Le Québec dans la course mondiale à la communication quantique et à la cybersécurité

Le Québec dans la course mondiale à la communication quantique et à la cybersécurité

Les communications quantiques et la cryptographie post-quantique sont les nouveaux paradigmes d’une course mondiale à la suprématie quantique. L’enjeu ? La cybersécurité, la souveraineté numérique et la sécurité nationale des États. Dans cette nouvelle guerre froide, dont la Chine et les États-Unis sont les chefs de file, le Québec pourrait bien tirer son épingle du jeu…

« La cybersécurité n’est pas qu’un enjeu économique, légal ou relatif aux forces de l’ordres. C’est maintenant et clairement un enjeu de société qui a un réel potentiel d’impact sur toutes les chaînes d’approvisionnement et sur nos vies », disait en préambule Marcel Labelle, directeur général de Cybereco, dont la 3ème édition s’est tenue la semaine dernière à Montréal.

Dans cette course à la cybersécurité, les jours de nos cryptographies traditionnelles présentes dans tous les domaines de notre vie, sont comptés.

LA FIN DE LA CRYPTOGRAPHIE TRADITIONNELLE

La puissance de calcul d’un ordinateur quantique permet de décupler les capacités de déchiffrement de nombreux systèmes cryptés, et notamment la cryptographie RSA majoritairement utilisée au quotidien pour nos cartes bancaires. De nombreux systèmes comme les sites internet protégés (le fameux protocole https:), le chiffrement des bitcoins ou encore les télégrammes diplomatiques pourraient succomber à l’algorithme de Shor, propulsé par un ordinateur quantique.

« L’information cryptée aujourd’hui doit pouvoir le rester pour 10, 20 ou 50 ans », explique, en entrevue avec CScience, Christophe Pere, conseiller scientifique pour PINQ(Plateforme d’innovation numérique et quantique du Québec). « Les documents classés secret-défense doivent rester inviolables. Or, actuellement, des entreprises récupèrent beaucoup d’informations cryptées sur internet pour pouvoir les casser dans le futur. »

« (…) actuellement, des entreprises récupèrent beaucoup d’informations cryptées sur internet pour pouvoir les casser dans le futur. »

– Christophe Pere, conseiller scientifique chez PINQ2

C’est également ce que craint Sylvain Guilley, professeur à Télécom Paris et directeur technique de la société de cryptographie Secure-IC, qui considère, dans une récente entrevue à Science & Vie, qu’il est déjà trop tard : « Un acteur étatique peut dès à présent enregistrer certaines communications en vue de les décrypter ultérieurement, quand l’ordinateur quantique sera prêt. »

Cette révolution quantique frappe à notre porte; l’algorithme de Shor nécessite des milliers de qubits pour fonctionner sans erreur. Or, le plus gros ordinateur quantique (Osprey d’IBM), tourne aujourd’hui avec 433 qubits. Mais la prochaine génération, le processeur quantique Condor, fonctionnera déjà avec 1 121 qubits cette année et 4 158 qubits en 2025. Google a annoncé en février dernier la création de qubits logiques destinés à corriger le taux d’erreurs important des qubits physiques. Le géant d’internet veut même créer un ordinateur quantique d’un million de qubits à l’horizon 2029.

De quoi accélérer la recherche sur la cryptographie post-quantique !

https://www.cscience.ca/2023/02/20/la-promesse-de-linformatique-quantique-ce-quil-faut-en-comprendre/

LE QUÉBEC ET LE CANADA DANS LA COURSE À LA SOUVERAINETÉ NUMÉRIQUE

Le Québec entrera dans la course en septembre 2023, en accueillant son premier ordinateur quantique, un IBM Quantum System One de 127 qubits, chez PINQ2 à Bromont.

Cet ordinateur quantique, le 5ème au monde, sera le seul sur le territoire canadien. De plus, il sera jumelé avec un data center situé au Québec et accessible via un cloud déployé par PINQ2. L’OBNL de Bromont sera ainsi le seul centre au monde à ne pas stocker ces données à l’extérieur du Canada.

« Nous allons rester totalement souverain puisque la donnée générée sur le territoire canadien, restera sur le territoire, pourra être traitée et stockée sur le territoire, en quantique, en classique et en hybridation », se réjouit Gaël Humbert, partenaire fondateur de PINQ2, en charge du développement des affaires, des partenariats et de la stratégie.

crédit photo: PINQ2 – 23 janvier 2023

Il ajoute que PINQ2 a négocié avec IBM les droits d’utilisation et de distribution d’un accélérateur de découvertes scientifiques (accelerated discovery plateform) sur place. « On va être les seuls au monde à déployer ça sur notre territoire », argumente M. Humbert.

« Nous allons rester totalement souverain puisque la donnée générée sur le territoire canadien, restera sur le territoire, pourra être traitée et stockée sur le territoire, en quantique, en classique et en hybridation. »

–  Gaël Humbert, partenaire fondateur de PINQ2, en charge du développement des affaires, des partenariats et de la stratégie.

La recherche sur les communications quantiques et la cryptographie post-quantique est une des priorités de PINQ2.

Le secteur de l’énergie est un enjeu important au Canada. La particularité du Québec, qui compte beaucoup de centres de Recherche & Développement en énergies renouvelables ou en hydroélectricité, nécessite une sécurisation accrue des parcs énergétiques et des télécommunications entre ces sites. « On est un lieu d’expérimentation pour les États-Unis et pour l’Europe », avance Gaël Humbert.

