[ÉDITORIAL] Mettre l’IA au service de l’exportation culturelle québécoise

[ÉDITORIAL] Mettre l’IA au service de l’exportation culturelle québécoise

Face aux géants du numérique, les GAFAM, les acteurs du monde de la culture québécoise doivent redoubler d’efforts pour imposer les contenus de nos créateurs sur les plateformes de diffusion internationale. L’une de leurs armes pour réussir : la valorisation des données des utilisateurs. Mais sommes-nous vraiment bien armés pour conquérir le monde ? 

De retour du MIPCOM, le marché international de la création audiovisuelle et digitale à Cannes, en France, je constate qu’au gré des multiples conversations que j’ai pu avoir avec des créateurs de contenus québécois francophones un vague sentiment d’impuissance occupe actuellement les esprits. Et ce, malgré une profonde envie de conquérir les marchés internationaux.

La présence relativement importante de la délégation québécoise, cette année, à Cannes emmenée par la Sodec, démontre, si besoin en était, la vigueur et la diversité de notre tissu créatif. La volonté d’exporter les contenus québécois est réelle, mais le poids des géants de l’audiovisuel et du numérique semble corseter nos saines ambitions.

DES CONTENUS FRANCOPHONES NOYÉS DANS LA MASSE 

La principale cause de ce frein : les algorithmes des GAFAM ont désormais force de loi. Et tous les créateurs, notamment francophones, savent qu’une partie des règles du jeu leur échappe des mains, tout comme elle échappe aux utilisateurs de contenus eux-mêmes.

Le jeu est dicté par la manière dont sont programmés les algorithmes des plateformes de diffusion numérique. Et à ce jeu-là, les locuteurs francophones, qui comptent pourtant un bassin de 300 millions d’individus dans le monde, sont d’ores et déjà perdants.

« Aujourd’hui, la bataille ne se gagnera qu’à raison d’un développement plus poussé de nos propres outils de valorisation des requêtes sur les plateformes» – Philippe Régnoux, Directeur de publication CScience IA

Selon l’État des lieux de la “découvrabilité” et de l’accès aux contenus culturels francophones sur Internet, publié récemment par les chercheurs Christian Agboli et Destiny Tchéouali pour l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), seulement 6,8% des contenus numériques en ligne de la planète sont francophones. Ils occupent la 4e place derrière l’anglais, le chinois et l’espagnol.

Mais, plus inquiétant, toujours selon ce rapport des deux chercheurs, les algorithmes des GAFAM ne recommanderaient les contenus francophones qu’à hauteur de 13% des requêtes.

Autant dire que la chance qu’un contenu québécois francophone émerge parmi la masse énorme des contenus poussés par les puissants de la diffusion numérique tient quasiment du miracle.

DES CONTENUS FRANCOPHONES POUSSÉS DANS LES REQUÊTES

La diversité culturelle appelée de ses vœux depuis plus de vingt ans par nos gouvernements semble sous respirateur artificielle depuis que les GAFAM se sont imposés. Pendant longtemps, on a pensé qu’il suffisait d’imposer des quotas de contenus aux plateformes pour protéger nos contenus. Aujourd’hui, la bataille ne se gagnera qu’à raison d’un développement plus poussé de nos propres outils de valorisation des requêtes sur les plateformes.

« On est en retard », m’a avoué Elaine Dumont, directrice générale des affaires internationales à la Sodec, avec qui je me suis entretenu à Cannes. Un retard qu’elle attribue principalement à un manque de moyens. Pas à un manque de volonté. Les ressources manquent pour mettre en application un système de valorisation de la donnée culturelle digne de ce nom au Québec.

« La chance qu’un contenu québécois francophone émerge parmi la masse énorme des contenus poussés par les puissants de la diffusion numérique tient quasiment du miracle. » – Philippe Régnoux, Directeur de publication CScience IA

Certes, des initiatives ont déjà été testées en se sens pour tenter de collecter des données sur les habitudes des consommateurs culturels. Le regroupement des salles de cinéma du Québec par exemple l’a tenté, mais à une trop petite échelle pour être suffisamment significative.

On part de loin. Comment parler de “découvrabilité” à l’exportation quand on en est encore à accompagner certains producteurs à tenir leur site web à jour…

CONNECTER LA RECHERCHE EN IA ET LE MILIEU CULTUREL

Un autre problème s’impose : qui peut et doit faire le job pour collecter la donnée culturelle qui permettra de mieux connaître les habitudes des consommateurs afin de leur offrir du contenu francophone québécois en priorité ? Le producteur, le distributeur ou le diffuseur ?

La directrice de l’exportation à la Sodec me confie, alors que le soleil brille dans la baie de Cannes, qu’elle est en recherche d’accompagnement en transformation numérique et qu’un projet est à l’étude avec le ministère de l’Économie et de l’Innovation (MEI), dans le cadre de la Stratégie québécoise de recherche et d’innovation 2022, la SQRI.

Présentation d’artistes canadiens au MIPCOM de Cannes 2021. Crédits photo : P. Renn / GALA MEDIA

Mais la francophonie numérique, même si elle réunit régulièrement les acteurs autour de ces enjeux depuis des années, a accouché d’une souris. Pendant ce temps, les éléphants GAFAM continuent à dicter leur loi et leurs choix.

Alors que le Québec, Montréal en particulier, compte parmi les chercheurs en IA les plus talentueux au monde, que nos gouvernements investissent chaque année des millions pour augmenter la “découvrabilité” de nos contenus, il serait bienvenu que les centres de recherche et les organisations culturelles se parlent pour mettre en œuvre une stratégie d’exportation basée sur la collecte, l’analyse et la valorisation de nos données culturelles.

À défaut, nous continuerons certes à créer, mais tout en déplorant la faible visibilité de nos créations à l’échelle internationale. Malheureusement, les algorithmes et les plateformes numériques sont sourds à ce genre de discours victimaire.

Philippe Régnoux
Directeur de publication, CScience IA
p.regnoux@galamedia.ca

Crédits photo : P. Renn / GALA MEDIA