La semaine dernière, la rédaction de CScience s’est invitée dans les locaux de Mila, l’Institut québécois d’intelligence artificielle, pour une entrevue avec Michel Dubois à propos de la réalité des PME et organismes en matière d’adoption de technologie de pointe. C’est en tant que directeur du programme « Activation IA » que M. Dubois a exposé les enjeux et besoins à considérer lorsqu’on parle d’intégrer l’intelligence artificielle à son modèle d’affaires.
Qu’est-ce qui freine l’intégration de l’intelligence artificielle et des technologies de pointe pour les PME ?
Ce qu’on a remarqué à l’échelle des PME, c’est qu’il était souvent difficile d’intégrer un projet de recherche très long étant donné leur cycle de planification. Nous avons constaté qu’il était plus utile pour elles d’opter pour des petites preuves de concept assez courtes, d’une durée de deux à six mois, histoire d’y aller progressivement, par blocs, quittes à obtenir un résultat plus important.
Comment Mila répond aux besoins des PME de manière adaptée à cette réalité ?
Pour aider les PME dans leur adoption de l’intelligence artificielle, nous avons lancé le programme Activation IA, en juin dernier. Trois entreprises en bénéficient déjà, et nous en dévoileront bientôt les projets sur notre site web.
Quel type d’accompagnement offrez-vous dans le cadre d’Activation IA ?
Vu notre nature de scientifiques, et dans le but de démocratiser l’IA auprès des PME, nous offrons des services de soutien par nos scientifiques en ce qui a trait à la programmation, aux algorithmes entraînés sur des données publiques ou sur celles de l’entreprise. Bien que notre expertise soit surtout d’ordre technique, nous aidons aussi les PME sur le plan de la stratégie d’affaires et de la mise en marché.
« Nous sommes ouverts à aider toutes les industries, mais sommes particulièrement attirés par les projets d’organisations qui étaient, jusqu’à maintenant, mal servies en intelligence artificielle, dont celles oeuvrant pour les causes sociales et climatiques. »
– Michel Dubois, directeur du programme Activation IA de Mila
Le programme s’adresse-t-il aux entreprises de tous les secteurs ? Quel type de PME cible-t-il ?
Mila étant généraliste, nous ne ciblons pas un secteur d’activité spécifique. Notre programme s’adresse non seulement à tous les secteurs d’économie, mais aussi aux organismes à but non lucratif (OBNL), milieux sociaux et associations. Nous sommes ouverts à aider toutes les industries, mais sommes particulièrement attirés par les projets d’organisations qui étaient, jusqu’à maintenant, mal servies en intelligence artificielle, dont celles œuvrant pour les causes sociales et climatiques. Mila peut aussi aider dans le domaine de l’agriculture, ou encore accompagner certains ministères du gouvernement dans leur intégration de solutions d’IA.
On reproche souvent au secteur de la recherche et de l’innovation de développer des projets selon des visées commerciales plutôt que des causes d’ordre social ou de développement durable. Est-ce un enjeu important pour Mila ou est-ce que la quête du profit oriente le choix des projets ?
Une partie de notre mission est de développer l’intelligence artificielle au bénéfice de tous. Dans certains cas, cela impliquera effectivement d’aider les PME à adapter leur modèle d’affaires pour survivre, évoluer, être plus rentables et compenser une pénurie de main-d’œuvre, et cela relève de la quête du profit. Mais les projets qui se démarquent auprès de Mila ne sont pas nécessairement à profit, et sont plutôt associés à une cause sociale, qu’il s’agisse du logement pour tous, du domaine des sciences de la santé ou encore de l’éthique en IA.
Vous mentionnez la main-d’œuvre. Est-ce que le fait d’intégrer davantage d’IA en entreprise va plutôt créer de l’emploi ou en éliminer et se substituer à l’humain ?
La crainte de l’inconnu est légitime, mais il faut comprendre que les technologies de l’intelligence artificielle n’en sont pas à remplacer l’humain, et encore moins selon la manière dont on les développe chez Mila. Lorsqu’on aide une entreprise à les adopter, c’est toujours selon une perspective visant à améliorer l’expérience de l’employé, et à réaliser ou automatiser les tâches ingrates ou monotones pour lesquelles les employeurs ont beaucoup de difficulté à embaucher. Généralement, cela permet même aux salariés d’avoir des conditions de travail plus intéressantes, et de solliciter leur esprit critique davantage.
En plus de profiter aux entreprises, est-ce que les projets portés par le programme Activation IA font aussi avancer la recherche au bénéfice de la collectivité ?
C’est un élément important, en effet. Le fait de travailler avec des PME sur des mandats courts en lien avec l’IA nous aide à comprendre leurs besoins en la matière, et nous donne des pistes de solutions pour mieux les aider. Dans le cadre d’Activation IA, Mila s’entend avec chaque entreprise pour qu’il y ait publication complète des résultats du projet mené, quant à la méthodologie, aux codes, modèles entraînés et données publiques utilisées. On aide donc l’entreprise de manière utile et personnalisée, et adaptée à ses besoins spécifiques en codant pendant trois à quatre mois. Après cela, on rend les données publiques, et on se lance dans une recherche active d’entreprises au profil similaire auxquelles appliquer le même modèle de solution. L’idée étant de permettre au plus grand bassin possible d’entreprises de profiter de nos ressources.
Est-ce que les gouvernements en font assez pour aider ce mouvement de démocratisation ?
Les gouvernements se mobilisent déjà beaucoup, à différents paliers pour nous aider à permettre l’adoption de l’IA par les entreprises. Les centres de recherche en intelligence artificielle sont choyés en termes de subventions en ce sens. Ensuite, il y a aussi beaucoup de programmes d’aide offerts en innovation, pensons notamment aux crédits d’impôt pour la recherche et le développement (R&D).
Comment se positionne-t-on en termes de collaboration internationale ?
En tant que centre de recherche, Mila a des liens internationaux depuis toujours, c’est l’idée-même de la collégialité et de l’universalité de la recherche. Il est donc naturel pour nous de développer des projets publics et de partager la connaissance, des projets dont les retombées dépassent les frontières. Bien que Mila encourage la publication des résultats, il faut aussi faire des exceptions et accepter que pour certaines entreprises, il est important de conserver leur propriété intellectuelle plus longtemps et garder une portion de l’innovation et des inventions confidentielle, question d’avantage de croissance. Mais nous avons vraiment pour objectif de maximiser les retombées positives de l’IA pour l’ensemble de la collectivité.
En quelques mots, dites pourquoi vous pensez que les entreprises ont intérêt, finalement, à intégrer les technologies de l’IA ?
Une étude d’Accenture rapportait que 12 % des 1200 plus grandes entreprises mondiales utilisaient l’IA pour se transformer et enregistraient, en moyenne, une augmentation de 50 % de leur revenu annuel. Si l’on transpose cette réalité des grandes entreprises à celle des PME, on peut imaginer la portée du gain à y réaliser, ne serait-ce qu’en termes de revenus.
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Crédit Image à la Une : Chloé-Anne Touma