Le 27 avril dernier, au Palais des congrès de Montréal, à l’occasion du Forum La science en français au Québec et dans le monde, se tenait le tournage d’une émission C+Clair sur la thématique « Science en français : pourquoi est-ce nécessaire aujourd’hui ? ».
L’émission s’est déroulée en compagnie des animateurs Philippe Régnoux, directeur de publication de CScience, et Catherine Lavoie, propriétaire de la firme de coaching d’affaires ActionCOACH Performance, ainsi que de la rédactrice en chef de l’émission et du magazine CScience, Chloé-Anne Touma, du Scientifique en chef du Québec, Rémi Quirion, et de Mame Penda Ba,
Professeure agrégée de sciences politiques, et rédactrice en chef de la revue scientifique Global Africa.
3 enjeux et axes de discussion
Pendant une heure répartie en trois blocs de 20 minutes, les invités se sont relayés aux micros pour aborder les enjeux propres au rôle du français dans le rayonnement de la recherche, la vulgarisation scientifique et la mobilité internationale. L’émission clôturait la deuxième journée du Forum, où de nombreuses discussions entamées nourissaient déjà la réflexion collective sur le réseau de la francophonie scientifique.
« J’en retiens que la famille francophone a un potentiel extraordinaire, que nous formons une véritable communauté, que des liens sont déjà là et qu’il s’agit de les renforcer, que nous avons énormément de choses en commun, notamment des valeurs, et c’est absolument important pour constituer une communauté scientifique forte devant l’anglais », a commenté, d’entrée de jeu, Mme Penda Ba, en début d’émission. « Ce que j’ai constaté, c’est l’enthousiasme, la frénésie dans la salle, et je dirais que la science en français ne se porte pas si mal que ça. Elle offre de réelles opportunités de travailler, et constitue une force partout dans le monde », a ajouté M. Quirion.
1. Le français pour faire rayonner la recherche
Sophie Montreuil, directrice générale de l’Association francophone pour le savoir (Acfas), et Nathalie Drach-Temam, présidente de l’Université de la Sorbonne, ont fait valoir l’importance de renforcer la découvrabilité des contenus scientifiques francophones, dans une perspective de rayonnement de la francophonie scientifique dans toute sa diversité, et ont abordé les ressources disponibles en ce sens.
« Il doit se faire, à l’échelle de la planète, de la recherche dans toutes les langues. Mais depuis plusieurs décennies, soit depuis 1930, c’est l’anglais qui domine. De penser que l’on va renverser la tendance en seulement quelques années est utopique. »
– Sophie Montreuil, directrice générale de l’Acfas
La rédactrice en chef de CScience, Chloé-Anne Touma, a d’abord dressé le portrait des diverses ressources favorisant l’accès au contenu francophone, indiquant que les Fonds de recherche soutiennent pas moins de 59 revues scientifiques francophones, et que la littérature scientifique francophone est offerte en libre accès au travers, notamment, de la Bibliothèque des archives nationales du Québec (BAnQ), dont 14 % du contenu est numérisé, et de diverses plateformes comme Érudit, en plus des universités.
« En France, nous avons HAL, qui est une plateforme nationale de publication ouverte, dont le taux d’ouverture des publications est extrêmement fort, de 70 à 75 % de notre production », de compléter Mme Drach-Temam.
La rédactrice en chef de CScience a également rappelé que seulement 21 % des articles scientifiques des établissements francophones sont en français, selon le Laboratoire interdisciplinaire de recherche sur l’enseignement supérieur (LIRES), qui rapporte également qu’un enseignant universitaire sur 2 ne voit pas l’intérêt de publier en français.
« En Afrique, nous avons exactement les mêmes proportions (…) Même si le français est une langue extrêmement importante, parlée dans plus de 20 pays africains, elle n’est pas la langue de la science et de la recherche sur le continent », a lancé Mme Penda Ba.
Questionnée quant aux chiffres de l’Acfas, qui témoignent d’un déclin généralisé, en 2021, du français en science, la directrice de l’organisme a reconnu que la situation ne s’était probablement pas améliorée, mais qu’il fallait « envisager la situation autrement » et rappeler que « Ni l’Acfas, ni les autres acteurs issus de la communauté scientifique francophone ne sont en confrontation avec la recherche qui se fait en anglais. Il doit se faire, à l’échelle de la planète, de la recherche dans toutes les langues. Mais depuis plusieurs décennies, soit depuis 1930, c’est l’anglais qui domine. De penser que l’on va renverser la tendance en seulement quelques années est utopique. »
2. Le français pour vulgariser la science auprès du grand public
Sur le plateau, des chiffres révélant la tendance des jeunes internautes du Québec à faire leurs recherches en anglais, et à être davantage exposés à du contenu aux effets de désinformation, ont lancé la discussion entourant les défis de vulgarisation scientifique auprès du grand public, en compagnie de Gérard Pelletier, directeur de Data Franca, et Mélissa Guillemette, Rédactrice en chef de Québec Science.
« Je suis toujours étonnée lorsque je prends connaissance des données relatives au lectorat de Québec Science, et que je constate que nous avons des abonnés de tous âges, incluant des jeunes de 10 à 12 ans », a-t-elle apporté pour éclaircir le tableau.
