Le saviez-vous ? Chaque jour, toute une équipe de prévisionnistes essaie de prévoir votre consommation d’électricité pour la journée. La moindre variation de température ou le fait que Noël tombe un lundi plutôt qu’un dimanche peut engendrer des besoins bien différents. Depuis des décennies, l’intelligence humaine et « l’ancêtre » de l’intelligence artificielle tentent de comprendre quand, et comment, nous allons appuyer sur l’interrupteur. Une question si complexe qu’Hydro-Québec planche sur des réseaux de neurones artificiels pour résoudre ce gigantesque casse-tête.
« Le courant électrique est assez difficile à transporter, il est un peu capricieux et contrairement au pétrole, on ne peut pas le mettre dans un réservoir. Il va se perdre très rapidement. On est donc obligé de le produire et le consommer quasiment immédiatement » introduit Olivier Milon, chargé d’équipe, unité Prévision de contrôle du réseau chez Hydro-Québec TransÉnergie et équipement. Les barrages qui alimentent Montréal, par exemple, sont situés à plus de 1000 km de la ville. Il est donc important d’apporter la quantité et la qualité nécessaire d’électricité aux clients. C’est ce qui s’appelle la stabilité du réseau. Une mauvaise gestion et ça peut être la catastrophe.
Il se peut que la prévision de la demande soit trop faible par rapport à la demande réelle et il faudra éventuellement couper des ventes à l’étranger et dédommager les clients lésés. Au pire, c’est le risque de black-out au Québec qui est le scénario à éviter à tout prix, car des services essentiels, comme les hôpitaux, peuvent se retrouver bloqués. Soit la prévision de la demande au Québec est trop forte par rapport aux besoins réels et cela peut coûter également cher à Hydro-Québec. Car la société d’État revend ses surplus de production aux frontières. Or si elle a prévu une demande au Québec trop forte, ce surplus d’énergie
n’aura pas été vendu à l’étranger, et cela représente un manque à gagner.
Comment Hydro-Québec prévoit le besoin québécois en électricité ?
Il faut tout d’abord savoir que le système de transport de électricité, les fils reliés par les gros pylônes que l’on voit au bord des routes, est doublé d’un système de communication. Ce qui permet de connaître l’état du réseau à tout moment et donne l’alerte en cas de panne ou de perte de qualité du réseau. À chaque noeud du réseau, il y a des “automates”, qui sont comme les ancêtres de l’IA. Leur rôle est d’analyser, de relayer l’information à la maison mère et ils sont programmés pour réagir à des situations données. Ils sont également capables d’actions concrètes, comme d’actionner un interrupteur en cas de problème. Pendant ce temps-là, à Montréal, une équipe de répartiteurs, tels des « aiguilleurs » de l’électricité, analyse près de 34 000 km de fils. Grâce à ces informations, ils orientent la production des barrages en leur demandant de produire plus ou moins d’électricité.
« C’est comme un pilote de rallye qui est dans une voiture, avec des freins ABS par exemple, qui vont gérer les secousses en temps réel et adapter le comportement de la voiture à la route. Chose qui est difficile à gérer en tant qu’être humain. À côté de lui, il a un copilote qui lui dit, regarde dans 300 mètres, tu vas avoir un virage, il faut que tu anticipes ton attitude pour bien le prendre. Le pilote de rallye, ce sont les répartiteurs, les automatismes, c’est le système d’ABS et nous, les prévisionnistes nous sommes les copilotes » illustre Stéphane Dellacherie ingénieur, unité Prévision de contrôle du réseau, pilote du projet Castor pour HQT.
Le rôle des prévisionnistes est de donner une indication aux opérateurs sur l’avenir de la consommation des Québécois pour les quelques heures voire jours à venir. Pour cela, ils sont épaulés par les météorologues d’Hydro-Québec qui disposent de stations à travers la province. La météo est l’élément qui impacte le plus la consommation d’énergie. Le froid implique une augmentation du chauffage, un temps nuageux et ce sont tous les foyers qui allument la lumière, une vague de chaleur et tout le Québec allume les climatiseurs.
