Maladies rares : l’importance de diffuser l’information et de collaborer entre chercheurs

Maladies rares : l’importance de diffuser l’information et de collaborer entre chercheurs

On recense entre 6 000 et 8 000 maladies orphelines dans le monde, dont 80% sont d’origine génétique, affectant pas moins de 700 000 Québécois et 3,5 M de Canadiens. Examinées individuellement, ces maladies dites « rares » semblent toucher un faible pourcentage de la population, ce qui entrave les avancées de la recherche, l’expertise clinique et les options de traitement. Mais lorsque toutes les personnes aux prises avec une maladie rare sont considérées, une grande communauté se révèle, mettant en lumière l’importance de renforcer les actions collaboratives au sein d’un réseau interdépendant de chercheurs, de patients et d’institutions, tant à l’échelle nationale qu’à celle internationale, afin d’accélérer le progrès en matière de diagnostics, de suivis et de traitements des maladies rares.

Favoriser la diffusion et l’accès ouvert aux informations

Démocratiser la recherche et les traitements

Au Canada, seulement 60 % des traitements pour les maladies orphelines sont approuvés, et le sont dans des délais prolongés de six ans par rapport aux États-Unis et à l’Europe. Dans l’édition 2018 de la Revue Juridique étudiante de l’Université de Montréal, Joëlle Brunet, aujourd’hui avocate spécialisée dans le domaine du droit de la santé, fait valoir que « dans un pays industrialisé autant que dans un pays en voie de développement, la personne atteinte d’une maladie rare perd souvent symboliquement toute identité nationale lorsqu’elle se tourne vers les traitements possibles, qui souvent sont offerts à l’étranger, pour se définir plutôt par sa maladie ».

[Santé publique] Valoriser la recherche au profit de la lutte contre les maladies rares

Elle rappelle que « L’Organisation mondiale de la santé (OMS) promeut la collaboration entre les différents États afin de combattre les maladies rares », ainsi que « la communication entre individus se trouvant dans une situation semblable, peu importe les frontières qui les séparent, puisqu’elle permet d’échanger de l’information sur les traitements disponibles selon les États et sur les recherches les plus prometteuses ».

Le rôle essentiel des organismes dédiés et de leurs canaux de diffusion

Pour favoriser l’accès à l’information propre aux maladies orphelines, aux médicaments et aux essais cliniques, la mise en ligne de bases de données ouvertes comme Orphanet, et le lancement de campagnes de diffusion ou de mouvements sur les réseaux sociaux et les médias numériques, constituent une fenêtre de visibilité non négligeable et sans frontières, faisant de l’écosystème numérique, mais aussi des organismes socialement actifs, des alliés incontournables de la cause.

Mme Brunet salue justement la contribution d’organismes œuvrant dans l’intérêt des patients atteints de maladies rares, notamment pour leur « tendance à développer une approche de collaboration internationale » et à se servir des médias et réseaux sociaux, aidant les patients à trouver des réponses et à s’orienter vers les bonnes pistes à explorer, jusqu’à trouver, éventuellement, des traitements offerts à l’étranger.

Au Québec, le Regroupement québécois des maladies orphelines (RQMO) a pour mission de sensibiliser le public et le milieu médical aux défis rencontrés par les patients atteints de maladies orphelines, en plus d’apporter du soutien et des informations à ces derniers et à leurs proches. Au moyen de diverses activités engageantes, le RQMO facilite la transmission des données sur les maladies rares entre organismes et chercheurs, en plus de permettre la diffusion de témoignages de patients et de faire connaître leur histoire.

Les travaux d’analyse du RQMO ont d’ailleurs démontré à plusieurs reprises l’existence d’une grande disparité d’accès aux traitements et médicaments entre les patients québécois atteints de maladies plus communes et ceux aux prises avec des maladies orphelines, une iniquité qui commande d’agir, non pas en silo, mais bien en partenariat.

