La stratégie pour redresser la santé au Québec au cours des prochaines années consistera à miser sur la prévention plutôt que la gestion de la maladie. Mais comment demander aux Québécois de changer leurs habitudes de vie pour tomber « moins souvent » et « moins sérieusement » malades, quand l’inflation, le facteur génétique et le manque d’accès aux soins font difficilement passer la pilule ?
Inciter le changement
Ne vous demandez pas ce que le système de santé peut faire pour vous, demandez-vous ce que vous pouvez faire pour le système de santé… C’est un peu la devise qui teintait le contenu du Sommet de la santé durable, organisé par l’Association pour la santé publique du Québec (ASPQ), qui se déroulait du 30 au 31 janvier à Montréal et à Québec, en simultané.
« La nature humaine n’est pas préventive. »
– Dr Horacio Arruda
Le Dr Horacio Arruda, sous-ministre adjoint au ministère de la Santé et des Services sociaux, et la Dre Theresa Tam, administratrice en chef de la santé publique du Canada, faisaient partie de la quarantaine d’intervenants mobilisés pour sensibiliser pas moins de 800 participants à l’importance d’aborder les problèmes de santé en amont, quitte à parler de prévention plutôt que de soins.
Entrevue avec Horacio Arruda : son mandat et sa vision pour une santé durable
On y a ainsi fait l’apologie de la réduction de la maladie, de l’action précoce et de l’atténuation des inégalités, pour valoriser l’approche « One Health » (une seule santé), soit la prise en compte de tous les paliers agissant sur la santé des Québécois. L’objectif ? Inciter la population, avec l’appui des médias, à adopter une « nouvelle posture » et « de saines habitudes de vie », en vue de solliciter moins de soins et de désengorger le système d’offre de services. Un projet ambitieux qui, si bien exécuté, aura certainement des retombées positives et directes pour les plus jeunes générations et celles à venir, sinon indirectes pour les patients souffrant d’un manque de soins et de prise en charge depuis plusieurs décennies.
Pas trop tard pour les aînés…
Optimiste quant à l’exécution de ce dessein, Thomas Bastien, directeur général de l’ASPQ, estime que l’orientation des projets en matière de santé préventive, qu’ils soient de nature gouvernementale ou portés par l’écosystème de la santé, « est très positive ». « Le vieillissement de la population est, certes, l’une des préoccupations considérées en lien avec le réseau de santé, puisqu’il y a plus de cas de maladie à rapporter chez les personnes âgées. Mais la prévention et la promotion de la santé demeurent possibles et pertinentes, même à leur âge », a affirmé le DG, en entrevue avec CScience. « Cela implique l’innovation technologique, mais aussi l’innovation sociale et humaine », a-t-il souligné, rappelant l’importance de former des partenariats au sein du milieu communautaire pour porter de tels projets.
On peut prévenir 40 % des cas de cancer grâce à la prévention et la promotion des saines habitudes de vie.
Mais si le rôle de la prévention est sous-représenté dans les échanges publics, ce serait parce que « La nature humaine n’est pas préventive, de suggérer le Dr Arruda. La prévention requiert un certain effort. Or, souvent, on désire une satisfaction immédiate. Le problème, actuellement, c’est qu’il y a des hémorragies, et ce qu’on voit être reflété dans les médias relève seulement des aspects négatifs. Je pense qu’on doit quand même reconnaître qu’on a un système de santé. S’il n’est pas le plus parfait au monde, c’est peut-être parce que la société n’est pas non plus la meilleure, et que la vision qu’elle se donne ne répond pas à ses besoins », a défendu le sous-ministre, déplorant par ailleurs que l’attention médiatique se porte davantage sur les problèmes d’accès aux urgences, « quand il faut aussi prendre en compte les besoins de nature thérapeutique ou propres à d’autres paliers ».
La prévention en cancérologie
« Grâce à la prévention et la promotion des saines habitudes, on peut prévenir environ quatre cas de cancer sur dix, ce qui illustre l’impact majeur que l’on pourrait avoir, à l’avenir, à la fois sur la qualité de vie des patients, sur leur taux de survie mais, également, sur le système de santé, puisque cela permettrait de réduire la pression qui y est exercée de manière significative », a soutenu le panéliste David Raynaud, gestionnaire principal en « Défense de l’intérêt public » pour le Québec chez la Société canadienne du cancer.
« Actuellement, le programme de dépistage du cancer du sein cible exclusivement les femmes de 50 ans et plus. Cependant, la réalité est alarmante : un nombre croissant de femmes sont diagnostiquées avec cette maladie bien avant la cinquantaine. »
– Stéphanie Benoît
Rappelons toutefois que des facteurs externes de taille, indépendants des habitudes de vie, et qui échappent au contrôle des patients, rendent la prévention d’autant plus compliquée, notamment en raison de carences en matière d’accès aux services de dépistage.