“Depuis les années 1980, nous nous sommes rendu compte que c’était très compliqué pour les êtres humains de calculer la prévision de la demande. On s’est rapidement aperçus que la température avait beaucoup d’influence. Grâce aux mesures des capteurs répartis sur tout le réseau, nous sommes capables d’observer le “Besoin Québécois”, c’est la somme des consommations de toute la Province. Nous avons son historique depuis “la nuit des temps”. Si on met en parallèle, cette consommation avec la température observée, on s’aperçoit qu’il y a une logique entre les deux. Le plus important dans une bonne prévision de la demande est une bonne prévision météo “ explique Olivier Milon.
De l’ancêtre de l’IA au réseau neuronal de demain
“On part d’une prévision météo, que l’on couple avec l’historique du “Besoin Québécois”, pour essayer de mieux comprendre la formule magique qui va nous dire, je te donne la température, tu me donnes le bon mégawatt. C’est pas nous, les humains, qui faisons ce calcul, c’est un calculateur “ continue le prévisionniste. Ce modèle paramétrique existe depuis les années 1980, il est encore utilisé aujourd’hui. C’est l’ancêtre du modèle d’IA chez Hydro. Mais ces calculateurs commencent à atteindre leurs limites.
Pour affiner cette prévision de la demande, Hydro-Québec Transénergie travaille avec le milieu de la recherche (des universités comme l’Udem, l’IREQ et le Mila) dans le développement de nouvelles IA plus précises, qui sont capables de gérer plus de données entrantes, de paramètres de calcul et surtout qui apprennent constamment pour mieux affiner ses résultats. Ce sont surtout des systèmes de neurones artificiels qui sont capables d’analyser toutes les données sur le terrain, les informations communiquées par les « automates » des pylônes, de les coupler avec l’historique du “Besoin Québécois”, les prévisions des stations météo, en ajoutant d’autres facteurs liés au comportement social, qui est l’un des facteurs les plus compliqués à prévoir. Il faut savoir que par exemple, si Noël tombe un lundi, la consommation sera très différente de quand il tombe un dimanche.
C’est tout l’enjeu du projet “Castor” : « Castor a en effet en son cœur la notion de travail collaboratif entre unité opérationnelle (nous) et le milieu de la recherche. Nous permettant ainsi d’être en lien direct avec les innovations issues du milieu académique et des GAFA. Nous utilisons “TensorFlow”, une librairie IA développée par Google. On s’est par exemple basés sur une IA développée pour la finance, ce qui est a priori, très éloigné de notre domaine. Cette approche nous a ainsi permis d’accélérer la livraison du prototype IA top-down en zone d’exploitation. Nous pensons que cette approche est la bonne façon d’agir pour conserver autant que faire se peut la pleine maîtrise au sein d’HQ des innovations IA qui arrivent tel un tsunami ! Et c’est stimulant ! » s’enthousiasme Stéphane Dellacherie, pilote du projet chez Hydro-Québec.
Le prototype d’IA « top-down » est le premier aboutissement d’une IA qui permet de prévoir la demande du macro au micro, c’est-à-dire des éléments externes au consommateur. Il a été testé en condition réelle entre le 10 et 18 juin dernier.
Les résultats ont été très concluants : cette IA a en effet permis de prévoir la demande avec un excellent niveau de précision en conditions opérationnelles réelles 24h/24, 7j/7. L’outil sera maintenant amélioré au fur et à mesure des avancées des chercheurs en IA de Montréal. Le prochain défi ? Une IA « bottom-up », qui permettra d’ajuster la prévision de la demande au Québec en temps réel mais cette fois en partant du consommateur afin d’ajuster la production. L’enjeu est cette fois-ci d’optimiser la production dans le contexte de la transition énergétique et de la décentralisation des moyens de production avec l’arrivée du solaire et de l’éolien.