Le Dr Horacio Arruda, ex-directeur national de la santé publique du Québec, a marqué la culture populaire et la mémoire collective pour son implication très médiatisée dans la gestion de la COVID. Bien qu’il fréquente un peu moins le paysage télévisuel, aujourd’hui sous-ministre adjoint au ministère de la Santé et des Services sociaux, et responsable du volet préventif, il n’en demeure pas moins investi dans le développement de stratégies provinciales de premier plan quant au redressement sanitaire. Rencontré au Sommet de la santé durable, organisé par l’Association pour la santé publique du Québec (ASPQ), il aborde ses ambitions pour la santé des Québécois, et les moyens qu’il souhaite voir mobilisés pour les rallier à la cause de la prévention.
Pour les gens qui vous connaissent surtout comme ex-directeur national de la santé publique, en quelques mots, comment décrivez-vous votre nouveau rôle et les responsabilités qui vous incombent au sein du ministère ?
Je travaille encore au ministère de la Santé, mais comme sous-ministre, me consacrant à ce qu’on appelle « la Politique gouvernementale de prévention de la santé ». Elle est issue de l’engagement du gouvernement, qui mobilise une quinzaine de ministères et 27 organismes centraux, en matière de promotion de la prévention en santé. Elle se décline en plusieurs plans d’action, exécutés de concert avec les autres ministères, en vue d’agir sur les environnements et différents leviers déterminants de la santé : prévenir les cancers, traiter de la question des changements climatiques, intervenir tout au long du cycle de vie des Québécois, soit de leur naissance jusqu’à leur âge avancé, et réduire les inégalités relatives à la santé des populations, puisque certaines communautés sont plus vulnérables en ce sens.
Nous venons d’assister à plusieurs conférences sur la santé durable, dans le cadre de ce Sommet. Que faut-il retenir de la réflexion menée sur la prévention ? En avez-vous vous-même appris quelque chose ?
On apprend toujours des cas d’expérience précis qui sont mis de l’avant, mais la démonstration que j’en retiens, c’est que la santé est une richesse importante pour la société, et qu’il y a beaucoup de maladies que l’on peut éviter si l’on intervient très tôt et adéquatement.
« Il faut travailler ensemble, insister sur la prévention, et redonner aux communautés le pouvoir de faire des choix éclairés pour se maintenir en santé. »
– Dr Horacio Arruda
Ça ne relève pas seulement du système de santé et de soins, mais de l’ensemble de la société, d’où l’importance de travailler en partenariat avec les autres ministères, mais aussi tous les acteurs sociaux, tant à l’échelle nationale que sur les plans régional et local. Il faut travailler ensemble, insister sur la prévention, et redonner aux communautés le pouvoir de faire des choix éclairés pour se maintenir en santé.
D’ailleurs, un exemple qui illustre bien l’importance d’aborder la santé selon l’approche « One Health » (une santé globale), en prenant plusieurs facteurs en compte, tels que l’alimentation et l’environnement dans lequel on évolue, est sans doute celui de la résistance aux antibiotiques, souvent présentée comme « la pandémie silencieuse ».
Oui, c’est une menace reconnue par l’OMS (Organisation mondiale de la santé). À l’heure actuelle, nous savons que la recherche dans le domaine des antibiotiques est moins poussée que celle dédiée à d’autres types de médicaments, comme ceux traitant les maladies chroniques. Mais l’une des particularités qu’ont les microbes, et plus précisément les bactéries, est de s’adapter et de donner résistance. Le phénomène vient du fait que l’on utilise parfois trop, ou mal, les antibiotiques, soit parce qu’on n’en fait pas un usage assez prolongé, soit parce qu’on prend des antibiotiques trop forts pour de petites infections. Le risque lié à cette résistance serait de se retrouver comme avant, à l’ère où les infections bactériennes pouvaient tuer les enfants, parce qu’on n’aurait plus de traitement qui fonctionne.
