On prend le pouls du secteur avec Alain Aubertin, le PDG du CRIAQ, le Consortium de recherche et d’innovation en aérospatiale au Québec. Entretien.
Durement touché par la crise, le secteur de l’aérospatiale est néanmoins mobilisé avec des équipes du domaine de la santé pour concevoir, produire et fournir des équipements médicaux pour contrer la pandémie. Pouvez-vous nous en dire un peu plus?
« En effet, dans notre écosystème, plusieurs grands groupes comme CAE, Pratt and Whitney, se sont mobilisés avec leurs ingénieurs, leurs équipes de design pour trouver des solutions afin d’aider le système de santé. Ils ont du temps de qualité, et se sont mis à construire des respirateurs. La firme montréalaise de simulateurs de vol, CAE, a mis au point un ventilateur en 11 jours seulement. Au CRIAQ nous soutenons l’effort initial de ces groupes-là et nous avons depuis relayé un appel pour permettre aux PME à Montréal et aussi en région, qui ont les capacités et l’expertise, d’emboîter le pas de ce mouvement de soutien. Des collaborations possibles pourraient accélérer et augmenter l’impact de nos efforts individuels. »
Comment stimuler l’innovation dans le secteur en période de crise?
« Je ne vous cache pas que la crise que nous vivons est sans précédent pour notre secteur. Nous développons plusieurs stratégies sur le court, le moyen et long terme. Puis il faut être proactif et ce qui ressort c’est qu’il va falloir repenser le déploiement de nos programmes de soutien avec les entreprises mais aussi avec le monde académique. »
Quelles sont les actions concrètes que vous allez entreprendre?
« Le CRIAQ voudrait lancer rapidement un appel à projet dans le domaine des systèmes autonomes. Avec nos partenaires institutionnels comme le Conseil National de Recherches Canada, Transport Canada et le Ministère de l’Economie et de l’Innovation nous travaillons sur des pistes de réflexion. L’idée serait de se pencher sur la conception de systèmes autonomes qui pourraient nous venir en aide à court terme dans cette crise. Et notamment, comment ils pourraient intervenir dans les régions les plus éloignées. Il s’agirait d’embarquer des équipements, des médicaments, des produits essentiels dans des drones qui pourraient aller livrer dans les secteurs difficiles d’accès ou confinés. Vous en avez la primeur, car l’appel à projets sera officiellement lancé en juin.»
D’autres appels à projets envisagés?
« A court terme, nous travaillons aussi à la mise en place de défis aux entreprises pour trouver des solutions d’urgence aux problématiques rencontrées par exemple par les compagnies aériennes dans les aéroports, comme la question du suivi de passagers, d’équipages, des travailleurs au sol en temps de crise sanitaire… Plus à long terme, les PME ont besoin d’appui significatif direct pour démontrer leurs technologies auprès de grands groupes. Qu’il s’agisse de nouveaux procédés, de solutions embarquées sur des équipements existants sur des appareils, je pense également à d’autres solutions numériques qui pourraient rapidement être développées et être implantées dans une usine dans le monde manufacturier par exemple.
Tout cela fait partie de sujets susceptibles d’être intégrés dans un appel à challenges sur lequel l’équipe du CRIAQ travaille également et qui devrait être mis en place d’ici 3 ou 4 semaines. Plusieurs centaines de milliers de dollars vont être investis dans cet appel. Ce sera fait en deux rounds et l’idée est de financer des projets à hauteur de 20 000 dollars pour les startups et de 50 000 pour les PME sur une échelle de quelques mois à un an et demi en durée de projet. »
À l’heure où nous nous parlons, comment envisagez-vous l’après-COVID-19 pour le secteur?
« Honnêtement, aucune crise ne ressemble à celle-là pour l’aérospatiale. Selon toutes les études publiées ces derniers-jours, c’est l’industrie qui devrait être la plus impactée. On nous parle d’une reprise dans un an et demi. Je ne peux pas vous dire. C’est du jamais vu. Car si on prend un peu de recul, il y a deux mois les prévisions de la demande au niveau des « voyages » dans le monde étaient telles qu’on pouvait anticiper dans l’aviation civile de l’ordre de 30 000 nouveaux appareils. C’était le plein emploi partout, et un bon business pour les PME. La situation pouvait permettre à l’aéro d’investir dans la R et D transformationnelle : les nouveaux carburants alternatifs, les taxis aériens, la propulsion hybride électrique, comment embarquer l’IA pour avoir un seul pilote dans l’avion?… Cela a conduit de grands groupes qui ne font pas partie de l’aérospatiale à investir dans notre secteur. La mobilité du futur pouvait compter sur un afflux incroyable d’investissements. Et là, avec la crise : c’est RESET! Ça va être extrêmement difficile de reprendre le même plan de match. Je pense qu’il va y avoir une reprise du manufacturier en premier. Mais l’aérospatiale est un écosystème résilient, donc il faut rester optimiste et proactif. Avec les leaders du Conseil d’administration, je pense mettre en place une table ronde de R et D pour l’aéro au cours des deux prochains mois. »
Photo : Alain Aubertin, PDG du CRIAQ (Crédit CRIAQ)