La pénurie de travailleurs qualifiés dans le domaine des technologies affecte les entreprises issues de tous les secteurs économiques du Québec. Pour dresser le portrait des défis et besoins de recrutement propres aux diverses industries pour lesquelles les régions se démarquent, CScience s’est entretenu avec Simon Bousquet, vice-président de Mitacs, un organisme sans but lucratif qui, en partenariat avec les universités, le secteur privé et les gouvernements du Canada et du Québec, aide à relever ces défis organisationnels au travers de stages rémunérés.
Mitacs : 6000 stages pour propulser l’innovation de manière inclusive et démocratisée
Bien que l’adoption et la maîtrise des nouvelles technologies soit une priorité pour beaucoup d’entreprises, le manque d’expertise interne et la pénurie de travailleurs qualifiés demeurent un frein non négligeable pour les employeurs qui souhaitent propulser l’innovation au sein de leur organisation, incluant ceux des régions, et ce, malgré leur potentiel de croissance économique.
250 000, c’est le nombre d’emplois technologiques supplémentaires que les employeurs canadiens auront à pourvoir d’ici 2025
– Conseil des technologies de l’information et des communications
Un rapport du Conseil des technologies de l’information et des communications de 2022 prévoit que d’ici deux ans, les employeurs canadiens auront à pourvoir 250 000 emplois technologiques supplémentaires. Les résultats d’un sondage mené par les Manufacturiers et Exportateurs du Canada (MEQ) révèlent par ailleurs que le tiers des entreprises accusant un retard en matière de transformation numérique l’attribuent en partie à la pénurie de travailleurs qualifiés.
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Des secteurs et domaines d’intérêt pour recruter en région
Le quantique en Estrie
Selon Simon Bousquet, chaque région a développé son ou ses expertise(s), pour lesquelles la demande de talents n’est pas en reste. « En Estrie, on pense à l’Université de Sherbrooke, où s’est bâti un pôle d’innovation en sciences quantiques, et dont les retombées s’étendent jusqu’à d’autres universités avec lesquelles elle collabore. » CScience était d’ailleurs à Bromont pour l’inauguration du superordinateur quantique d’IBM, une acquisition qui promet des retombées majeures pour plusieurs industries du Québec, et un intérêt grandissant pour les sciences quantiques et le recrutement de talents dans ce domaine.
« L’écosystème du quantique reste très intéressant et concentré dans la région, attirant plusieurs entreprises et start-up qui choisissent de s’y établir pour bénéficier du programme de formation qui y est proposé, et du bassin de talents qui s’y trouve », un avantage non négligeable en contexte de pénurie de main-d’œuvre qualifiée, tel que le rappelle M. Bousquet. On aurait ainsi intérêt à se rapprocher des talents plutôt qu’à miser sur leur déplacement vers les métropoles.
Le VP de Mitacs pense également que l’innovation régionale en quantique attirera divers profils de candidats issus de la relève. « Avant, pour travailler en quantique, il fallait être physicien. Aujourd’hui, bien que le secteur reste de niche, on y implique aussi les mathématiciens et les ingénieurs, ce qui ouvre le champs de possibilités de carrière dans le domaine. »
L’industrie maritime, la foresterie et l’énergie renouvelable
La Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine est réputée pour les industries de pêche et de récréotourisme. On pense aussi aux énergies renouvelables, qui s’y imposent plus récemment comme champ d’intérêt. « Dans le Bas-Saint-Laurent, on parlera d’économie bleue, soit de technologies bénéficiant au secteur maritime, en collaboration avec la Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine. »
Rappelons d’ailleurs qu’une nouvelle zone d’innovation relevant de ce domaine verra le jour à Rimouski et en Gaspésie. Le projet, qui fera du secteur de Grande-Rivière et de Sainte-Thérèse-de-Gaspé « La Zone bleue », soit la quatrième zone d’innovation lancée par le gouvernement du Québec, s’articulera autour des différents aspects de l’exploitation des ressources marines, allant de la capture à la transformation des biotechnologies, en passant par la valorisation des produits, au bénéfice de la pêche durable.
