À l’aube de cette nouvelle année, l’état des lieux de la presse au Québec est plus qu’inquiétant.
La faillite du Groupe Capital Média fut l’événement le plus retentissant en 2019, mais il ne peut faire oublier la crise moins brutale mais non moins profonde qui traverse l’ensemble du secteur des médias.
Certains médias écrits québécois vont bénéficier d’une aide financière du gouvernement sur cinq ans. Mais pas tous.
Toute la presse scientifique, qui se trouve financièrement sous respirateur artificiel, devrait pouvoir bénéficier de cette aide. Ce n’est actuellement pas le cas.
Pallier la baisse de revenus publicitaires
L’aide de l’Etat, au titre du Fédéral comme à celui du Provincial, est indispensable pour tous les médias à plus d’un titre.
La baisse des revenus publicitaires est dramatique depuis plusieurs années, et ces revenus sont littéralement siphonnés par les Google, Facebook et autres GAFAM de ce monde. Le manque à gagner pour les organes de presse est considérable, et met littéralement en péril le budget de plusieurs rédactions.
Cette situation dramatique conduit à la baisse de qualité du travail journalistique d’investigation et accroît le risque de dépendance à l’égard d’intérêts privés.
Dans ce contexte, l’Etat reste garant d’une presse au service de l’intérêt général et de l’expression démocratique dans toute sa diversité. D’où l’impérieuse nécessité qu’il participe financièrement au budget de fonctionnement de tous les médias, et en particulier des médias spécialisés, que ce soit sous forme d’aide directe, de prêt ou de crédits d’impôts sur la masse salariale.
A l’instar de ce qui se fait en France, le Canada ou le Québec devraient imposer une taxe de 3% sur le chiffre d’affaires brut des GAFAM afin de financer de telles mesures de soutien à l’échelle de l’ensemble des médias sans alourdir la fiscalité des ménages.
Un marché trop restreint pour les abonnements
Certains pourraient rétorquer que tous les médias devraient pouvoir vivre de leur lectorat, de leurs abonnés.
Or, avec un lectorat global d’environ 500 000 à 2 millions de personnes pour les 5 quotidiens et magazines généralistes les plus importants, le marché au Québec apparaît trop restreint, trop mince, pour que les médias spécialisés, et en l’occurrence les médias scientifiques, puissent vivre décemment de leurs seuls abonnés.
La part des abonnements dans le budget de fonctionnement des médias spécialisés au Québec ne permet tout simplement pas d’assurer la pérennisation d’une équipe éditoriale digne de ce nom.
Il est donc nécessaire que l’Etat contribue à pallier ce manque à gagner pour assurer l’indépendance et la qualité des rédactions.
Protéger la diversité des médias
Alors que la presse scientifique était florissante au Québec jusque dans les années 80 où on comptait près d’une dizaine de publication, elle a décliné pour ne plus compter aujourd’hui que quelques rescapés qui se comptent sur les doigts d’une main : Québec Science, l’Agence Science-Presse et les publications BLD pour les plus jeunes. CScience fait partie de ce bataillon très serré de médias francophones d’information scientifique.
Il faut donc être assez fou pour éditer aujourd’hui un tel média? Comme éditeurs du magazine en ligne CScience, nous le vivons comme une forme de résistance à la propagation de fausses vérités à travers les réseaux sociaux et comme une exigence de contribution au débat publique. Nous avons foi en plusieurs principes.
Foi en des médias de qualité. Des médias faits par des journalistes professionnels qui visent la plus grande objectivité et impartialité possible.
Foi en une approche éditoriale différente pour assurer la diversité des points de vue. Faire entendre la voix de ceux qui font progresser la société et apportent des solutions innovantes.
Foi en un vrai débat démocratique autour des enjeux de la recherche scientifique et de l’innovation. Décloisonner l’approche en silo, une culture de compétition, et contribuer à la collaboration des équipes et des institutions.
Foi dans le rayonnement de la richesse scientifique du Québec, et dans la culture scientifique francophone. Là est notre terrain d’avenir.
Accompagner le travail des chercheurs et des scientifiques
La nécessité aujourd’hui de relayer le propos des scientifiques dans un monde aux abois sur le plan environnemental et sociopolitique est cruciale. La perte de repères, la perte de confiance et la perte d’espoir collectif sont les plus grandes menaces qui pèsent sur nos démocraties.
A l’heure où Montréal brille comme l’une des villes les plus innovantes au monde, mais où la population ignore encore dans sa grande majorité comment se caractérise concrètement cette avancée, les médias, et les médias scientifiques en particulier, sont des outils essentiels pour relayer les fruits de la recherche, de l’intelligence et du savoir.
Ce n’est plus aujourd’hui un luxe, c’est un soin palliatif pour nos sociétés démocratiques en souffrance aigüe. Et c’est l’engagement de parier sur l’intelligence et le savoir-faire francophone québécois face à l’abêtissement programmé des masses.
La balle est désormais dans le camp de nos gouvernements.