L’IA au collégial : comment préparer le futur de la technologie en milieu pédagogique ?

L’IA au collégial : comment préparer le futur de la technologie en milieu pédagogique ?

Le 14 septembre, la conférence IA : Prospectives pour le réseau collégial de l’Association québécoise de pédagogie collégiale (AQPC) a proposé une réflexion d’une heure et quart sur les conséquences provoquées par l’avènement des IA génératives. Envisager de manière créative le futur en considérant les différentes possibilités d’avenir est nécessaire pour faire avancer les discussions entourant l’IA, s’entendent les différents experts présents lors de la conférence.

L’événement avait pour but de réfléchir à la place de l’IA en éducation avec une vision prospective, c’est-à-dire en promouvant la « capacité de penser et de percevoir le futur de manière systématique. L’idée est d’informer les décisions qu’on a à prendre avec une perspective qui vient du futur plutôt que du passé », explique Catherine Mathys, membre de l’Association des futuristes professionnels et animatrice du panel.

Les innovations technologiques en pédagogie ont évolué à une vitesse hallucinante au fil des dix dernières années : utilisation de robots conversationnels, de logiciels de prédiction de réussite, d’outils facilitant l’enseignement à distance, etc. Face à ces grands changements, à quoi peut-on s’attendre comme développement technologique dans la prochaine décennie et surtout, « quel est le futur souhaitable pour l’éducation en 2033 ? », questionne Frédérick Bruneault, professeur de philosophie au Collège André-Laurendeau.

Des visions du futur

Les panélistes présents lors de la conférence proposent différentes visions de ce futur souhaitable. Pour Dave Anctil, professeur de philosophie et d’IA au Collège Jean-de-Brébeuf, l’IA devra être l’objet d’une réappropriation de la part des organisations et des institutions qui défendent le bien public. « Ça prend des efforts collectifs à l’échelle de l’État, une vision de société, pour s’approprier ces outils, les distribuer et les encadrer de manière efficace, éthique et bénéfique en utilisant des études (fiables) qui permettent de valider ces outils. Il ne faut pas laisser ces outils-là au statut d’une marchandise », lance M. Anctil.

« Ça prend des efforts collectifs à l’échelle de l’État, une vision de société, pour s’approprier ces outils, les distribuer et les encadrer de manière efficace, éthique et bénéfique en utilisant des études (fiables) qui permettent de valider ces outils. »

– Dave Anctil, professeur de philosophie et d’IA au Collège Jean-de-Brébeuf

Démocratiser davantage l’IA et permettre au réseau collégial de se réapproprier ces outils offrirait aux enseignants la possibilité d’utiliser des robots conversationnels selon les besoins liés à leur cours ou à leurs activités d’apprentissage, soulève Julien Martineau, conseiller pédagogique à l’Institut de technologie agroalimentaire du Québec (ITAQ). « L’idée doit rester que l’enseignement et l’évaluation sont faits par le professeur, et que l’IA vient soutenir ce travail. »

Andréane Sabourin Laflamme carre

Andréane Sabourin-Laflamme

L’IA a également le potentiel de favoriser « l’égalité des chances » en éducation, ajoute Dave Anctil. Des robots pourraient offrir du support individuel, accessible en tout temps, aidant des étudiants en difficulté à développer leurs compétences de base par un tutorat facilitant leurs apprentissages. « Ça peut redonner une grande force à ce qui est le plus extraordinaire en classe : travailler ensemble, développer une intelligence collaborative, coopérative, collective avec les étudiants ainsi que leur empathie et leur capacité à communiquer. »

Pour Philippe Beaudoin, confondateur de Waverly, un réseau social centré sur les nouvelles, la technologie future idéale serait facilitatrice d’une meilleure communication, permettant aux étudiants d’exprimer plus clairement leurs intentions et de faciliter le dialogue entre étudiants et avec leur professeur. « Dans dix ans, les étudiants auront un regain d’espoir (…) qui naîtra d’une manière de communiquer avec les autres de manière plus saine autour de choses qui leur importent », espère-t-il.

« Les grands acteurs de l’industrie de l’IA ont en premier lieu des motivations financières, pas pédagogiques. Le risque de laisser les intérêts commerciaux primer est que les géants numériques dictent les règles du jeu et (que soit accrue) encore plus notre dépendance déjà très grande à leurs produits et services. »

– Andréane Sabourin Laflamme, professeur de philosophie au Cégep André-Laurendeau

Des perspectives réalistes ?