« L’Outaouais se démarque dans le domaine forestier, ainsi que pour ses centres de recherche spécialisée en cybersécurité, un secteur qu’on n’aurait pourtant pas forcément le réflexe d’associer à cette région. En Abitibi-Témiscamingue, les créneaux ciblés par les entreprises sont les secteurs forestier et minier. En Mauricie, on se concentre sur la robotique et l’automatisation, et plusieurs compagnies de la région innovent en technologies propres. »
Le secteur informatique et l’intelligence artificielle
« À Québec, on pense à tout ce qui se rapporte à la transformation numérique, à l’intelligence artificielle, aux finances et à la gouvernance. On peut aussi mentionner les technologies de l’information et de la communication (TIC), mais peu de régions administratives développent un bassin de talents de niche en TIC. »
60 % des talents en technologies de l’information et de la communication (TIC) sont concentrés dans la région métropolitaine de Montréal
– Techno Compétences, 2020
Un rapport de Techno Compétences révèle qu’en 2020, on comptait 262 800 professionnels en TIC, dont la majorité (60%) étaient concentrés dans le Grand Montréal, illustrant le besoin de recrutement en région.
Mais en fait-on assez pour propulser et valoriser l’innovation de manière équitable au Québec, notamment dans des secteurs comme l’IA, que l’on a tendance à associer directement à Mila (l’Institut québécois d’intelligence artificielle) et à l’écosystème plus particulièrement montréalais ?
Selon M. Bousquet, bien que l’accès à l’IA se soit démocratisé au fil des années, une importante concentration du milieu demeure à Montréal, ne serait-ce qu’en raison de la densité de la population. « Il y a certes le volet de la recherche, qui s’intéresse à développer les technologies de l’IA, mais il y a aussi le volet qui s’attarde aux applications qu’on peut en faire, car l’IA est un outil », de remarquer le VP de Mitacs. « Une entreprise en région très éloignée peut vouloir s’en servir, mais le frein qu’elle peut rencontrer est de ne pas savoir par où commencer pour s’approprier l’outil. Lorsqu’on a la machine, mais pas son mode d’emploi, on n’est pas très avancé ! C’est sans doute ce qui justifie le retard des entreprises en région, en termes d’innovation dans le secteur. Heureusement, il existe maintenant des programmes de formation, même de niveau collégial, pour contribuer à la démocratisation et au développement de la littératie en IA. » Pensons à la spécialisation technique en intelligence artificielle, élaborée conjointement par le Cégep de Sainte-Foy à Québec, et le Collège de Bois-de-Boulogne à Montréal, visant à répondre à la forte demande du marché du travail dans le secteur.
Les défis d’attraction et de rétention de talents pour les régions
Concurrencer les grands centres
Le besoin de recrutement, exacerbé par la pénurie de main-d’œuvre qualifiée qui sévit, affecte surtout les secteurs de l’IA et des sciences informatiques, incluant le génie. « Toutes les entreprises ont des besoins dans ces créneaux. Sur le plan régional, le besoin se fait sentir dans les secteurs clés, mais d’une région à l’autre, on constate généralement que les défis sont les mêmes quant à la rétention et à l’attraction : on peine à retenir le talent local, qui préfère souvent tenter sa chance à Montréal ou dans un plus grand centre, mais on a aussi du mal à attirer les immigrants, notamment parce qu’ils ont plus de chances de tisser des liens avec leur diaspora en s’établissant à Montréal. »
L’autre enjeu, selon M. Bousquet, c’est le manque de logements. « D’ailleurs, les universités ont parfois du mal à loger leurs étudiants internationaux, surtout dans d’autres provinces du Canada. Puis, lorsqu’on parle de PME, on a du mal à offrir des salaires aussi concurrentiels que dans les grands centres ou qu’aux États-Unis, où de grandes entreprises attirent nos talents. »
Le crédit d’impôt en multimédia
L’un des problèmes souvent évoqués par les entreprises technologiques du Québec réside dans le fait que l’on subventionne les compagnies étrangères en technologie pour qu’elles s’installent dans la province et créent de l’emploi. Pensons au crédit d’impôt en multimédia, qui permet de rembourser jusqu’à 37.5 % du salaire des employés, entraînant une surenchère des salaires, qui nuirait aux entreprises québécoises en compétition, ces incitatifs attirant surtout les entreprises à Montréal.
