L’agriculture de précision, à laquelle l’intelligence artificielle (IA) est de plus en plus indispensable, produit une quantité phénoménale de données sur les fermes du Québec. Selon les experts, les technologies numériques ouvriront la voie à la souveraineté alimentaire de la province, mais il est aussi important de se pencher sur la souveraineté des données agroalimentaires.
« Il nous faut créer une plateforme, sur laquelle nos données pourront être utilisées et partagées à bon escient », lance Henri-Paul Rousseau, lors d’un webinaire au sujet des données en agroalimentaire.
« Ce projet sera notre Baie-James du numérique »
– Henri-Paul Rousseau, chercheur du CIRANO
Le professeur invité à l’École d’Économie de Paris et professeur associé à HEC Montréal s’est attardé sur cet enjeu dans le cadre de ses travaux pour le Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO).
Dans son rapport intitulé “La durabilité, la traçabilité et la pérennité du secteur agroalimentaire québécois passent par l’accélération de la numérisation“, le chercheur constate que « la souveraineté des données agricoles est une condition sine qua non de la souveraineté alimentaire du Québec ».
Il est d’ailleurs urgent « de se doter rapidement d’une stratégie pour éviter la perte de ces “denrées informatiques” », note le professeur.
Effectivement, dans un autre rapport du CIRANO, “Les enjeux du numérique dans le secteur agricole – Défis et opportunités“, on constate que le numérique est bien implanté dans nos fermes.
Ce sont 75% des producteurs laitiers, 76 % des producteurs de grain et 56 % des producteurs en serres interrogés qui ont affirmé utiliser des outils numériques sur une partie ou sur la totalité de leurs installations.
PAS DE PLATEFORME AU QUÉBEC
Si cet enjeu est clair, il est aussi complexe.
En effet, les données créées par les moissonneuses-batteuses, l’équipement d’alimentation du bétail ou tout autre capteur impliqué dans la production alimentaire sont déjà partagées entre fermiers, associations agricoles, chercheurs et universités au Québec.
Toutefois, cet échange se fait entre chacun de ces acteurs, plutôt que de passer par un portail dans lequel les données seraient uniformisées et accessibles.
Pourtant de telles plateformes existent ailleurs dans le monde. API Agro en France, Agrimetrics au Royaume-Uni ou Agrirouter en Allemagne en sont quelques exemples.
« Nous avons Données Québec et Données ouvertes Canada, mais il reste qu’il y a peu de pénétration de la donnée en agriculture québécoise », souligne Ingrid Peignier, Directrice principale des partenariats et de la valorisation de la recherche et directrice de projets au CIRANO.
DROITS D’AUTEURS
La création d’une telle base de données est d’autant plus critique si l’on anticipe le « far-west » que pourrait devenir la « data » agroalimentaire.
À qui appartiennent les informations de producteurs québécois stockées sur des serveurs étrangers? Qu’est-ce qui garantit que les fabricants étrangers d’appareils ne collecteront pas certaines données à notre insu? Faudra-t-il un jour acheter tout son équipement chez le même fabricant pour garantir une interopérabilité entre chacun de ses appareils?
Ces épineuses questions doivent être résolues pour garantir cette fameuse souveraineté des données, selon M. Rousseau.
« Les concepts de souveraineté alimentaire, d’autosuffisance alimentaire ou d’autonomie alimentaire dans un monde numérisé deviennent des très relatifs si la numérisation est faite totalement par des fabricants de la machinerie intelligente qui contrôlent les données de la production alimentaire et par des géants du numérique qui contrôlent les données de la distribution », martèle-t-il dans son rapport.
Comparant les données à une mine d’or, le chercheur entrevoit bientôt l’apparition d’une nouvelle facette à la profession d’agriculteur.
« Le cœur de ce métier ne tiendra plus simplement à la production de denrées alimentaires, mais aussi à celle des données agroalimentaires » – Henri-Paul Rousseau
Nous n’en sommes heureusement encore qu’aux balbutiements du numérique et de l’IA en agroalimentaire, constate M. Rousseau. Cela nous donne l’opportunité d’agir avant qu’il ne soit trop tard, croit ce dernier.
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