Devant ces multiples avenues de ce que pourrait être le futur de l’IA en éducation, les panélistes notent différentes embûches actuelles compliquant l’atteinte de ces visions. Andréane Sabourin Laflamme, professeure de philosophie au Cégep André-Laurendeau, également chroniqueuse pour CScience, rappelle que « Les grands acteurs de l’industrie de l’IA ont en premier lieu des motivations financières, pas pédagogiques. Le risque de laisser les intérêts commerciaux primer est que les géants numériques dictent les règles du jeu et (que soit accrue) encore plus notre dépendance déjà très grande à leurs produits et services. »

L’enseignement supérieur à l’épreuve de l’IA générative 

La montée de la peur collective en réaction aux développements technologiques est source d’inquiétude pour Philippe Beaudoin. « On veut que l’IA reflète la diversité humaine, la diversité des idées, des espoirs. Si on en a peur (de l’IA), elle ne va pas disparaître, mais devenir la chasse gardée d’un petit nombre de groupes d’entreprises. Ils vont s’en servir pour aller vers leur futur idéal, mais qui ne représente pas vraiment le futur idéal de la société et de la diversité qu’on a. »

« On veut que l’IA reflète la diversité humaine, la diversité des idées, des espoirs. Si on en a peur (de l’IA), elle ne va pas disparaître, mais devenir la chasse gardée d’un petit nombre de groupes d’entreprises. Ils vont s’en servir pour aller vers leur futur idéal, mais qui ne représente pas vraiment le futur idéal de la société et de la diversité qu’on a. »

– Philippe Beaudoin, confondateur de Waverly

Les tendances discriminatoires de l’IA commandent ainsi d’entretenir une certaine méfiance de la part du réseau collégial, suggère Sébastien Piché, directeur des études du Collège de Bois-de-Boulogne. Différents outils d’IA reproduisent et transmettent des visions hétéronormatives, ethnocentristes et patriarcales répandues dans la société. Cependant, en s’éloignant d’une approche uniquement réactionnaire à la technologie, M. Piché croit que les biais de ces outils peuvent contribuer à développer la perspective critique que les étudiants et les professeurs ont face à l’IA.

Pour Dave Anctil, l’ignorance actuelle des professionnels en pédagogie face aux outils numériques complique l’atteinte des visions futuristes mentionnées plus haut. Cette incompréhension entraîne une forte aversion à l’incertitude, aux risques et à la perte qui nuit à l’appropriation des technologies. Au-delà de l’importance du financement de la recherche sur les impacts de l’IA, Dave Anctil voit la nécessité pour le réseau collégial d’expérimenter avec ces outils et de recevoir des formations sur ces changements.

« Le fait qu’on n’expérimente pas fait en sorte qu’on est obsédé par le risque et la perte, et pas par les bénéfices et les opportunités que nous offrent ces technologies. (…) Le défi est d’avoir une diffusion de l’information qui soit efficace. Ce n’est pas normal que si peu de gens ont la littératie nécessaire en IA pour communiquer l’état actuel des technologies dans le grand réseau en éducation », estime le professeur.

Les angles morts des discussions en IA

Andréane Sabourin Laflamme rappelle que l’impact environnemental de l’IA est souvent omis des discussions sur cette technologie. Un simple échange de 20 à 50 questions avec une IAG comme ChatGPT consume environ 500mL d’eau. S’ajoute à ce coût l’énergie consommée pour l’entraînement de ce type de logiciels, d’où la nécessité de faire pression sur l’industrie de l’IA pour amoindrir leur empreinte carbone, estime Mme Laflamme.

« Ça prend une perspective multidisciplinaire, tant sociologique, éthique que technique, avec un champ d’expertise varié pour réussir à comprendre la variété des impacts que ces technologies vont avoir dans nos sociétés. »

– Andréane Sabourin Laflamme, professeure de philosophie au Cégep André-Laurendeau

En plus de garder en tête un volet environnemental, toutes les parties prenantes en éducation doivent faire partie des discussions et des solutions, avance Andréane Sabourin Laflamme : « Ça prend une perspective multidisciplinaire, tant sociologique, éthique que technique, avec un champ d’expertise varié pour réussir à comprendre la variété des impacts que ces technologies vont avoir dans nos sociétés. »

Inclure les professeurs baignant dans l’innovation et le point de vue des élèves est aussi essentiel, croit Dave Anctil. « Les étudiants sont indispensables, ils s’approprient déjà ces outils (…) Ils vont dessiner le futur de notre manière de travailler avec l’IA, et ils ont une capacité d’adaptation qui est plus rapide que celle des adultes âgés comme moi et mes collègues autour de la table », plaisante le professeur.

Il faudra également réfléchir à des moyens d’éviter les injustices touchant les personnes en situation de précarité financière : « Il faut tenir compte de l’égalité des chances dans l’accès à la technologie. Un étudiant équipé, avec un assistant personnel entre les mains, à côté d’un étudiant qui écrit sur papier, ce n’est pas équitable! », fait valoir Sébastien Piché.

Crédit Image à la Une : Yan Krukau, Pexels

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