Un des premiers magasins « sans friction » au Canada vient de voir le jour entre les murs de l’Université McGill, à Montréal. Ce « laboratoire » vivant, une collaboration entre Alimentation Couche-Tard inc. et l’École Bensadoun de commerce au détail, intègre une panoplie d’innovations numériques, incluant l’intelligence artificielle (IA), afin « d’améliorer l’expérience client » et de faciliter la gestion de l’inventaire.
Malgré ses allures de magasin Couche-Tard ordinaire, l’espace de 210 mètres carrés, situé au 1001, rue Sherbrooke Ouest, dans le pavillon Bronfman, n’a pas d’employés aux caisses.
Les transactions s’y font plutôt grâce à des bornes qui lisent une application téléchargée préalablement par les clients sur leur téléphone intelligent.
Les articles dans la section “Connecté” sont ajoutés en temps réel dans un panier virtuel lorsqu’ils sont pris par les utilisateurs, puis facturés directement par l’application.
« On ouvre, on entre, on paie et on sort. C’est aussi simple que ça », explique Maxime Cohen, codirecteur du laboratoire en innovation du commerce de détail à la Faculté de gestion Desautels de McGill.
ANTICIPER LA CONSOMMATION
En examinant les habitudes de consommation individuelles, les déplacements dans les allées et le temps de magasinage, un algorithme offrira des suggestions de « choix santé » à la clientèle faites sur mesure. D’ailleurs, M. Cohen note que les cigarettes, l’alcool, les billets de loterie et les bouteilles d’eau en plastique à usage unique ne seront pas vendus sur les lieux.
Suivre la clientèle et anticiper ses besoins assurera aussi une meilleure gestion de l’inventaire selon le professeur.
« Les données du point de vente (traduit de l’anglais Point of Sale data), plus il y en a, mieux c’est. Cela nous permet d’anticiper l’achat de l’inventaire de façon plus précise, résultant en moins de gaspillage. Nous pouvons aussi optimiser les allées, l’emplacement des produits et leur prix » – Maxime Cohen
Les employés ne disparaîtront toutefois pas du plancher de vente, indique ce dernier. « Ceux-ci auront plus de temps pour servir les clients », note le professeur.
Alimentation Couche-Tard inc. n’a pas voulu répondre aux questions de CScience IA concernant ce projet.
Selon un communiqué émis à la mi-janvier sur le site internet de l’Université McGill, l’entreprise espère pouvoir se servir de l’expérience dans ce laboratoire pour bonifier sa chaîne de commerces et « d’accélérer leur processus d’achat en magasin ».
« En ayant un laboratoire en temps réel à notre disposition, nous sommes convaincus que les technologies et les projets de recherche qui y seront testés avec succès seront possiblement intégrés dans certains des 14 220 magasins de notre réseau mondial », notait Deborah Hall Lefevre, chef de la direction technologique chez Alimentation Couche-Tard inc.
PROTECTION DES DONNÉES PERSONNELLES
La venue des boutiques et magasins connectés dans nos vies semble inéluctable. Les grandes chaînes comme Canadian Tire et Dollarama proposent déjà des caisses en libre service, tandis qu’Amazon expérimente sur la côte ouest des États-Unis avec son propre concept de magasin d’alimentation sans contact nommé Amazon Go Grocery.
Doit-on craindre l’utilisation des données personnelles qui pourraient être collectées par ces entreprises?
Selon le professeur Cohen, dans le cas du magasin-laboratoire, les seules informations amassées concernent les habitudes de consommation, le temps passé dans l’établissement et le chemin parcouru.
« Les entreprises sont soumises à des normes sévères et ne peuvent pas collecter n’importe quoi » – Maxime Cohen
« Les chercheurs utiliseront des méthodes d’intelligence artificielle de pointe, tout en garantissant le respect de protocoles stricts de protection de la vie privée et de la confidentialité des données », insistait-on dans le communiqué diffusé lors de l’ouverture du laboratoire.
Contactée à ce sujet, la Commission d’accès à l’information du Québec rappelle que « Couche-Tard, à titre d’entreprise privée, est soumise aux obligations de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé ».
Ainsi, une entreprise peut constituer un dossier sur une personne si elle a un intérêt sérieux et légitime et la collecte de renseignements personnels doit se limiter à ceux qui sont nécessaires à l’objet du dossier.
De plus, l’entreprise privée a une obligation de fournir certaines informations à la personne concernée lors de la collecte.
Bien qu’il ne s’agisse pas d’une obligation légale, la Commission souligne que la production d’une évaluation des facteurs relatifs à la vie privée (EFVP) est une bonne pratique.
« L’[EFVP] encourage les organisations à faire cet exercice, et particulièrement lorsque des technologies nouvelles sont déployées ou que des technologies connues sont utilisées dans un contexte inédit » – Commission d’accès à l’information du Québec
Enfin, on indique que le projet de loi 64 du gouvernement québécois « prévoit l’ajout d’une obligation de produire une EFVP lorsque pour tout nouveau projet de systèmes d’information ou de prestations électroniques de services impliquant une collecte, et ce, tant pour les organismes publics que pour les entreprises privées ».
Faudra-t-il bientôt s’attarder aux petites lignes d’un contrat avant d’aller faire son épicerie?
Crédit photo: gracieuseté Université McGill.