« Tous les canaux de diffusion sont bons. Si les scientifiques veulent être dans l’espace public, je pense qu’ils y sont les bienvenus. Mais pour bien démocratiser la science auprès du public, il faut aussi avoir des médias scientifiques pour vulgariser la science et la rendre plus accessible », a-t-elle ajouté.
M. Pelletier a présenté des solutions visant à renforcer le vocabulaire propre au domaine de l’intelligence artificielle, « pas seulement pour les chercheurs, mais aussi pour le grand public », soit Le Grand lexique français de l’intelligence artificielle, qui répertorie 6 003 termes français expliqués, et 5 104 termes anglais francisés, ainsi que le livre Les 101 mots de l’intelligence artificielle.
3. Vers un modèle de formation et de mobilité de talents
L’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF), qui regroupe plus de 1000 universités, grandes écoles, réseaux universitaires et centres de recherche scientifique dans 115 pays, révèle, dans son livre blanc de la Francophonie scientifique de 2021, que pas moins de 68 % des dirigeants universitaires de la francophonie ont pour priorité l’internationalisation et la coopération internationale sur les projets scientifiques.
Rappelons que beaucoup d’étudiants et talents d’Afrique constituent la francophonie scientifique, et choisissent de se former à l’étranger dans des pays francophones. À titre d’exemple, la France reste le premier pays de destination des étudiants subsahariens, accueillant 14% de sa population étudiante mobile.
« La science en français, c’est important, mais l’anglais permet aux scientifiques de se retrouver, de parler et de partager. »
– Odile Liboiron-Ladouceur, Professeure agréée du département de génie électrique et informatique de l’université McGill
Pour parler de la grande francophonie scientifique, et des opportunités de mobilité et de coopération internationales entre francophones du monde, Guillaume Gibert, économiste, coordinateur du programme « La condamine » à l’Université du Salvador, et responsable du Centre d’employabilité francophone, ainsi qu’Odile Liboiron-Ladouceur, Professeure agréée du département de génie électrique et informatique de l’université McGill, ont rejoint les animateurs sur le plateau.
« Beaucoup des membres de l’AUF ne sont pas dans des régions du monde où l’on parle le français. Pensons à l’Argentine, puisque l’Université du Salvador est membre de l’AUF. Il y a une francophilie de la part de la population en général, et un attrait pour la francophonie scientifique », a fait valoir M. Gibert
« Au départ, ce n’est pas une bataille entre le français et l’anglais. »
– Rémi Quirion, Scientifique en chef du Québec
« La science en français, c’est important, mais l’anglais permet aux scientifiques de se retrouver, de parler et de partager. C’est donc un outil de travail. Au Québec, le problème, c’est qu’on a un peu peur de l’anglais pour des raisons historiques et politiques, mais, en même temps, si l’on veut s’ouvrir au monde, et emmener les gens vers la science, il faut accepter de parler l’anglais et d’être bilingues », a amené Mme Liboiron-Ladouceur.
« J’ai été professeur à McGill pendant 30 ans. Au départ, ce n’est pas une bataille entre le français et l’anglais. Il s’agit plutôt d’ajouter un volet francophone et de penser à la science en français, de penser à publier en français, une fois de temps en temps », a réagi M. Quirion.
Les animateurs ont également donné la parole au public, passant le micro aux spectateurs qui souhaitaient s’exprimer.
« Actuellement, au fédéral, le constat est assez clair : il n’y a pas de valorisation de la publication scientifique en français. La publication d’un chercheur n’a pas de valeur si elle est en français, parce qu’elle n’a pas de possibilité de rayonnement.»
– Maxime Blanchette-Joncas, député de Rimouski-Neigette–Témiscouata–Les Basques, et vice-président du comité permanent de la science et de la recherche de la Chambre des communes
« On ne fait pas de la science en français par confrontation. On le fait pour l’affirmation. Quand on veut s’affirmer, il en va du respect de soi et de son identité. Au Québec, nous avons une seule langue officielle, et c’est le français. Au Canada, nous en avons deux. Nous faisons actuellement des travaux à la Chambre des communes pour le projet de loi C-13, qui vise à moderniser la Loi sur les langues officielles, 60 ans plus tard, et à reconnaître enfin le français comme une langue scientifique. On constate alors qu’il y a encore du chemin à faire », a prononcé le bloquiste et député de Rimouski-Neigette–Témiscouata–Les Basques, Maxime Blanchette-Joncas, également vice-président du comité permanent de la science et de la recherche de la Chambre des communes.
« Actuellement, au fédéral, le constat est assez clair : il n’y a pas de valorisation de la publication scientifique en français. La publication d’un chercheur n’a pas de valeur si elle est en français, parce qu’elle n’a pas de possibilité de rayonnement. Mais si l’on prend l’exemple de la littérature ou du secteur de l’audiovisuel, au Canada, il existe des programmes de subventions destinées au contenu francophone. Ça n’existe pas en science », de remarquer le député.
Pour consulter la fiche complète de l’émission, ou pour voir d’autres épisodes de C+Clair : https://www.cscience.ca/cclair/
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Crédit photos : CScience Média