Questionné par CScience quant à cet enjeu, le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie du Québec, Pierre Fitzgibbon, a plutôt évoqué un effet reproducteur bénéfique pour le secteur : « Beaucoup de gens affectés par la pénurie de main-d’œuvre se demandent pourquoi nous encourageons les sociétés étrangères à profiter de crédits d’impôt pour l’embauche. Mais dans le cas de Ubisoft, c’est un grand succès, parce qu’on a créé beaucoup de forces vives. On a vu beaucoup de gens quitter Ubisoft pour démarrer leur entreprise, sinon pour aller travailler chez CAE, leader dans le domaine des technologies de simulation en santé. Ces crédits d’impôt, instaurés il y a plusieurs années, ont bien servi le Québec », a défendu le ministre.
Les solutions
Miser sur les incitatifs déjà présents en région
Sur quels incitatifs les entreprises en région devraient-elles miser pour attirer et retenir la relève ? Selon M. Bousquet, il faut rappeler que les conditions de travail, la qualité et le coût de la vie y sont souvent meilleurs, offrant de nombreux avantages. « Le marché immobilier en est un bon exemple, puisque le pouvoir d’achat d’une maison y est plus intéressant. Plusieurs employeurs y offrent aussi le télétravail, ce qui a d’ailleurs attiré des talents pendant la pandémie. »
Créer de nouveaux incitatifs
Le VP de Mitacs estime aussi que les entreprises auraient avantage à embrasser les transformations numériques. « L’employeur doit dérouler le tapis rouge pour garder son monde, reconnaître l’équilibre et la conciliation entre le travail et la famille, offrir des avantages sociaux, de bonnes conditions de travail mais aussi faire en sorte d’engendrer un sentiment d’accomplissement et d’engagement pour ses employés, afin que ces derniers se sentent contribuer à la croissance et à l’innovation globales de leur entreprise. »
Valoriser l’apport universitaire et collégial
À cela, il ajoute l’importance de ne pas sous-estimer le rôle du milieu postsecondaire. « La collaboration avec le milieu postsecondaire, le fait d’engager des étudiants, permet d’amoindrir le risque. Au travers de stages, par exemple, on crée la rencontre entre une entreprise qui n’est pas nécessairement déjà au cœur de l’innovation, mais qui a, disons, un besoin très pointu, et un étudiant qui peut y répondre. C’est là qu’on démontre la plus-value d’un étudiant doté d’une maîtrise ou d’un doctorat, et de l’innovation qu’il apporte pour aider l’entreprise à changer sa culture. On parle ainsi de collaborations qui n’éreintent pas le personnel interne, et qui permettent aux entreprises de s’élever, d’innover, de diversifier leurs revenus et d’optimiser leurs processus internes. »
Favoriser l’échange international
Les universités représentent aussi un important canal d’attraction de talents internationaux. Pour M. Bousquet, l’apport des étudiants étrangers qui intègrent le marché du travail au Canada n’est pas non plus négligeable. « Ils sont, par défaut, très qualifiés, et contribuent très vite à la croissance économique du pays. »
Selon les données du gouvernement, près de 500 000 immigrants travaillant au Canada ont une formation dans les domaines des sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques (STIM). Ils représentent 39 % des programmeurs informatiques et 41 % des ingénieurs. Le recensement de 2016 de Statistique Canada révèle également qu’une grande proportion d’étudiants internationaux inscrits dans des programmes liés aux STIM finissent par rester et faire carrière au Canada.
« Ils sont, par défaut, très qualifiés, et contribuent très vite à la croissance économique du pays », complète le VP de Mitacs qui, depuis 2009, a jumelé plus de 1 000 finissants du premier cycle avec des professeurs d’universités canadiennes au travers de son programme de stages Mitacs Globalink, profitant à la mobilité internationale d’étudiants du premier cycle et des cycles supérieurs entre le Canada et près d’une vingtaine de pays.
Selon M. Bousquet, la force vive de la francophonie internationale permet plusieurs partenariats avec des universités du Québec en région. « Pensons à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), qui en a en Europe et en Afrique francophone, ou encore à l’Université de Sherbrooke avec la France. » Quant à l’Université Laval à Québec, elle compte 14 % d’étudiants de profil international, ce qui équivaut à un millier d’étudiants issus de la francophonie étrangère, selon les données rapportées par son recteur, Yann Cimon.
Crédit Image à la Une : Engineered Arts/Unsplash
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