« Actuellement, le programme de dépistage du cancer du sein cible exclusivement les femmes de 50 ans et plus. Cependant, la réalité est alarmante : un nombre croissant de femmes sont diagnostiquées avec cette maladie bien avant la cinquantaine », souligne Stéphanie Benoît, jeune femme de 33 ans à qui l’on a diagnostiqué un cancer du sein. « Cette expérience m’a ouvert les yeux sur une lacune majeure de notre système de santé au Québec. » Pour lutter contre ce fléau et contribuer à palier le manque d’offre de services préventifs pour les femmes âgées de moins de 50 ans, Mme Benoît a lancé une pétition, qui compte près de 10 000 signataires au moment d’écrire ces lignes, et qui recommande de baisser l’âge du dépistage à 40 ans. « Il est impératif que nous reconnaissions et prenions au sérieux les symptômes de cancer du sein chez les patientes plus jeunes. Ces dernières, souvent diagnostiquées à un stade plus avancé, sont confrontées à des formes de cancer plus agressives. »
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Dans un communiqué publié lundi, le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, a précisé que les Québécois pouvaient prendre rendez-vous dès maintenant, sur le portail web Clic Santé ou par téléphone, pour un dépistage du cancer colorectal, désormais offert dans des points de service locaux sélectionnés dans l’ensemble des régions du Québec. Une mesure qui témoigne d’une volonté de faciliter l’accès à ce service pour la population.
Mais si la volonté du gouvernement est d’être « proactif » en matière de prévention, tel que l’a réaffirmé le ministre lors du Sommet, outre la promotion des saines habitudes de vie, la mise en place d’autres mesures concrètes s’attaquant au manque d’accès aux services de dépistage, notamment pour la population plus jeune, s’impose, ne serait-ce que pour éviter d’avoir à traiter plus de cancers sous leur forme avancée, mais aussi pour soutenir la recherche et le progrès en matière de diagnostique de la maladie en contexte de prédisposition génétique.
Les maladies rares, dont 80 % sont d’origine génétique, affectent 700 000 Québécois
Pensons également aux 700 000 Québécois qui, à défaut d’être aux prises avec un cancer, sont touchés par des maladies rares, dont 80% sont d’origine génétique, et auprès de qui le discours sur les habitudes de vie n’aura que peu de résonance…
Sinon, au chapitre des initiatives visant à intervenir plus tôt et à diagnostiquer plus efficacement les cancers, la technologie de pointe peut s’avérer être un atout indéniable. Au Québec, la Société canadienne du cancer soutient d’ailleurs plusieurs projets de recherche et d’innovation technologique, notamment en intelligence artificielle, visant à déceler plus rapidement certains types de cancer. Promouvoir et encourager la recherche et le développement de telles solutions contribue assurément à rendre la société plus résiliente et proactive en matière de santé.
Mieux se nourrir
Sans grande surprise, l’adoption de saines habitudes alimentaires fait partie des recommandations phares évoquées, puisqu’elle constitue une partie intégrante de la prévention des troubles cognitifs. L’Institut national de santé publique du Québec indique pourtant que 80 % des personnes âgées de plus de 50 ans, soit le groupe le plus exposé aux risques de développer des troubles de cette nature, seraient en dessous des recommandations en matière de consommation de fruits et légumes.
Rappelons que jeudi dernier marquait, comme à chaque année lorsque le calendrier bascule au moins de février, la fin de la période de gel des prix d’épicerie, ce qui signifie que les Québécois paieront beaucoup plus cher leur panier chez Metro, Provigo et IGA – une réalité dont se plaignent plusieurs aînés, et qui pourrait aussi exacerber l’insécurité alimentaire de certains enfants défavorisés, accentuée lors de la grève des enseignants. Dans ces conditions, difficile d’imaginer que l’ensemble des Québécois pourront améliorer leur alimentation et en faire une priorité, en marge d’une crise agroalimentaire qui n’est rien pour aider à lutter contre l’inflation.
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Les ravages de la sédentarité
Selon les données relayées par le ministère de la Santé et des Services sociaux, faire 90 minutes d’exercice physique d’intensité modérée à élevée par semaine permettrait de réduire, chez les adultes, le risque de mort prématurée d’environ 20 %. En faire cinq heures par semaine réduirait ce risque d’approximativement 35 %.
En conférence lors du Sommet, le kinésiologue René Maréchal, également chargé de cours à la Faculté des sciences de l’activité physique de l’Université de Sherbrooke, a fait valoir que « Dans la société dans laquelle on vit actuellement, axée sur l’industrie du savoir, on manque de temps, et on passe la majorité de son temps assis », ce qui contribue à la mortalité précoce et à renforcer la sédentarité moyenne de la population.
