Le futur de l’industrie du jeu vidéo au Québec : entre risques et opportunités

Le futur de l’industrie du jeu vidéo au Québec : entre risques et opportunités

Depuis plus de 25 ans, l’industrie vidéoludique québécoise et son écosystème sont en constante évolution, ayant fait du Québec un chef de file mondial dans le domaine du jeu vidéo. Mais que lui réserve l’avenir, et comment l’intégration de nouvelles innovations, aussi bien technologiques que sociales, pourrait-elle transformer le secteur ?

L’industrie, en quelques chiffres…

Chaque dollar investi en jeux vidéo rapportera 4.21$ à l’économie québécoise

– Guilde du jeu vidéo du Québec

Dans un récent rapport, la Guilde du jeu vidéo du Québec affirme que chaque dollar investi dans le milieu rapportera 4.21$ à l’économie québécoise dans un proche avenir. L’industrie représente à elle seule 300 studios de développement, dont 37% en région, 14 500 emplois, et 1.31 milliard $ du PIB du Québec. Sur un marché mondial estimé à plus de 300 milliards de dollars américains (408 milliards de dollars canadiens), tel que nous le rapporte le cabinet de conseil Accenture, le potentiel de croissance du secteur au Québec n’est certes pas fracassant, mais il est en passe de le devenir. Faut-il soutenir ou se méfier des moyens que prennent ses acteurs pour atteindre leurs objectifs de croissance ?

Le recrutement et la rétention de talents

Sur le plan des talents et des ressources humaines au Québec, on parle d’un milieu qui devrait être plus attractif pour la relève, offrant de meilleures conditions aux créateurs et développeurs, afin de pallier les problèmes de pénurie de main-d’œuvre qui n’épargnent pas le secteur.

Grâce à des partenariats comme celui entre le studio Behaviour Interactive et l’Université Concordia, par exemple, on assiste à la naissance de nouvelles chaires de recherche en jeux vidéo et d’aides financières pour encourager les jeunes talents à faire des études et faire carrière dans le domaine, même sous l’angle de la recherche scientifique.

Il incombera au milieu d’adopter davantage de mesures pour améliorer les conditions de travail des créateurs et développeurs, souvent critiquées au cours des dernières années, notamment en raison du manque de temps consacré à leur vie personnelle, surtout en situation de « crunch time », c’est-à-dire en période critique ou décisive pour le lancement d’un jeu.

Suivant les dénonciations d’une culture toxique chez Ubisoft, qui avaient suscité l’indignation dans l’écosystème il y a trois ans, on s’attend à ce que les employeurs se montrent plus flexibles et ouverts, et qu’ils adoptent une culture du travail plus saine, faisant preuve de transparence et de bienveillance à l’égard des nouvelles recrues.

2 bouleversements sur le plan technique

Sur le plan technique et plus technologique, on s’attend à deux types de bouleversements.

La réalité virtuelle

D’abord, une transformation qu’amène l’arrivée de la réalité virtuelle (VR) et de la réalité augmentée dans plusieurs milieux et sphères de la société : pensons à l’entreprise Immersia Studio, qui propose le jeu d’évasion et de stratégie multijoueurs en réalité virtuelle aux entreprises, pour permettre aux équipes et collègues de faire du team building (renforcement de cohésion d’équipe).

https://www.cscience.ca/2023/05/26/des-jeux-de-vr-pour-sepanouir-entre-collegues-et-mieux-travailler-en-equipe/

On s’attend à ce que la VR intègre des milieux insoupçonnés, comme celui de la gérontologie et des résidences pour personnes âgées, et qu’elle stimule et renforce la santé cognitive des aînés. On parle ainsi d’un marché qui sera plus inclusif de divers domaines et communautés.

L’intelligence artificielle

L’autre transformation d’ampleur significative attendue réside dans l’automatisation de plusieurs processus de production au moyen de l’intelligence artificielle, domaine connexe et d’expertise reconnue au Québec.

