Il y a quelques semaines, l’annonce du licenciement de la quasi-totalité des employés de Stradigi AI, et du risque de voir son savoir-faire et ses acquis être délocalisés du Québec, a suscité la réflexion du milieu des affaires et de l’innovation quant à la manière d’investir l’argent des Québécois dans les entreprises en technologie.
Stradigi AI est une entreprise nord-américaine basée à Montréal, connue notamment pour sa plateforme d’apprentissage automatique de type logiciel-service infonuagique Kepler. En 2019, l’entreprise avait bouclé une ronde de financement de 53 millions $, à laquelle Investissement Québec (IQ) et le Fonds de solidarité FTQ avaient contribué à hauteur de 13,2 millions $ chacun.
« Nous sommes déçus de la tournure des événements récents au sein de Stradigi AI pour les employés concernés. »
– Patrick McQuilken, conseiller principal aux relations de presse du Fonds de solidarité FTQ
Or, depuis, IQ, le Fonds FTQ et d’autres actionnaires ayant refusé de réinvestir des fonds dans l’entreprise, Stradigi AI s’est tournée vers des prêteurs étrangers, offrant pour garantie ses actifs, et, principalement, sa propriété intellectuelle, financée en grande partie par les fonds publics. Aujourd’hui, le savoir-faire de la PME risque de quitter le Québec.
« Nous sommes déçus de la tournure des événements récents au sein de Stradigi AI pour les employés concernés, a communiqué à CScience IA le conseiller principal aux relations de presse du Fonds FTQ, Patrick McQuilken. Nous demeurons toutefois confiants dans l’avenir du secteur montréalais de l’intelligence artificielle grâce à la qualité et l’expertise des chercheurs et des travailleurs dans le domaine. » Malgré plusieurs sollicitations, Stradigi AI n’a quant à elle pas répondu aux demandes de CScience IA, se faisant d’ailleurs discrète auprès du reste de la presse et du public depuis les derniers développements.
Un risque modéré
Sur la toile, enflammée par des questions sans réponse, certains, comme Michael Albo, PDG et cofondateur du Data Science Institute, se sont demandés comment l’entreprise spécialisée dans les logiciels d’intelligence artificielle (IA) avait pu lever 53 millions $ de financement en 2019, principalement auprès d’investisseurs, « si tôt dans le processus sans étapes de validation ».
Est-il recommandé d’investir autant d’argent en phase initiale de développement, avant qu’un produit n’ait trouvé son marché? « Le Québec paie ce type de mauvaises décisions deux fois car, grâce aux fonds levés, les entreprises comme Element AI et Stradigi AI se lancent dans une stratégie d’assèchement du bassin local de talents et créent des pénuries qui imposent aux entreprises québécoises de se lancer dans des surenchères salariales. Pour accéder aux bénéfices de l’IA, les entreprises québécoises doivent payer plus cher des talents dont les salaires sont gonflés à l’hélium par l’argent de leurs impôts », déclare M. Albo.
D’un secteur à l’autre
Quand est-ce qu’une part de risque devient démesurée, ou dépasse le cadre des bonnes pratiques dans l’industrie du capital de risque?
CScience IA a posé à la question à Ruby Zhao, responsable du développement commercial entre le marché canadien et celui de l’Asie chez WORLDiscoveries.
« Si l’on prend l’exemple du marché de la biotech et de l’IA dans le domaine des sciences de la vie, le fait de recevoir beaucoup de fonds à un stade préliminaire est plutôt typique pour les PME. Dans le cas d’une entreprise comme Stradigi AI, plusieurs facteurs peuvent avoir mené au dénouement annoncé. Mais dans le cas d’une entreprise qui serait plutôt spécialisée dans le domaine des sciences de la vie, il faut se dire que le marché de l’IA et la biotech en est un instable, au sein duquel les investisseurs sont plus sélectifs et prudents, optant d’investir dans les compagnies du secteur des médicaments ou des technologies qui sont les plus prometteuses sur le plan de la commercialisation. Alors si une compagnie ne leur semble pas assez résistante, les investisseurs peuvent être amenés à changer leur fusil d’épaule et à se retirer, tel qu’observé avec Stradigi AI. »
Lorsqu’on parle de délocaliser le savoir-faire et les acquis ailleurs, « il faut aussi se rappeler qu’en termes d’indice de protection (IP), de propriété intellectuelle et de stratégie en IA, le Canada peut encore s’améliorer », pense Mme Zhao. « Nous pouvons en faire davantage en matière de réglementations à mettre en place, afin d’assurer la protection adéquate des inventions canadiennes en vue de leur commercialisation actuelle et future. »
Des règles de base
L’Autorité des marchés financiers rappelle qu’avant d’investir dans une petite et moyenne entreprise, il faut prendre le temps de comprendre les caractéristiques, le risque et le retour du rendement potentiel du placement. « En général, on définit une PME en fonction du chiffre d’affaires annuel et du nombre d’employés. Les entreprises avec moins de 500 employés et avec un chiffre d’affaires annuel inférieur à 50 millions de dollars sont considérées comme des PME. Si les titres d’une PME sont inscrits en Bourse, elle est généralement considérée comme une société à petite capitalisation boursière. Les plus grandes et les plus prospères entreprises ou sociétés inscrites en Bourse ont le plus souvent d’abord été des PME. Le potentiel de croissance d’une entreprise émergente peut être supérieur à celui d’une grande entreprise réputée. »
Il faudrait donc se poser ces questions avant d’investir dans une société à petite capitalisation : A-t-elle démontré son potentiel? Avez-vous trouvé des informations crédibles? A-t-elle des revenus? Fait-elle des profits? Depuis combien de temps est-elle en activité? Quel est le profil de ses gestionnaires? Qui sont les personnes qui participent au conseil d’administration et quelle est leur expérience? Offre-t-elle des produits et des services qui seront en demande pour les prochaines années? Son secteur d’activité est-il très compétitif? Etc.
Même dans son mutisme, Stradigi AI n’a pas fini de faire parler d’elle. CScience IA suivra de près ce dossier afin de vous en tenir informé(e) et de vous en offrir des analyses étoffées.
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