Pepsi, qui faisait sourire en 1969, mais qui aujourd’hui prend un tout autre sens…

« Notre métier est floué depuis de nombreuses années. Nous sommes arrivés à un seuil où l’on ne peut plus le tolérer. On ne peut plus faire manger dignement nos familles, parce que nous n’avons plus de revenu. On nous a trop longtemps méprisés (…) Nous avons besoin d’aides financières directes », déplorait la présidente de la Fédération départementale des syndicats d’Exploitants agricoles de la Haute-Garonne, Laure Serres, au micro de Paul Arcand hier.

« C’est l’assiette et le territoire des Québécoises et des Québécois des 10, 20, 100 prochaines années qui sont en jeu », avait quant à lui lancé le président de l’UPA, Martin Caron, en marge de la lecture d’un manifeste devant l’Assemblée nationale, au début de décembre, sommant les dirigeants d’agir pour le développement de « solutions porteuses et pérennes », au bénéfice de l’ensemble de la chaîne agroalimentaire, allant des producteurs jusqu’au consommateurs qu’il tentait aussi d’interpeller.

Tester des solutions en Agtech

Dans ce contexte, le Grand colloque Agtech prévu la semaine prochaine devra impérativement s’articuler autour de nombreux défis à relever en matière d’autonomie alimentaire, de main-d’œuvre, d’adaptation au climat et d’empreinte écologique.

Zone Agtech a annoncé que ce serait également l’occasion de visiter l’ « Agtech X », le tout nouvel espace qu’elle lance pour faire la démonstration et l’expérience de technologies agricoles innovantes, faites au Québec. Dès le 6 février, les producteurs québécois pourront ainsi y tester plus de 30 solutions technologiques issues des dernières avancées en matière d’innovation agricole, présentées par des entreprises comme Génik, GroundUp Data, Harnois, Pulr Technologies, Axceta, Epsilia et Hortau.

Investir dans les technologies de pointe : le dilemme de l’endettement

Mais même si la technologie dernier cri en matière d’Agtech fait peu à peu son chemin dans les rangs, elle se heurte souvent à une résistance au sein du milieu agricole, où certains producteurs y voient surtout le risque de ne pas rentabiliser leur investissement et, par conséquent, une source d’endettement supplémentaire, jugeant la main subventionnaire des gouvernements plus lourde lorsqu’il s’agit d’investir des millions dans le développement de nouvelles start-up technologiques que de soutenir directement les agriculteurs.

Le directeur de publication de CScience, Philippe Régnoux, avait raison, il y a deux jours, de rappeler le « moment de vérité vécu il y a quelques mois sur le plateau de C+Clair (produite et diffusée sur CScience) », lors duquel un membre de l’Union paysanne exposait sa vision de ce qu’il qualifiait presque d’ingérence indésirable et nuisible pour la souveraineté alimentaire.

Augmenter la productivité des agriculteurs tout en réduisant leur temps de travail. C’est pourtant là l’objectif des développeurs de solutions relevant du numérique, de la robotique et des technologies de rupture, « autant de pistes à explorer permettant la réduction de la pénibilité pour les agriculteurs, tout en développant l’attractivité du métier », tel que le soulevait notre journaliste Laurie Bruno, la semaine dernière dans CScience.

Crise agricole : Les solutions technologiques face à la colère des producteurs

Pallier la pénurie de main-d’œuvre

S’attaquant justement aux enjeux de production et de pénurie de main-d’œuvre, l’entreprise Génik, par exemple, propose des solutions réputées pour réduire le nombre d’opérateurs en robotisant tout le cycle de l’agriculture, allant des tâches au champ à celles de l’usine, grâce à des systèmes performants sollicitant l’intelligence et la vision artificielles. Ses machines permettent notamment d’effectuer la manutention et le lavage de produits maraîchers.

Réduire les coûts associés à la culture d’hiver

Chez Harnois, autre exposante annoncée du colloque, on fait la promotion de la culture en serre l’hiver pour offrir des produits frais à l’année longue, tout en réduisant les dépenses liées à la production. Par exemple, on suggère d’évaluer sa consommation d’énergie hivernale et d’en connaître la mesure « en kWh par équipement » avant de lancer sa production, en vue d’optimiser sa consommation énergétique et d’opter pour une avenue plus rentable, grâce aux bonnes infrastructures.

Sur papier, d’autres solutions aussi innovantes ne demandent qu’à faire leurs preuves. Mais il faut que leur adoption par le milieu preneur soit au rendez-vous.

Faire converger les objectifs

Notre journaliste Laurie Bruno soulignait également « la forte stigmatisation des agriculteurs dans la société (française) », souvent « perçus comme de grands ‘pollueurs’ », mais qui « peinent à faire reconnaitre la souveraineté de leur métier pourtant essentiel en France ».

Un phénomène social qui trouve son homologue au Québec, où le manque de solidarité s’est vu creuser par d’autres facteurs, plus souvent qu’autrement. Pensons au débat sur l’usage de la palmite dans la chaîne de production laitière qui, pour ses détracteurs, avait bon dos lorsqu’il s’agissait de diaboliser toute l’industrie et ses fermiers auprès des consommateurs.

Dans le contexte plus global de la crise agricole, le défi ultime sera de faire converger les idées et perspectives de toutes les parties prenantes, afin de trouver des solutions communes aux problèmes qu’elles exposent. Mais pour que la pêche aux innovations soit fructueuse, il faut que les échanges qui y conduisent soient aussi inclusifs que possible. Il faut créer davantage d’opportunités de rencontres et de dialogues empathiques entre agriculteurs, start-up de l’Agtech, consommateurs et dirigeants, pour accélérer et propulser l’innovation au bénéfice de la souveraineté alimentaire et d’une saine transition environnementale.

Crédit Image à la Une : Vicky Dehaene (X.com) et Coopérative pour l’agriculture de proximité écologique – CAPÉ (Facebook)

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