Un nouveau filtre politique signé Meta

Un nouveau filtre politique signé Meta

Instagram et Threads ne suggèrent plus de contenu politique dans le fil d’actualité de leurs utilisateurs depuis un certain temps, et la nouvelle mesure de Meta s’étendra à Facebook, si ce n’est déjà le cas. En marge de cette mise à jour, la Commission européenne vient d’ouvrir une procédure formelle à l’encontre du géant américain, afin d’évaluer si Meta a enfreint la législation sur les services numériques. Quels seront les impacts de la censure des contenus politiques pour notre démocratie, et comment peut-on contrer cette mesure en quelques étapes ?

Meta, la maison mère d’Instagram, a annoncé dans un communiqué adressé à ses utilisateurs le 9 février dernier qu’elle ne recommanderait plus « de manière proactive du contenu relatif à la politique dans les espaces « Recommandations » sur Instagram et Threads ». « Si vous décidez de suivre des comptes qui publient des contenus politiques, nous ne vous empêcherons pas de voir leurs publications, mais nous ne voulons pas non plus recommander de manière proactive des contenus politiques provenant de comptes que vous ne suivez pas », ajoute Meta dans le communiqué.

De manière plus concrète, les sections d’Instagram affectées par la mise à jour sont celles où elle recommande du contenu à ses utilisateurs, soit dans les sections « Reels » et « Explorer », et dans le fil d’actualité, où se trouvent les recommandations de contenu et les suggestions de comptes à suivre.

Un effet de bulle porté à être renforcé

Les élections américaines approchent à grands pas, la guerre d’attrition opposant l’Ukraine et la Russie fait toujours rage et depuis quelques mois, les yeux sont rivés sur le conflit israélo-palestinien qui s’est intensifié en automne 2023. Les informations qui circulent sur ces sujets d’actualités sont principalement partagées sur les réseaux sociaux, incluant Instagram. La nouvelle décision de Meta, qui est passée inaperçue pour plusieurs, tombe à un moment particulier.

« Si on arrive à faire en sorte que chaque individu ne voit que ce qu’il veut voir, et que ce qui lui est proposé, on peut s’inquiéter quant à que cet individu pourrait avoir comme opinions de manière générale. »

– Lahcen Fatah, éthicien en technologie 

Lahcen Fatah, éthicien en technologie et doctorant en science, technologie et société au Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie de l’Université du Québec à Montréal (CIRST-UQAM), croit que la nouvelle mesure de Meta est une atteinte à notre démocratie, et qu’elle pourrait avoir des conséquences sur nos débats sociétaux. « Si on considère qu’une grande part de la population s’informe uniquement via les réseaux sociaux, et quand on sait que les algorithmes font un ciblage des internautes, on peut se retrouver avec le risque dangereux de [ne pas avoir accès] à des opinions diverses. [Ceux-ci] peuvent nourrir les réflexions et permettre de voir d’autres points de vue, et de prendre de meilleures décisions, par exemple, dans le cadre d’élections politiques », dit-il. La perte de cette diversité des contenus proposés aux utilisateurs ferme ses fenêtres sur les autres discours qui ont lieu dans l’espace public qui, en 2024, est en partie digital.

À cela s’ajoute le fait qu’au Canada, depuis la Loi c-18, l’accès aux nouvelles produites par les médias d’ici et d’ailleurs, mis à part quelques exceptions, est restreint sur les plateformes de Meta.

Loi C-18 et blocage des nouvelles : quelle suite pour les médias en crise ?

Selon M. Fatah, une censure des contenus politiques et sociaux à long terme et une optimisation des suggestions de contenu personnalisé pourraient avoir un effet « abrutissant » sur plusieurs internautes : « Si on arrive à faire en sorte que chaque individu ne voit que ce qu’il veut voir, et que ce qui lui est proposé, on peut s’inquiéter quant à ce que cet individu pourrait avoir comme opinions de manière générale. »

« C’est à la fois un problème technologique, en considérant que ces algorithmes peuvent enfermer les gens dans des bulles […] et un problème d’un point de vue politique, parce qu’il est très facile de manipuler l’opinion publique, si on considère que certaines cibles des partis politiques ne vont pas sortir de leur vision actuelle, et ne vont pas remettre en question certains propos ou certaines idéologies qui leur [sont amenées] », ajoute M. Fatah.

Comment activer les suggestions de contenu politique ?

Si, de facto, Instagram ne suggère plus de contenu lié à la politique à ses utilisateurs, ceux-ci ont toujours l’option de contourner la nouvelle mise à jour en allant changer leurs préférences dans leurs paramètres de compte. Pour ce faire, dans l’application, il faut tout d’abord cliquer sur son profil, et consulter les paramètres. Une fois dans les paramètres, ils suffit de se rendre à la section « Contenu suggéré », puis cliquer sur la sous-section « Contenu politique », et enfin, choisir la deuxième option, qui autorise la suggestion de « sujets portant sur la politique et [les] enjeux sociaux ».


Les étapes à suivre pour activer les suggestions de contenu politique dans l’application Instagram sur Android. 

« Si ces stratégies de la part de Meta portent fruit d’un point de vue commercial, et que d’autres géants de la tech s’en rendent compte, on peut s’attendre à ce que ceux-ci suivent derrière », suggère M. Fatah. Bien qu’il soit facile de désactiver le nouveau filtre à suggestions politiques d’Instagram, selon l’éthicien en technologie, avec les géants de la tech, « tout est envisageable ». Il rappelle qu’il y a quelques années, l’idée de bloquer les nouvelles sur les réseaux sociaux était « inimaginable », alors, selon lui, il serait possible que cette fonctionnalité disparaisse dans un futur proche.

À la suite de cette nouvelle, et du blocage des médias sur les plateformes de Meta au Canada, M. Fatah affirme que les gouvernements ont intérêt à « se poser de vraies questions sur la régulation de la technologie », et ce, non pas seulement en lien avec l’IA, mais aussi avec les pratiques technologiques des GAFAM.

Crédit Image à la Une : Unsplash