L’IA comme réponse aux incertitudes géopolitiques et environnementales

L’IA comme réponse aux incertitudes géopolitiques et environnementales

En 2024, la moitié de la population mondiale en âge de voter est conviée à participer à des élections. S’ajoutent à cette réalité des tensions entre pays (notamment entre les États-Unis et la Chine, ou la Chine et Taïwan), des conflits armés (entre l’Ukraine et la Russie, ou Israël et la Palestine), des défis liés au développement durable, et de possibles pandémies futures pouvant troubler différentes chaînes d’approvisionnement. Comment, devant un futur fourmillant d’incertitudes, l’IA peut-elle être une aide à l’anticipation de ces bouleversements et au développement d’un futur plus juste et vert?

Dominique Anglade et Rodolphe Desbordes. Photo: Kamba Sita

Rodolphe Desbordes, professeur d’économie à SKEMA Business School France, observe qu’en géopolitique, l’IA est souvent présentée comme une arme au fort pouvoir d’influence sur des processus électoraux. L’usage des technologies aurait permis à la Russie d’influencer les élections aux États-Unis et en France. Selon l’enseignant, le ciblage et l’hypertrucage sèment des doutes chez les internautes et peuvent les mener vers des extrêmes et des perceptions polarisées.

Pourtant, l’IA « est une technologie duale. On peut produire de la dissidence ou, au contraire, rassembler des gens », rappelait M. Desbordes lors de la conférence « Prospérer dans un monde instable : Géopolitique, IA et développement durable » de SKEMA Canada, ce 24 avril.

Comment l’IA peut-elle aider?

Rodolphe Desbordes voit trois principales retombées de l’IA face à ces questions. L’IA numérique, qui robotise et automatise des tâches, raccourcit et renforce les chaînes d’approvisionnement en rapatriant la production. Cette technologie permet aussi, grâce aux mégadonnées, de mieux cibler les fournisseurs affectés par ces grands conflits mondiaux. Enfin, des IA génératives et des jumeaux numériques peuvent aider les entreprises à mieux prédire et anticiper les chocs.

« L’IA est une technologie duale. On peut produire de la dissidence ou, au contraire, rassembler des gens. »

– Rodolphe Desbordes, professeur d’économie à SKEMA Business School France

Le professeur observe cependant un manque quant aux outils d’analyse des relations entre États. « On a beaucoup d’indicateurs qui viennent d’entreprises privées, de banques mondiales, pour mesurer le risque pays, explique-t-il. Au-delà de cela, quand on parle de relations internationales, il n’y a pas vraiment d’indicateurs de relations conflictuelles interétatiques. »

En réponse à cette lacune, SKEMA Business School a fait usage des métadonnées et de l’apprentissage machine pour créer l’Interstate Conflictual Relations Index (ISCRI), un indice qui mesure en temps réel les tensions entre États.

« Dans un contexte où il n’y a plus rien qui tienne, d’un point de vue géopolitique, où différentes organisations sont remises en question, c’est un outil additionnel à notre disposition pour nous aider à orienter des décisions qui vont être prises entre pays », estime Dominique Anglade, coleader à la direction de la transition durable et professeure associée à HEC Montréal.

Polarisation et inclusion

Public lors de la conférence. Photo: Kamba Sita

Mme Anglade insiste sur l’utilité d’un tel outil alors que les incertitudes géopolitiques actuelles mènent des systèmes internationaux « au bord de la rupture ». « Tout est remis en question d’un point de vue géopolitique. Nos démocraties libérales, avec un grand L, sont mises à mal. À la fin de 2024, on va probablement être beaucoup moins libéraux qu’on l’était au début de l’année, avec une montée de l’autoritarisme et de la droite avec des conséquences majeures pour nos institutions », soutient-elle.

« Quand on va analyser la question du développement durable, la question genrée va arriver assez rapidement et devrait l’être. L’implication des femmes dans les décisions va être fondamentale »

– Dominique Anglade, coleader à la direction de la transition durable et professeure associée, HEC Montréal

Cette polarisation montante existait avant l’avènement de l’IA, mais celle-ci deviendrait un vecteur d’accélération. « Les femmes de cette génération sont de plus en plus libérales, donc ouvertes aux questions sociales, environnementales, LGBTQ+, tandis que les garçons deviennent plus conservateurs et traditionnels. Cette polarisation est très inquiétante. Il nous faut créer un environnement où le dialogue et les échanges vont nous permettre de trouver des solutions […] Est-ce que la technologie peut nous aider à avoir ces échanges-là? Il le faudrait », ajoute-t-elle.

Pour cela, elle encourage la création d’espaces de débats et d’échanges plutôt que de « safe spaces »  ou zones sûres. Mme Anglade note l’importance des femmes dans ces espaces de discussion, considérant qu’elles sont plus vulnérables face à certaines crises planétaires. Elles seraient entre autres plus touchées et affectées par les changements climatiques que les hommes.

Transition énergétique au Québec : entre défis et solutions

« Il faut absolument qu’elles soient impliquées et engagées dans la question du développement durable et dans les solutions qu’on va devoir trouver de manière locale. Quand on réfléchit à ce qu’on peut faire avec l’IA, on sait à quel point la question des biais devient importante. Il faut trouver des mécanismes qui vont faire en sorte que ces perspectives soient prises en considération […] Quand on va analyser la question du développement durable, la question genrée va arriver assez rapidement, et devrait l’être. L’implication des femmes dans les décisions va être fondamentale », croit-elle.

Les diverses crises mondiales, dont celles liées au changement climatique, poussent vers des solutions locales. Les vagues de réfugiés climatiques sont l’un des plus gros enjeux des changements environnementaux. « Environ 20% de notre territoire global dans les prochaines décennies ne sera pas habitable. Sur ce 20%, il y a trois milliards d’individus qui y habitent […] Les solutions devront être locales parce que ces mouvements ne vont et ne pourront pas se produire », lance Mme Anglade.

Crédit Image à la Une : Kamba Sita