Aujourd’hui, au Sommet, on a abordé la technologie comme une nuisance pour la santé, alors qu’on pourrait aussi la voir comme une alliée, quand on sait que l’innovation en matière de technologies médicales s’inscrit dans la vision gouvernementale pour soutenir la santé durable. Quelle est sa juste place dans le renforcement de la santé, selon vous ?
Je pense en effet que la technologie y tient un rôle important, même si tout excès peut avoir des effets pervers. La technologie numérique est problématique lorsqu’elle sert la sédentarité des jeunes, par exemple, ou encore, lorsqu’elle altère les relations sociales. Mais elle trouve ses bénéfices dans le développement d’applications utiles lorsqu’on en fait les bons usages. Il faut simplement, compte tenu de la croissance très rapide de ces technologies et de leur omniprésence, s’éduquer pour faire des choix éclairés et adaptés quant à ce rapport.
L’un des facteurs de résistance de la société à l’adoption des technologies en santé numérique est la collecte et le partage de données.
Ça, c’est un autre débat. Je pense que si l’on veut être en mesure de poser un bon diagnostique sur ce qui se passe dans nos sociétés, il faut avoir accès aux données, tout en en assurant la confidentialité.
Vous avez évoqué, au cours de ce Sommet, les effets du discours médiatique sur la population, discours que vous jugez trop souvent « négatif », selon vos termes. Mais vous continuez de voir en les médias un partenaire et un atout pour la diffusion du message faisant la promotion de la santé. Cette année, les médias canadiens sont plus absents que jamais des plateformes et réseaux sociaux desquels on dépend beaucoup pour mener le débat démocratique. Que pensez-vous des médias et du rôle qu’ils ont à jouer pour soutenir votre mission ?
En tant que médecin de population, j’ai toujours considéré les médias comme un très grand allié, et l’un des meilleurs moyens de l’atteindre. Mais j’estime qu’ils ont une responsabilité sociale et éthique très importante, et que bien qu’ils fassent partie de la solution, ils doivent s’assurer de faire un traitement juste de la situation, et ne pas présenter qu’un seul côté de la médaille. Lorsqu’on martèle un message négatif, on finit par démobiliser la population et lui montrer un portrait décourageant. Cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas critiquer ou exposer ce qui ne va pas bien, mais il faut aussi, à mon avis, rendre compte des succès existants, parce qu’ils sont générateurs de solutions.
On a pourtant beaucoup reproché aux médias d’avoir été complaisants dans les dernières années. Mais votre impression, c’est qu’on a surtout rabâché le négatif ?
Je pense que c’est la nouvelle qui fait vendre. On se réjouit davantage du malheur que du bonheur des autres. Mais il y a un équilibre à trouver, pour distinguer le vrai du faux, notamment sur le web. Beaucoup de journalistes y ont développé une éthique, et je pense qu’il est très important que l’information véhiculée soit fiable. Pour cela, on compte beaucoup sur l’éthique des journalistes.
Lors du Sommet, le Dr Arruda a également déclaré que « La nature humaine n’est pas préventive. La prévention requiert un certain effort. Or, souvent, on désire une satisfaction immédiate. Le problème, actuellement, c’est qu’il y a des hémorragies, et ce qu’on voit être reflété dans les médias relève seulement des aspects négatifs. Je pense qu’on doit quand même reconnaître qu’on a un système de santé. S’il n’est pas le plus parfait au monde, c’est peut-être parce que la société n’est pas non plus la meilleure, et que la vision qu’elle se donne ne répond pas à ses besoins », a-t-il suggéré, déplorant par ailleurs que l’attention médiatique se porte davantage sur les problèmes d’accès aux urgences, « quand il faut aussi prendre en compte les besoins de nature thérapeutique ou propres à d’autres paliers ».
Pour voir l’interaction complète du panel en période de questions avec CScience, visionnez cet extrait :
Pour en savoir davantage sur la vision du ministère de la Santé et de ses alliés en matière de promotion de la prévention, consultez le compte-rendu du Sommet de la santé durable sur CScience :
Prévenir plutôt que guérir : l’approche préconisée pour la santé durable des Québécois
Crédit Image à la Une : Chloé-Anne Touma et Horacio Arruda. (Photo : CScience)