Après deux années de pandémie et la profusion de postes vacants dans plusieurs secteurs de l’économie, les phénomènes de l’automatisation et de l’intégration des technologies de l’intelligence artificielle (IA) dans le travail ne feront que s’accélérer en 2022, selon certains experts. Voici ce qu’ils en pensent.
« [L’usage de moyens automatisés et de l’IA] risquent de devenir des tendances de plus en plus prégnantes au Québec. Les travailleurs devront être à l’affût de ce que cela pourrait entraîner. De plus, il faudra surveiller les employeurs qui pourraient demander une plus grande productivité de la part de leurs employés et l’intégration de systèmes de surveillance au travail », insiste Myriam Lavoie-Moore, chercheuse à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS).
La chercheuse postdoctorale à l’Australian National University voit en l’IA et l’automatisation des outils qui viendront non seulement accompagner les employés, mais aussi réorganiser le travail dans les prochaines années.
Pour expliquer comment l’IA pourrait transformer le monde du travail, cette dernière prend en exemple le service d’Amazon Mechanical Turk (AMT), une plateforme créée par le géant du détaillant numérique qui permet de « segmenter le travail » jusqu’à l’attribution de microtâches.
Que ce soit pour de la traduction ou de l’identification d’images, des milliers de pigistes dans le monde se connectent chaque jour à ce site internet pour être rémunérés en contrepartie de petits boulots qui peuvent prendre parfois quelques secondes et jusqu’à quelques heures.
Résultat : la main-d’œuvre québécoise qui opère sur cette plateforme se met en compétition avec celle qui se trouve autour du globe, dans des pays où ces tâches sont mal rémunérées. Certaines enquêtes estiment le salaire horaire moyen à deux dollars sur AMT.
TÉLÉTRAVAIL ET SURVEILLANCE
La crise de la COVID-19 a aussi ouvert la voie au télétravail, rendu possible grâce aux outils du numérique. Or ceux-ci viennent avec leur lot de désagréments pour les travailleurs, selon Mme Lavoie-Moore.
« On voit une tendance de la part des employeurs à vouloir augmenter la performance en entreprise. Parfois, ça se traduit dans l’utilisation de logiciels de surveillance numérique, ce qui a pour conséquence une augmentation du stress chez les employés », souligne la chercheuse.
On peut penser à l’outil de surveillance Time Doctor, qui s’intègre à l’application de communication Teams de Microsoft et qui est en mesure de prendre des captures d’écran et de faire un suivi de l’utilisation d’Internet par les travailleurs.
Aussi, certains de ces outils font appel à l’IA pour évaluer la performance des employés et même distribuer des tâches automatiquement selon leur rendement.
Il s’agit d’une tendance qui peut donner lieu à une forme de discrimination selon la chercheuse. Dans certains cas, des parents se voyant prendre la charge de leurs enfants durant la pandémie doivent évoluer dans un milieu de travail à distance plus bruyant.
Certaines des applications de surveillance pourraient prendre en compte le bruit présent dans l’environnement et y détecter un facteur nuisible à la performance. Les tâches les plus lucratives et valorisantes seraient donc distribuées aux employés qui peuvent jouir d’un milieu de travail optimal.
« Il y a une forme de compétition qui peut s’installer entre les employés dans ce genre de contexte », indique-t-elle.
COURSE À LA PRODUCTIVITÉ
Selon Pedro Antunes, économiste en chef à la Conference Board du Canada, s’il est vrai que l’automatisation et l’IA seront de plus en plus présentes dans un nombre toujours croissant de secteurs de l’économie, la productivité accrue qui en découlera devrait se faire au bénéfice de tous.
« La productivité générale de l’économie s’améliorera [grâce à l’arrivée de ces technologies] durant les cinq prochaines années. Cela signifiera plus de revenus pour le même nombre d’heures travaillées », croit-il.
Si la pénurie de la main-d’œuvre a, sans doute, poussé de nombreuses entreprises à adopter l’IA et l’automatisation dans leurs opérations, cela s’est toutefois fait à la traîne de nos voisins du Sud qui nous surpassent dans ce domaine.
« L’administration Trump était très protectionniste et octroyait aussi beaucoup de subventions aux entreprises. Cela devrait changer avec l’administration du président Biden. Il faut s’attendre à l’introduction de taxes effectives sur les entreprises là-bas, ce qui devrait nous [Canada] redonner un meilleur poids dans la balance et favoriser les investissements sur le capital », anticipe l’économiste.
Quoi qu’il en soit, au lendemain de la première année de la pandémie, le gouvernement du Canada a créé des initiatives pour relancer l’économie.
Or, la course à la productivité encourage souvent l’intégration de l’automatisation.
Par exemple, le programme du Fonds pour l’emploi et la croissance aide les entreprises qui souhaitent faire la transition vers une économie verte et celles qui veulent adopter les technologies numériques visant à améliorer la productivité et les processus de fabrication. Ce programme propose une enveloppe de subventions s’élevant à 700 millions de dollars, dont 70 millions de dollars sont destinés aux entreprises créées après janvier 2020.
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