L’IA promet en effet de révolutionner la création et la production de jeux. Le Centre de développement et de recherche en intelligence numérique (CDRIN) de Matane, par exemple, travaille à faciliter la création d’effets visuels et le transfert de l’animation 2D à l’animation 3D de façon automatique, pour permettre aux artistes 3D de se concentrer sur des tâches moins répétitives.

S’il s’agit d’une solution au problème de manque de main-d’œuvre, la possibilité d’écrire des scénarios de jeux vidéo est aussi vue comme une menace pour l’emploi des auteurs de scriptes, qui pourraient être remplacés par l’IA générative. Chez Ubisoft, où l’on emploie 5000 québécois, on a déjà commencé à utiliser l’IA générative pour générer des dialogues pour les personnages non joueurs, et assister les auteurs.

L’IA permet aussi déjà de complexifier le gameplay (la jouabilité), en rendant les personnages des jeux moins prévisibles et plus élaborés, ayant la capacité de prendre des décisions non programmées. C’est l’une des dernières innovations de l’entreprise américaine NVIDIA, qui conçoit des processeurs graphiques. L’un des gros compétiteurs de Ubisoft, Rockstar Games, développeur new-yorkais, a aussi prévu intégrer des comportements et décisions soutenues par l’IA aux personnages des forces de l’ordre dans son prochain jeu Grand Theft Auto, GTA 6, dont beaucoup d’adeptes attendent la sortie.

Des débats sur l’éthique

L’IA générative, lorsque sollicitée pour usurper et s’approprier l’image ou la voix d’artistes connus, soulève aussi de plus en plus de questions d’ordre éthique, qui ne sont pas étrangères au monde du jeu vidéo.

https://www.cscience.ca/2023/08/31/les-victimes-des-derives-de-lintelligence-artificielle/

Il y a environ deux mois, l’actrice Victoria Atkin, connue pour avoir doublé le personnage d’Evie Frye du jeu Assassin’s Creed Syndicate, développé au Québec par Ubisoft, a dénoncé l’usage non autorisé de sa voix sur Nexus Mods, un site très populaire où les gamers (amateurs de jeux vidéo) peuvent télécharger ce qu’on appelle des « mods », soit des ajouts ou des modifications qui peuvent bonifier leur expérience d’un jeu vidéo. En tant que contributeur de la plateforme, un créateur de la communauté a sollicité l’IA pour imiter la voix de Mme Atkin, puis en a fait un mod, qu’il a par la suite offert en téléchargement sur la plateforme, permettant ainsi à des centaines d’intéressés de télécharger la voix de l’actrice et d’en faire une narratrice de leur jeu, sans son consentement et sans qu’elle n’ait touché de redevances.

Victoria Atkin. (Photo : Grant81, Wikipédia)

Interviewé par CScience, le directeur du design chez Prodago et expert du storytelling (récit) multimédia, Jonathan Bélisle, pense qu’au lieu d’être diabolisée, l’IA devrait plutôt être considérée comme un moyen de propulser notre créativité.

« Peut-être que l’IA, en enlevant le poids de la production et de l’exécution, va nous doter d’outils qui vont permettre de faire du storytelling , faire gagner du temps aux auteurs et créateurs, qui pourront alors se concentrer sur leurs idées. Imaginons alors que l’IA nous permette de raconter de très bonnes histoires, qu’elle permette à un enfant de huit ans de créer un jeu vidéo qui va changer le monde, rien qu’en lançant oralement ses idées », suggère M. Bélisle.

Rappelons que l’IA permet déjà de créer des jeux de plateforme de base comme MarioGPT, grâce au modèle GPT-2, entraîné à partir du jeu original, et de codes de programmation basiques. Dans un futur pas si lointain, on s’attend à ce que l’IA générative puisse concevoir des jeux sophistiqués de A à Z, sinon à partir d’une requête formulée (prompt) qui consisterait en la seule intervention humaine.

Crédit Image à la Une : Onur Binay, Unsplash


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Notre rédactrice en chef, Chloé-Anne Touma, aborde l’avenir des jeux vidéo à Montréal sur les ondes du 98,5 FM (COGECO).