Entrevue avec Julie-Maude Normandin : Quand la science conseille Longueuil

Entrevue avec Julie-Maude Normandin : Quand la science conseille Longueuil

La Ville de Longueuil est la deuxième au Québec — et l’une des premières du monde — à se doter d’une conseillère scientifique en chef. Pleins feux sur le rôle de cette nouvelle employée œuvrant au sein de l’administration municipale de la cinquième ville en importance dans la province.

Julie-Maude Normandin est entrée en poste officiellement au mois de juillet dernier. La seule autre municipalité dans la province qui fait appel à un expert en science pour éclairer les décisions prises par l’administration municipale est Victoriaville. Son conseiller, Simon Barnabé, travaille aussi comme professeur à l’Université du Québec à Trois-Rivières.

« (…) je suis intégrée comme employée au sein de la direction générale. J’ai quitté mon ancien poste pour devenir conseillère scientifique en chef à Longueuil. »

– Julie-Maude Normandin, conseillère scientifique en chef de Longueuil

« À Victoriaville, c’est un professeur de l’UQTR qui conseille la Ville en lien avec différents besoins qu’elle pourrait avoir, mais il ne se consacre pas à cette activité à plein temps, alors que je suis intégrée comme employée au sein de la direction générale. J’ai quitté mon ancien poste pour devenir conseillère scientifique en chef à Longueuil », indique Mme Normandin, rencontrée par CScience.

Chercheuse en administration publique

Julie-Maude Normandin

Julie-Maude Normandin (LinkedIn)

Ledit ancien poste consistait à être co-directrice d’un groupe de recherche de l’École nationale d’administration publique (ÉNAP). « Le groupe s’appelle Cité-ID LivingLab et travaille sur la gouvernance de la résilience urbaine. Il compte une dizaine de chercheurs, autant professeurs qu’étudiants à la maîtrise ou au doctorat », dit la scientifique. « Le Cité-ID était spécialisé dans le travail de recherche-action avec des villes ou encore des entités municipales ou régionales comme les MRC pour développer des projets qui favorisaient le développement de la résilience urbaine. »

Des projets de recherche ont entre autres été établis avec les villes de Québec et Montréal afin d’évaluer comment la Municipalité a pris ses décisions à l’interne, et tenté de coordonner son action pour le rétablissement de la collectivité, suivant l’attentat contre la mosquée, et les bouleversements amenés par la pandémie de COVID-19. Du côté de Montréal, six arrondissements ont participé aux travaux du Cité-ID afin de déterminer comment les liens sociaux ont évolué dans un contexte post-COVID-19. « Par exemple, comment ont évolué les liens d’interaction entre les personnes du voisinage ? Le fait de participer à des événements publics ou pas ? Leur lien de confiance avec les autorités ? Sinon, comment les liens sociaux à l’échelle du territoire ont évolué et comment certains facteurs viennent améliorer ou pas les liens entre les citoyens ? », explique Mme Normandin.

Deux premières priorités

Ainsi, lorsque l’opportunité est arrivée pour l’experte de se lancer dans l’aventure et de devenir l’une des premières conseillères scientifiques municipales au monde, elle n’était pas en terrain complètement inconnu. Le directeur général longueuillois lui a donc confié un mandat centré sur certaines priorités. « Les deux dossiers sur lesquels je travaille en collaboration avec les équipes déjà existantes sont celui de la résilience climatique en lien avec les forts épisodes de pluies qui créent des refoulements d’égouts, et qui causent des inondations sur les routes ou les bâtiments publics, de même que la réponse au rapport de l’Office de participation publique de Longueuil sur les feux à ciel ouvert. »

« Il y a des directions qui sont habituées de travailler avec des scientifiques, d’autres moins. Parfois il suffit juste d’être une courroie de facilitation au sein des services et de voir comment on peut soutenir ça de façon générale. »