Privilégier une collaboration étendue entre groupes de recherche

Quand le rayonnement d’une découverte dépend d’un échantillon international

Le Dr Bernard Brais, neurologue et directeur du Groupe des maladies neurologiques rares, est bien au fait de l’importance de collaborer entre chercheurs en contexte international. Il se consacre au domaine des maladies neuromusculaires et des ataxies, comme chercheur et clinicien, dans l’environnement du diagnostic, de la prise en charge multidisciplinaire et du suivi, en plus de se spécialiser dans la transition de l’enfant à l’adulte.

L’ataxie à déclenchement tardif touchera une à trois personnes sur 100 000 dans le monde

L’année dernière, dans le cadre d’une étude internationale, son équipe de recherche a fait une découverte historique en identifiant la cause génétique d’une ataxie commune à déclenchement tardif, qui touchera une à trois personnes sur 100 000 dans le monde, et qui entraîne la perte progressive d’équilibre chez ceux qui en sont atteints, au point de les rendre dépendants aux aides à la marche.

Le Dr Bernard Brais. (Photo : McGill) 

Publiée dans l’édition du 12 janvier 2023 du New England Journal of Medicine, l’étude rend compte d’une mutation propre au gène FGF14. C’est l’analyse de ce gène chez des patients atteints d’ataxie, non seulement au Québec, mais aussi à l’étranger, qui a permis d’y déceler l’anomalie, et d’établir l’une des causes génétiques les plus courantes de cette forme de la maladie, puisqu’elle est à l’origine de 61 % des cas répertoriés au Québec, et de 10 à 18 % de ceux étudiés au sein des groupes de patients allemands, australiens et indiens.

« On savait que la mutation dans le gène expliquait pas moins de 60 % des cas que nous étudions au Québec, et étions convaincus de son effet fondateur. Mais là, on pouvait démontrer que ça l’était aussi pour des groupes australien, français et allemand. »

– Dr Bernard Brais, neurologue et directeur du Groupe des maladies neurologiques rares

« Lorsqu’on a trouvé le gène, je travaillais sur ce projet de recherche depuis déjà 20 ans, ce qui rendait la découverte d’autant plus gratifiante. J’ai tout de suite pensé qu’il ne fallait pas faire l’erreur de soumettre notre découverte à une revue scientifique sans l’avoir validée, au préalable, auprès d’autres groupes que l’échantillon canadien-français », relate le Dr Brais en entrevue avec CScience.

Il sollicite alors la collaboration de collègues et fait jouer ses relations, « des gens avec lesquels j’entretenais un contact privilégié, parfois même des amis ou d’anciens étudiants », afin de trouver plus de cas et de diversifier l’échantillon de patients. « On savait que la mutation dans le gène expliquait pas moins de 60 % des cas que nous étudions au Québec, et étions convaincus de son effet fondateur. Mais là, on pouvait démontrer que ça l’était aussi pour des groupes australien, français et allemand », de décrire le neurologue et chercheur.

« Malgré les réticences et la résistance de départ, tout le monde finit généralement quand même par travailler ensemble. »

– Dr Bernard Brais, neurologue et directeur du Groupe des maladies neurologiques rares

Mais lorsque son équipe et lui soumettent les conclusions de leur étude au New England Journal of Medicine, ils voient leur article scientifique rejeté en seulement deux heures. Alors qu’il s’apprête à le soumettre à une autre revue, le Dr Brais reçoit alors un coup de téléphone de la direction éditoriale, lui annonçant que la décision serait réévaluée. « À l’issue de tout cela, on nous a expliqué que le problème résidait dans le fait que toutes nos cohortes de patients étaient de descendance européenne. Alors que nous pensions notre échantillon assez hétérogène, il a fallu, à travers nos contacts, intégrer une cohorte indienne, en répétant le processus mené avec la même rigueur que pour les autres populations, afin que notre étude soit reconsidérée. »

Après une période supplémentaire d’un an, l’équipe parvient finalement à démontrer que cette cause d’ataxie est très commune chez l’individu âgé de plus de 30 ans. « De là, on a fini par créer une collaboration internationale reliant 41 groupes, en plus de constater que les nouvelles cohortes de malades étaient les seules qui répondaient de manière concluante aux traitements existants », de conclure le Dr Brais pour illustrer que « Malgré les réticences et la résistance de départ, tout le monde finit généralement quand même par travailler ensemble ».