Les personnes qui restent assises au moins 16 heures par jour sont environ 60 % de fois plus à risque de mourir prématurément.
Or, si l’on confond souvent l’inactivité physique avec la sédentarité, les deux ont pourtant des connotations différentes, puisqu’on peut être à la fois actif et sédentaire. « L’activité physique génère une dépense énergétique minimale, de modérée à élevée. Cela implique un petit essoufflement, accompagné de l’augmentation de sa fréquence cardiaque. L’inacitivé physique consiste en l’absence ou la non-atteinte des recommandations en matière de pratique d’activité physique. La sédentarité est la somme du temps que l’on passe en comportement sédentaire. À titre d’exemple, on parle de 7,5 heures de temps de sédentarité dans une journée pour les enfants, bien qu’il s’agisse du groupe le moins sédentaire », de préciser M. Maréchal.
En termes de répercussions sur la santé cardiovasculaire, une personne qui demeure assise plus de huit heures par jour serait plus à risque de 150 % de développer une maladie cardiovasculaire. Par ailleurs, les sédentaires seraient deux fois plus à risque de développer un diabète de type 2.
« Les personnes qui restent assises au moins 16 heures par jour sont environ 60 % de fois plus exposées aux risque de mourir prématurément », note le kinésiologue, se référant à la revue scientifique PLOS One.
Sans effleurer la question des données de santé numérique, pourtant phare de la réflexion sur le redressement du système de santé, le PDG de Capsana et autre conférencier, Guy Desrosiers, a quant à lui choisi de pointer vers les technologies sous l’angle de l’omniprésence nocive, puisque la dépendance au numérique et aux écrans, et la montée du télétravail, accentuent sans aucun doute cette tendance vers la sédentarité.
Diffuser le message
Interpellés par CScience quant aux difficultés potentielles de renforcer le message, qui promeut l’approche préventive plutôt que l’amélioration des soins, lors d’une période de questions improvisée, les panéistes Horacio Arruda, Julie St-Pierre, David Raynaud, Joanne Castonguay et l’animateur Thomas Bastien, ont insisté sur l’importance de changer le discours médiatique et d’encourager la population à adopter de saines habitudes.
« Il faut mieux communiquer et utiliser les médias pour faire passer le message et promouvoir la santé jusqu’à susciter l’éveil des gens. »
– Dre Julie St-Pierre
« Il faut être sur la place publique. Il faut mieux communiquer et utiliser les médias pour faire passer le message et promouvoir la santé jusqu’à susciter l’éveil des gens », a suggéré la Dre Julie St-Pierre, pédiatre, lipidologue et directrice de la Maison de Santé Prévention de Montréal, qui a choisi, au risque de déplaire au reste de la profession, de s’exposer médiatiquement et de prendre publiquement la parole lorsqu’elle en a l’occasion.
Pour le Dr Arruda, qui abonde dans le même sens, « Il faut que le débat se fasse sur la place publique ». Selon le sous-ministre, il s’agit surtout « d’informer et d’instrumenter les gens, pour qu’ils puissent faire les bons choix, comprendre la teneur des enjeux qui s’imposent et le fait que l’on ne pourra pas, comme système gouvernemental, ni comme finances, continuer de croître sans arrêt et fermer toutes les autres missions de l’État ».
« On n’a pas le choix (…) la promotion de la santé fait partie de la solution (…) »
– Joanne Castonguay
« On n’a pas le choix (…) la promotion de la santé fait partie de la solution (…) C’est l’opportunité parfaite de changer la façon dont on fait les choses, en impliquant l’ensemble des acteurs, et il y a vraiment une volonté de passer à l’action », a renchéri la Commissaire à la santé et au bien-être, Joanne Castonguay.
Enfin, l’animateur du panel et DG de l’ASPQ, Thomas Bastien, n’a pas manqué d’ajouter que bien qu’ils aient davantage « un appétit pour la gestion de la maladie que pour sa prévention », « les médias ont un rôle à jouer dans ce changement de posture publique ».
Dans l’optique de démocratiser l’information relative à la promotion de la santé, au moyen d’outils de communication gratuits et accessibles, l’ASPQ vient de dévoiler son Livre de la réduction de la maladie au Québec, téléchargeable à partir de son site web. Elle y dresse un bilan des causes évitables de maladie, en plus d’y proposer des solutions concrètes pour agir en amont, telles que la mise à jour et le développement de politiques en matière de prévention, tant à l’échelle provinciale qu’à celle des municipalités.
Crédit Image à la Une : Sommet de la santé durable. (Photo : ASPQ)