Selon une récente étude auprès de 12 000 travailleurs dans le monde, 68 % des employés préféraient parler de leur santé mentale à un robot plutôt que de se confier à leurs gestionnaires. Et 75 % des sondés estiment que l’intelligence artificielle a aidé à améliorer leur santé mentale au travail. Que cachent ces données ?
« C’est vrai que l’IA peut faciliter la vie du travailleur moyen, mais l’étude d’Oracle and Future Workplace démontre aussi que les gens ont une fausse perception de ce que l’IA fait réellement ou de ce qu’elle a le potentiel de faire en gestion des ressources humaines », estime Xavier Parent-Rocheleau, professeur à HEC Montréal.
Même son de cloche du côté de Frédérick Plamondon doctorant et chargé de cours en relations industrielles à l’Université Laval. « Je soupçonne qu’on donne à l’IA des vertus qu’elle n’a pas encore. »
ENTRE PRODUCTIVITÉ ET PERTE D’AUTONOMIE
Les deux spécialistes de l’intelligence artificielle en gestion des ressources humaines s’entendent pour dire que certains outils de productivité utilisent bel et bien l’intelligence artificielle pour alléger certaines tâches répétitives et fastidieuses des travailleurs.
Mais les deux observent que ce soutien technologique est aussi accompagné d’une perception d’intensification du travail. L’étude relève, elle aussi, cette contradiction puisque 85 % des personnes sondées ont affirmé que les enjeux de santé mentale au travail (comme le stress ou l’anxiété) affectaient leur vie personnelle.
« Ce que je constate au Québec, c’est qu’on a de plus en plus de travail et pas assez d’outils pour faire ce travail à notre place. On note donc une impression de surcharge de travail, malgré les avancées technologiques. »
Pour Xavier Parent-Rocheleau, la réduction de l’autonomie des travailleurs est un enjeu de l’implantation d’outils basés sur l’intelligence artificielle. « La ligne est mince entre un outil d’aide à la prise de décision et un outil qui prend la décision à votre place de façon unilatérale. »
Xavier Parent-Rocheleau, professeur adjoint au département de gestion des ressources humaines à HEC Montréal.
DES ROBOTS PSYCHOTHÉRAPEUTES ?
« C’est une utopie de croire qu’on peut se confier un robot pour nous aider à régler des problèmes liés à la santé mentale, dit Xavier Parent-Rocheleau. Et la croyance que l’IA ferait mieux que le gestionnaire est erronée. »
L’étude signale une crise de confiance au sein des entreprises et la difficulté des gestionnaires à répondre aux enjeux de santé mentale dans un contexte de télétravail et d’isolement. « Mais l’intelligence artificielle ou la robotisation des relations n’est pas la solution à cette crise de confiance », dit Frédérick Plamondon.
Certes, on commence à voir l’implantation de robots conversationnels qui filtrent les demandes d’employés en première ligne pour les diriger vers les bonnes ressources. Mais l’étape qui vient après, le développement de système d’analyse d’émotions, est problématique. Ces modèles tenteraient d’établir un rapport thérapeutique à l’aide de systèmes de traitement du langage naturel dans le but de susciter de l’engagement.
« D’abord, il n’y a à peu près pas de cadre légal pour contrôler tout ça et il y a des risques de dérapage » – Xavier Parent-Rocheleau
Frédérick Plamondon souligne les enjeux éthiques de modèles basés sur la capacité des machines à susciter une réaction émotionnelle chez l’humain. Alors que l’outil n’a pas d’empathie ou de sympathie, même s’il l’imite ou la simule.
« C’est un problème parce qu’on suscite potentiellement des émotions chez des gens qui ont des problèmes importants. Dans les relations thérapeutiques, il y a des questions de nuances, de compétences transversales. Ça reste encore dans le domaine de l’humain. »
LA RECHERCHE DE L’ÉQUILIBRE
Et si on laisse de côté les robots thérapeutes, que doivent faire les gestionnaires des ressources humaines pour tirer profit des modèles basés sur l’intelligence artificielle? « L’IA ce n’est pas une panacée, soutient M. Plamondon. Un robot devrait répondre à des problématiques réelles et spécifiques, sans négliger l’importance de l’expérience humaine. »
Les avancées potentielles se trouvent du côté des outils d’analyse des données, avec des modèles qui permettent notamment de faire des prédictions liées à la productivité, l’embauche, l’évaluation de la performance ou le développement des compétences.
« On y arrive et les prédictions des machines vont être fortes, solides et quantifiées, souligne Frédérick Plamondon. Il faut que les gestionnaires en ressources humaines comprennent les modèles pour que les outils aident la prise de décision, au lieu de prendre des décisions à notre place. » Les professionnels des ressources humaines ont donc cinq à dix ans pour se préparer.
« Il faut aussi valoriser les compétences purement humaines qui vont demeurer notre avantage concurrentiel! » – Frédérick Plamondon
Frédérick Plamondon, conseiller principal au développement académique de l’Académie de la transformation numérique (ATN) de l’Université Laval. Titulaire d’une maîtrise en philosophie et doctorant en relations industrielles, ses recherches portent notamment sur l’employabilité numérique, ainsi que sur les impacts de la transformation numérique sur la gestion des ressources humaines.
Faits saillants de l’étude “Oracle and Future Workplace”
68 %
Je préférais parler de santé mentale à un robot plutôt qu’à mon gestionnaire.
75 %
L’intelligence artificielle améliore ma santé mentale au travail.
85 %
Les enjeux de santé mentale au travail affectent ma vie personnelle.
78 %
L’année 2020 a eu un effet négatif sur ma santé mentale.
Pour en savoir plus : https://www.oracle.com/ca-fr/human-capital-management/ai-at-work/
Crédits photo : Pexels / Sora Shimazaki