– Julie-Maude Normandin, conseillère scientifique en chef de Longueuil

Elle a ainsi commencé, durant les six premières semaines de son mandat, à s’intéresser aux solutions mises en place ailleurs dans le monde pour régler les enjeux auxquels fait face Longueuil. Pour le dossier de la résilience climatique, elle a notamment « défini qui a fait des recherches scientifiques sur le sujet au Québec et comment ça pourrait nous être utile. Par exemple, on aborde les solutions en pluviométrie, comment on va s’adapter pour le futur, qui a testé des solutions au Québec et même en Amérique du Nord, quelles villes ont mis en place des solutions et comment les études scientifiques ont pu démontrer qu’une solution est plus efficace qu’une autre. Il y a beaucoup de types de solutions possibles. Ça va autant des interventions d’ampleur comme le changement d’infrastructures, à l’incidence de la création de nouveaux bassins de rétention, en passant par le retrait d’une partie de la surface perméable comme l’asphalte sur des stationnements ou encore la modification des trottoirs pour y intégrer de la végétation. »

Pour le moment, elle doit donc remplir les mandats qui lui sont donnés par la direction générale, mais elle pourrait également indiquer lors d’interactions avec celle-ci que des secteurs ou des questions lui semblent être propices à un approfondissement des connaissances scientifiques de la Ville. « Il y a des directions qui sont habituées de travailler avec des scientifiques, d’autres moins. Parfois il suffit juste d’être une courroie de facilitation au sein des services et de voir comment on peut soutenir ça de façon générale. »

Quelle utilité pour la Ville ?

Quant à savoir quelle est l’utilité pour une ville d’avoir une telle conseillère en son sein, Mme Normandin indique qu’à son avis, « les connaissances scientifiques et les données probantes servent surtout à trois choses : mieux comprendre le problème auquel on fait face, mieux comprendre les solutions possibles et l’efficacité des solutions testées à l’externe, et mieux comprendre et soutenir cette solution de façon concrète. Parce que ce dont on se rend compte, c’est que quand une politique ou une intervention n’a pas les résultats escomptés, ce n’est pas nécessairement parce que la décision n’était pas très bonne, mais plutôt qu’il y a eu des enjeux de mise en œuvre. »

« (…) quand une politique ou une intervention n’a pas les résultats escomptés, ce n’est pas nécessairement parce que la décision n’était pas très bonne, mais plutôt qu’il y a eu des enjeux de mise en œuvre. »

– Julie-Maude Normandin, conseillère scientifique en chef de Longueuil

La mairesse de Longueuil, Catherine Fournier, a pour sa part souligné que cette création de poste vise à ce qu’il y ait « une meilleure efficacité de notre appareil public et [une] plus grande transparence. Cette création de poste s’inscrit dans notre volonté de rendre les enjeux municipaux plus accessibles, en plus de contribuer à la rigueur de notre prise de décisions. » C’est d’ailleurs comme députée provinciale de Marie-Victorin, en 2021, que Mme Fournier a déposé un projet de loi proposant une production accrue de données statistiques au sein de l’État, afin « d’outiller plus convenablement les décideurs publics.  Puis, lorsque j’ai pris la décision de me présenter à la mairie de Longueuil, à la suite de l’appel de Rémi Quirion, Scientifique en chef du Québec, réclamant une meilleure culture scientifique dans les municipalités, je me suis formellement engagée à créer le poste de conseiller scientifique en chef à la Ville. »

Avec la participation des citoyens

Pour le moment, Julie-Maude Normandin indique que les moyens de diffusion des informations recueillies dans le cadre de son travail n’ont pas encore été définis, mais que « la participation citoyenne dans cette culture de développement scientifique est importante. On ne peut pas penser que les citoyens vont participer s’ils n’ont pas accès à l’information. — une information à laquelle ils devraient avoir accès, aussi, en cours de route et non pas toujours après. » Elle ajoute que son mandat inclut le fait d’informer la population sur des développements scientifiques. « On a beaucoup d’idées, mais je pense que pour ce volet (l’engagement citoyen pour la vulgarisation des enjeux auprès des citoyens), il faudra regarder comment ça va se faire. Il faudra trouver quels sont les outils et il n’y a pas beaucoup de modèles desquels m’inspirer dans le monde, mais on va développer ça au fil des années. »

Crédit Image à la Une : La conseillère scientifique en chef de Longueuil, Julie-Maude Normandin, entourée du directeur général de Longueuil, Alexandre Parizeau, et de la mairesse de Longueuil, Catherine Fournier. (Photo: Ville de Longueuil)