L’incitatif et l’intérêt lorsque les cas sont concentrés dans une région donnée

Est-ce à dire que de noter une présence accrue de cas, concentrés dans une région ciblée, réduit presque à néant les chances de recevoir du financement pour un projet de recherche portant sur la maladie en cause? Interrogée à ce propos par Cscience, la neuropédiatre Geneviève Bernard, sommité mondiale du domaine des leucodystrophies, soit les maladies génétiques affectant la « substance blanche » du cerveau, soutient que non.

« Si seulement cinq personnes dans le monde ont la maladie, il se peut que l’utilité du projet de recherche soit plus difficile à démontrer et que l’intérêt en soit réduit. »

– Geneviève Bernard, neuropédiatre et chercheuse

Genevieve Bernard. (Photo : Université McGill)

« Je ne crois pas que le fait d’avoir des mutations fondatrices empêche d’aller chercher des fonds. Je pense que l’enjeu, en général, est que parmi les fonds investis dans la recherche, ceux consacrés aux maladies rares sont sous-représentés. Tout projet de recherche fondamentale, dont la science se tient, et qui est bien monté, a de bonnes chances d’être financé. Mais l’un des critères déterminants dans le succès du projet porté réside dans les retombées qu’il peut avoir. Si seulement cinq personnes dans le monde ont la maladie, il se peut que l’utilité du projet de recherche soit plus difficile à démontrer et que l’intérêt en soit réduit », conçoit la chercheuse. Elle poursuit : « Mais les mécanismes qui sous-tendent la maladie peuvent s’avérer très intéressants pour comprendre d’autres maladies. Par exemple, en s’intéressant aux leucodystrophies en général, on en apprend aussi beaucoup sur les maladies hypomyélinisantes et les défauts de développement de la myéline, ce qui peut aider, par exemple, à mieux aborder d’autres maladies attaquant la myéline, telles que la sclérose en plaques », ajoute celle dont l’équipe a franchi un seuil important de la recherche sur les leucodystrophies, l’an dernier, en créant le premier modèle animal représentatif de la leucodystrophie 4H, soit l’une des formes communes de la maladie – une étape clé dans le développement de traitements, puisqu’elle permet d’enclencher la phase test des thérapies potentielles.

Célébrer la Journée internationale des maladies rares

Dans un contexte où toutes les initiatives visant à élargir le réseau et le champ de rayonnement des enjeux propres aux maladies orphelines sont bien accueillies, le RQMO sollicite l’attention du grand public, et sa participation aux activités du « mois de Zébrier » mettant les personnes atteintes de maladies orphelines à l’honneur.

« Un an après le dévoilement de la Stratégie nationale pour les maladies rares, la vie avec une maladie rare relève toujours du parcours du combattant pour les familles canadiennes. La connaissance des maladies orphelines et l’accès aux traitements demeurent limités et fragmentés d’un bout à l’autre du pays », souligne l’organisme.

Il lance un appel à la mobilisation de tous les Québécois afin qu’un maximum de personnes se joignent à son réseau de membres et partenaires, demain, le 29 février, pour célébrer la Journée internationale des maladies rares, grand rassemblement qui aura lieu en présentiel au CHUL de Québec. Pour l’occasion, un kiosque d’information sera tenu de 8h00 à 16h00 dans le hall du Centre mère-enfant soleil du CHUL.

Il est également possible de s’inscrire à une conférence d’information virtuelle, qui présentera le RQMO et ses projets de recherche de 12h15 à 13h00.

Un cocktail et des animations sont aussi prévus dans le hall du Centre de recherche, de 16h30 à 18h00.

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Crédit Image à la Une : Pixabay