Le centre QuaTERA (Quantum Technologies Energy Result Accelerator), partenariat franco-québécois créé en novembre 2022 dans la Zone d’Innovation quantique de Sherbrooke, vise justement « à former un écosystème de partenariats à l’intersection de l’industrie de l’énergie, des technologies classiques-quantiques et des algorithmes hybrides afin de concevoir et de développer des solutions qui permettent de résoudre à court terme les véritables défis de l’industrie de l’énergie ».

« Le Québec est une passerelle pour la collaboration franco-canadienne », se réjouit Gaël Humbert.

LA DIPLOMATIE À L’HEURE DE LA COMMUNICATION QUANTIQUE

La diplomatie mondiale anticipe déjà l’arrivée des ordinateurs quantiques. En décembre 2022, l’ambassade de France aux États-Unis a envoyé à Paris son premier télégramme diplomatique chiffré grâce à une nouvelle génération de cryptographie post quantique, qui résiste aux capacités de déchiffrage d’un ordinateur quantique.

La France a également annoncé un calendrier de migration vers la cryptographie post quantique de ses infrastructures critiques; l’Hexagone ambitionne de devenir la troisième puissance mondiale dans le domaine de la quantique.

La ministre française des Armées, Florence Parly, décrit la course à la suprématie quantique comme « la mère de toutes les batailles technologiques ».

LA GUERRE QUANTIQUE SINO-AMÉRICAINE

Dans la guerre sino-américaine de la communication quantique, la Chine détiendrait une avance.

« La Chine investit énormément dans les protocoles de communication comme les systèmes satellitaires ou la fibre optique quantique », constate Christophe Pere.

L’empire du milieu fut le premier à lancer un satellite de communications quantiques en 2016. « Ils sont vraiment à la pointe, par exemple dans le domaine des communications quantiques où ils ont réalisé de la cryptographie par satellite Micius, ce que personne d’autre ne sait encore faire », dévoilait aux Échos, Nicolas Sangouard, directeur de recherche du CEA à l’Institut de Physique Théorique au CEA-Paris-Saclay, en juin 2021.

Le pragmatisme chinois vise à dominer ce secteur. « L’objectif de la Chine n’est pas de décrocher le prix Nobel mais de développer des capacités opérationnelles », indiquait Marc Julienne, chercheur à l’Ifri et spécialiste de la Chine, dans une entrevue en novembre 2022.

Forte de ces premiers succès, la Chine va développer un réseau entier de satellites de communication quantique en orbite basse et moyenne et développe également un réseau de communication quantique basé sur des drones.

« L’objectif de la Chine n’est pas de décrocher le prix Nobel mais de développer des capacités opérationnelles. »

– Marc Julienne, chercheur à l’Ifri et spécialiste de la Chine

Les États-Unis ont lancé leur plan national en 2014, à coups de milliards de dollars. L’inquiétude de nos voisins du sud reste d’être confronté à un ordinateur quantique capable de casser les codes de cryptographie, « dans les cinq à cinquante prochaines années à partir d’aujourd’hui », selon le directeur de la cybersécurité à la National Security Agancy (NSA), Rob Joyce.

Le directeur de la puissante agence de sécurité américaine (NSA), Paul Nakasone, craint qu’un « ordinateur quantique pertinent sur le plan cryptographique puisse mettre en péril les communications civiles et militaires, ainsi que les systèmes de surveillance et de contrôle des infrastructures critiques ».

La NSA dit déjà posséder des algorithmes post-quantiques développés en interne, et le NIST, l’institut américain des normes et de la technologie quantique, multiplie les concours pour développer de nouveaux algorithmes. Quatre outils de chiffrement post-quantique sont déjà identifiés et devraient être finalisés en 2024.

National Security Agency headquarters, Fort Meade, Maryland. National Security Agency

Le 4 mai 2022, la Maison-Blanche a publié un mémo sur la sécurité nationale, pour réaffirmer son leadership dans l’informatique quantique tout en s’inquiétant des risques sur les systèmes cryptographiques vulnérables.

« Pour atténuer ce risque, les États-Unis doivent accorder la priorité à la transition rapide et équitable des systèmes cryptographiques vers la cryptographie quantique résistante, dans le but d’atténuer autant que possible le risque quantique d’ici 2035. », peut-on lire dans le mémo.

L’EUROPE ET LE CANADA COLLABORENT

L’Europe veut assurer sa souveraineté vis-à-vis des deux géants et travaille, depuis 2019, à la construction d’une infrastructure européenne de communication quantique (EuroQCI), qui devrait être opérationnelle en 2027.

En 2024, l’Agence spatiale européenne (ESA) va lancer son premier satellite de communications quantiques, le satellite Eagle-1, qui distribuera des clefs cryptographiques quantiques.

L’Europe collabore également avec le Canada. En octobre 2022, le projet HyperSpace, fruit de la collaboration de chercheurs du Canada et de l’Europe, a reçu un financement de deux millions de dollars pour développer un réseau de communication quantique par satellite.

En interconnectant de nombreux processeurs quantiques, ce réseau pourrait être, à terme, une sorte d’internet quantique. Le projet est piloté par l’Institut national de la recherche scientifique du Québec.

Crédit: ESA/SES

Le Canada a déjà dépensé plus d’un milliard de dollars dans le secteur depuis 10 ans.

Dans sa stratégie quantique nationale publié en 2022, le gouvernement canadien décrit la cybersécurité comme l’une des trois missions clefs de sa stratégie quantique : « Assurer la protection de la vie privée et la cybersécurité des Canadiens dans un monde axé sur l’informatique quantique grâce à un réseau de communications quantiques national sécurisé et à une initiative de cryptographie post-quantique. »

Crédit Image à la Une : SpaceX