[ÉDITORIAL] Pour une French Tech 2030 encore plus… francophile et francophone

[ÉDITORIAL] Pour une French Tech 2030 encore plus… francophile et francophone

La French Tech, le mouvement français des start-up, célèbre cette année les 10 ans de sa création. Présent à travers 43 communautés sur tout le territoire métropolitain et dans 63 communautés à travers le monde, cet écosystème se projette sur les 10 prochaines années par le biais d’une nouvelle feuille de route. Un cadre qui fait la part belle à la souveraineté numérique française, mais ne semble pas forcément intégrer la dynamique francophone dans sa stratégie. Reportage de CScience à Lyon. 

C’est une rencontre à guichet fermé qui réunit près d’une centaine de participants sur le campus d’une grande école de la capitale des Gaules, celui d’OMNES Education Lyon Rhône, à l’INSEEC, en cette matinée ensoleillée de septembre pour la rentrée de la French Tech Lyon-St-Etienne.

Des entrepreneurs et des représentants d’organismes d’accompagnement, incubateurs, accélérateurs et autres, réunis en grand nombre pour célébrer la rentrée de leur communauté, dans la ferveur des 10 ans d’existence de leur réseau mais aussi dans une palpable morosité, compte-tenu du contexte de ralentissement économique et de resserrement des investissements dans les technologies.

Une nouvelle feuille de route

Le mouvement français des start-up fête donc ses 10 ans avec retenue et introspection. Pas de quoi pavoiser alors que le dernier baromètre France Digital et EY sur la performance économique et sociale des start-up expose le moral en berne des entrepreneurs du secteur : 7% d’entre eux ont abandonné leurs projets auprès des investisseurs dans les six premiers mois de l’année, et la chute des levées de fonds en un an est vertigineuse avec 49% de baisse par rapport à 2022.

«  la présence de la French Tech hors de France, dans plusieurs villes de l’espace francophone, est réelle et pour le moins vibrante. »

Une période de vaches maigres pour les 13 000 start-up françaises, qui emploient un peu plus d’un million de personnes et dont 30 % se disent rentables et 8% en passe d’envisager des licenciements dans la prochaine année.

Dans ce contexte difficile, impulser une nouvelle feuille de route pour les 10 ans qui viennent tient d’une démarche d’équilibriste. Et l’on comprend mieux pourquoi le mot d’ordre de ce nouveau cadre d’action est centré sur l’impact des projets menés. Il faut séduire des investisseurs, plus que jamais soucieux de laisser une empreinte positive et durable, à défaut de faire fortune. Place est donc désormais faite à la nécessité pour les start-up françaises de répondre en priorité aux problématiques sociales et environnementales.

Faire rayonner la tech sur les territoires

Le logo du nouveau programme de la French Tech 2030 / Crédit photo : la French Tech

Les technologies de rupture vertes et conscientisées sont donc le nouveau mantra, de même que la souveraineté numérique. C’est le deuxième axe fort de la stratégie à 10 ans de la French Tech.

Une souveraineté numérique qui se conjugue désormais en accord avec une réglementation européenne sur les données personnelles, de plus en plus affutée et admirée dans plusieurs pays du monde, à commencer par le Canada : Règlement Général de protection des données (RGPD) et le Digital Services Act tracent désormais le cadre d’une protection accrue des utilisateurs face aux grands acteurs technologiques.

https://www.cscience.ca/2023/01/11/analyse-les-donnees-personnelles-sont-elles-mieux-protegees-au-canada-aux-etats-unis-ou-en-europe/

Aussi, la transformation des secteurs-clés de l’économie par l’innovation technologique devra s’établir sous l’égide de ces nouvelles normes et prioriser la transition environnementale et la démocratisation. C’est le mot d’ordre du programme de la French Tech 2030.

Une vision qui devra drainer la stratégie de rayonnement de la tech sur tous les territoires de la France métropolitaine et d’outre-mer. A cet égard, le réseau compte miser sur la dynamique de ses 16 capitales régionales et sur des initiatives proactives en direction des collectivités territoriales. C’est le cas notamment de ce projet qui vise à faciliter à court-terme l’accès aux appels d’offre pour les start-up françaises. Une sorte de Small Business Act à la mode de chez nous.

Miser sur la dynamique francophone 

Mais si l’accent de cette French Tech 2030 est mis sur la consolidation du réseau à l’échelle française, qu’en est-il à l’échelle de la francophonie ? Quand on pose la question à ceux qui ont participé à la rédaction de cette feuille de route, force est de constater que la réponse est assez limpide : il n’y a pas de réflexion élaborée à ce niveau dans la stratégie des 10 prochaines années.

« Dans ce contexte difficile, impulser une nouvelle feuille de route pour les 10 ans qui viennent tient d’une démarche d’équilibriste »

Or, la présence de la French Tech dans plusieurs villes de l’espace francophone est réelle et pour le moins vibrante parmi ses 67 communautés établies hors de France. Il suffit de prendre l’exemple de ce qui se fait à Montréal, avec la communauté Bleu Blanc Tech, pour mesurer la grande énergie qui anime ses membres et l’étroite relation établie avec le tissu entrepreneurial local. Ce sont des ponts essentiels avec la réalité francophone de pays qui n’attendent pas mieux que de tisser des liens entre eux.

https://www.cscience.ca/2023/02/28/label-french-tech-montreal/

Une réflexion en profondeur devrait amener à la table les membres du patronat francophone, ceux de la REF, et les responsables de la French Tech. Surtout dans le contexte de ralentissement économique que l’on observe actuellement et qui devrait durer sans doute encore plusieurs années.

Faire rayonner l’écosystème des start-up françaises à l’étranger, c’est bien, mais créer des liens forts, profonds et durables, entre des communautés qui partagent une même langue et des valeurs communes à travers une diversité de territoires et de culture à travers la planète, c’est mieux. Il s’agit là de puiser une source d’inspiration fédératrice et d’accélérer l’innovation dans différents secteurs d’activité.

Un coq, si tant est qu’il soit pourvu d’une belle voix, ne peut chanter seul longtemps, il finirait par s’écoeurer lui-même.

 

Philippe Régnoux
Directeur de publication, CScience
p.regnoux@galamedia.ca

Crédits photo image en Une : GALA MÉDIA