L’intelligence artificielle n’est pas pour vous

L’intelligence artificielle n’est pas pour vous

L’engouement pour l’intelligence artificielle (IA) est très fort en ce moment, surtout depuis que le Québec est devenu un pôle mondial dans le milieu de la recherche universitaire. Plusieurs y voient une solution idéale pour améliorer la productivité et l’efficacité, particulièrement en entreprise. Cependant, rien n’est moins sûr. C’est pour cela qu’une mathématicienne nous explique pourquoi il ne faut pas tomber dans le panneau des mots à la mode et « pourquoi l’IA n’est pas pour vous ».

Helene-Sarah Becotte détient un doctorat en mathématiques de Polytechnique Montréal et est experte en science des données.

La ferveur actuelle pour l’IA ne la surprend pas, car on a vu ce genre d’emballement pour d’autres techniques dans le passé.

« Avant on parlait de « big data », puis ce fut le « data mining ». Ce sont toutes des techniques qui sont similaires, incluant l’IA, mais qu’on ne distingue pas bien dans le public général. Elles ont toutes été le « buzz word » de l’heure à un moment ou à un autre », souligne-t-elle.

Le manque de vulgarisation scientifique dans les médias généralistes y est pour quelque chose, soupçonne-t-elle.

En effet, la différence entre la science des données et l’IA n’intéresse peut-être pas autant les chercheurs que les entrepreneurs.

C’est pourquoi ces derniers devraient s’assurer qu’ils ont les outils, mais aussi les besoins spécifiques à l’utilisation de l’IA de se lancer dans un projet y faisant appel.

« Il y a ce désir d’innover à tout prix, de ne pas manquer la dernière tendance, et ça pousse les gens à aller vers une technologie qu’ils ne comprennent pas vraiment. Pourtant, pas besoin de faire de l’IA pour être innovant » – Helene-Sarah Becotte, Ph.D.

Trois grands facteurs devraient être pris en considération avant de sauter à pieds joints dans la marre de l’IA : les données, le temps et l’argent.

« Si tu manques de données, bonne chance pour faire de l’IA. Une entreprise qui commence à s’établir, qui n’a pas de clients, n’a pas de données. Ça en prend énormément pour faire l’entraînement d’un algorithme », rappelle-t-elle.

Ce qui nous amène au prochain enjeu, le manque de temps et d’argent.

Mme Becotte met en garde les personnes qui croient que mettre en branle un projet d’IA se fait rapidement et à faibles coûts.

Celle-ci souligne que la plupart du temps, cela ne se « réalisera pas en trois mois ».

« Lancer un projet à partir de zéro, ça coûte très cher! », insiste-t-elle.

« L’IA ce n’est pas pour vous si vous n’êtes pas rendu là dans votre entreprise » – Helene-Sarah Becotte

« LES BONNES VIEILLES STATISTIQUES »

Helene-Sarah Becotte. Ph.D., Polytechnique Montréal. Gracieuseté: Helene-Sarah Becotte

Quoi qu’il en soit, il ne faudrait pas croire que Mme Becotte s’oppose à l’innovation en entreprise.

Celle-ci possède elle-même sa propre boîte en consultation pour l’utilisation des sciences mathématiques dans le milieu des affaires.

Il est cependant temps d’identifier les outils à la disposition des entrepreneurs afin qu’ils puissent les utiliser à bon escient, croit-elle.

« Il y a une foule de techniques qui ont été développées depuis une centaine d’années qui sont très utiles. On peut penser à la recherche opérationnelle, qui permet par exemple d’améliorer la gestion des flottes de camions pour optimiser l’approvisionnement », explique la mathématicienne.

« L’IA c’est un gros outil. Quand on fait des rénovations, on ne va pas utiliser une « chainsaw » quand on a besoin d’un petit couteau de précision » – Helene-Sarah Becotte

Il y a aussi les « bonnes vieilles statistiques » qui sont capables de faire des miracles lorsqu’elles sont entre les mains d’experts.

Avec l’analytique et des outils bien connus, comme la régression linéaire, il est possible de faire des prévisions qui peuvent prêter main-forte à l’entreprise.

En fin de compte, il faudra que la révolution numérique fasse son œuvre au Québec avant que l’IA soit adoptée à grande échelle.

« La maturité numérique des entreprises n’est pas encore là. Si dans 10-15 ans, 75 % des compagnies québécoises font de l’IA, je vous dirai que c’est « cool », mais on est loin de ça pour l’instant ».

Pexels/Andrea Piacquadio