Théâtre Déchaînés est une compagnie montréalaise de production et de diffusion de théâtre participatif qui explore différentes méthodes de création facilement accessibles à tous. CScience a rencontré Marie Ayotte, directrice générale de la compagnie, pour parler d’Intelligence Artificielle, de théâtre et de douleur chronique.
Trouvez-vous une quelconque inspiration dans l’IA?
Je suis une grande fan de technologie et j’y trouve beaucoup d’inspiration, en ce qui concerne notamment l’évolution humaine et nos contacts avec les autres. Il y a tellement de possibilités de création! Car la technologie ne remplace rien. Pour moi c’est un ajout. L’IA possède ses contraintes mais aussi son propre terrain de jeu. À mes yeux, toute nouvelle forme de technologie offre la possibilité de créer quelque chose de nouveau. Malheureusement, et surtout au Québec, le théâtre est resté très traditionnel, alors que de nombreuses avenues sont encore à explorer. Faire profiter les spectateurs d’une autre manière, jouer autrement avec eux ou même avec les acteurs. L’intelligence artificielle pourrait nous amener dans ces lieux qui restent encore à découvrir!
Théâtre et technologie font-ils bon ménage?
Énormément! Je sais que tout le monde n’est pas d’accord et je ne pense pas non plus que toutes les démarches artistiques se prêtent à la technologie. Il y a aura toujours des créateurs pour lesquels ça ne sera pas le bon mode pour conter les histoires. Mais, moi, en tant que créatrice, ça m’inspire par de nombreux aspects ! Ainsi, le théâtre est un outil de communauté; on devrait faire en sorte que les gens qui n’ont pas le privilège d’aller au théâtre, puissent se déplacer et y avoir accès. Et l’IA peut nous y aider et à moindre coût ! Elle nous procure aussi de nouveaux outils, et permet d’essayer de nouvelles plateformes et de nouvelles façons d’écrire la dramaturgie. On pourrait utiliser l’intelligence artificielle pour le mapping, par exemple, pour jouer avec les spectateurs en temps réel! Chose qu’on ne pourrait pas faire sans du data.
L’IA a-t-elle sa place dans votre quotidien?
J’utilise beaucoup d’automation dans mon travail, parce que sinon je n’y arriverais pas. Je me sers d’applications comme ZAPIER par exemple. Ça envoie des courriels automatisés, ou ça va m’aider dans ma comptabilité. De cette façon, durant tout ce temps que je n’occupe pas à faire de la gestion, je peux créer. Quand on est directrice générale d’une compagnie, c’est du temps précieux! On veut créer, mais tout le reste doit se faire aussi… Ça me confirme qu’il y a vraiment de la place pour l’IA, que ce soit en théâtre scénique, en théâtre téléphonique ou en théâtre numérique.
Qu’est-ce que le Théâtre numérique?
C’est un spectacle réfléchi et pensé pour une diffusion par ordinateur. Mais pas seulement au niveau de sa diffusion, pour sa création aussi. C’est quelque chose qui peut être apprécié n’importe où grâce à un ordinateur, et qui peut présenter aussi des aspects interactifs. La technologie permet alors aux spectateurs de participer. Ce n’est pas de la captation! Pour moi, le théâtre numérique, c’est vraiment l’idée d’imbriquer la technologie au cœur même de la création, ça va au-delà de la présentation d’un spectacle sur ordinateur.
L’intelligence artificielle a-t-elle sa place dans votre pratique de théâtre numérique ?
Nous travaillons actuellement avec Andrée-Anne Giguère sur un spectacle consacré à la mort virtuelle. Qu’est-ce qui arrive à tout ce qu’on met sur les réseaux sociaux après notre mort ? Comment une pièce de théâtre, ou d’autres types de création, pourraient encore être vus dans 100 ans sur Internet ? Et comment les gens les percevront-ils? On explore aussi des choses comme Project December, qui a pour idée de créer des avatars, à partir de phrases de différentes personnes. Quelqu’un a déjà utilisé ce processus pour recréer sa fiancée décédée et continuer à lui parler… On est donc en train d’explorer toutes ces idées de vie après la mort, d’Internet, des outils technologiques, mais aussi de l’intelligence artificielle. C’est fascinant et c’est un de nos prochains projets.
Votre prochain spectacle « Silences infinis des requins pèlerins » est consacré à la douleur chronique. Les liens entre l’IA et la douleur font-ils partie de votre réflexion?
Oui! La douleur chronique est difficile à diagnostiquer. Si on pouvait bénéficier de données pour favoriser l’établissement de diagnostics personnalisés, avoir des consultations à distance pour permettre aux gens de rester chez eux et des médecins qui ne soient pas toujours épuisés par la routine, ça serait absolument génial pour le 20 % de population qui souffre de douleur chronique. En d’autres termes, si on utilise l’IA pour automatiser certaines responsabilités très routinières des médecins, ces derniers pourraient se concentrer sur l’humain!
Avez-vous des craintes ou des peurs en lien avec les IA ?
En tant qu’artiste et en tant que personne, je suis obsédée par la question de l’éthique. C’est quelque chose qui accompagne ma démarche : le Théâtre Déchaînés, c’est du théâtre de participation éthique! Je ne suis pas de ceux qui disent « l’IA, c’est la pire chose qui va nous arriver! » même si je lui reconnais un potentiel éthique douteux. Je ne suis pas une pessimiste de la technologie. Je crois que l’IA détient un important potentiel, et que ça peut être un outil extraordinaire, mais comme n’importe quoi dans la vie, ça possède un double tranchant. D’ailleurs, tout peut être génial ou horrible, dépendamment de comment c’est utilisé.
À vos yeux, quelle(s) forme(s) pourrait prendre l’IA idéale du futur?
Je vois l’IA comme complémentaire à l’humain. Quelque chose qui nous libère de nos taches routinières ou désuètes, celles qui n’ont pas nécessairement besoin d’être réalisées par l’humain. Quelque chose donc qui nous dégage du temps pour nous permettre de plonger dans les vraies questions éthiques, créatrices et d’importance capitale, ce qu’une machine ne peut pas faire. Et quelque chose qui nous apporte aussi des outils pour aller plus loin dans ces créations, ces questionnements et ces recherches…
Crédit Photo titre : Nell Pfeiffer