La professeure Isabelle Lacroix, vice-doyenne au développement et à l’international à l’Université de Sherbrooke, s’est jointe au Club des experts de CScience en tant que chroniqueuse. Pour sa première chronique, elle propose une réflexion autour de cette question : « Pourquoi anticiper les impacts sociétaux d’une nouvelle technologie avant son intégration en société ? »
Des enjeux prévisibles
Au moment où la télévision entre dans les foyers, imagine-t-on que cet objet deviendra le gardien des jeunes enfants les samedis et dimanches matins ? Si l’on se fie aux commentateurs médiatiques, personne n’avait non plus prévu l’augmentation de la polarisation sociale lors de l’arrivée de Facebook et des divers médias sociaux. Il en va de même ces jours-ci alors que nombre de spécialistes soulèvent des questions quant aux impacts sociétaux de l’intelligence artificielle en éducation, en droit, voire carrément en démocratie.
Pourtant, les auteurs de science-fiction nous ont offert depuis des décennies des projections catastrophes des avancées technologiques de l’IA. Pourquoi ne pas les avoir écoutés ? Pourquoi ne pas avoir anticipé ces impacts et avoir mis en œuvre les régulations nécessaires plus tôt ?
Le défi collectif
Plusieurs chercheurs des sciences humaines et sociales réclament depuis longtemps ce type de précautions précédant la commercialisation de nouvelles technologies. Il est même proposé depuis un certain temps, à l’image de ce qui fut fait dans le cadre de la démarche entourant la Déclaration de Montréal pour une IA responsable, que pareille réflexion se fasse au moyen d’une large conversation incluant tous les acteurs concernés : chercheurs, entrepreneurs, politiques, groupes de la société civile et citoyens. Si nous avons déjà le monde d’emploi, pourquoi est-il si difficile à suivre concrètement ?
« Plusieurs chercheurs des sciences humaines et sociales réclament depuis longtemps ce type de précautions précédant la commercialisation de nouvelles technologies. »
La réponse est simple : c’est complexe ! Anticiper les retombées positives et les effets néfastes d’une technologie encore inexistante pose de nombreux défis : qui peut véritablement prescrire ce qui adviendra ? À qui peut-on se fier pour nous dresser un portrait juste et transparent ? Quel doit être le rôle, dans ce cas, des entrepreneurs ? Des politiques ? Des futurs utilisateurs ?
Apprendre la leçon
Autour de moi, les scientifiques et les entrepreneurs impliqués au sein de la Zone d’innovation de Sherbrooke me disent que la prochaine révolution technologique sera quantique. Qu’il s’agira de technologies de rupture qui rendront obsolètes plusieurs de nos outils actuels de développement. Pensons seulement à l’ordinateur quantique : est-ce que tous nos ordinateurs actuels seront simplement mis à la poubelle ? Qu’adviendra-t-il de notre cybersécurité ?
« (…) le premier ingrédient incontournable est celui de la participation. Pareille anticipation ne peut pas se faire derrière des portes closes entre quelques experts. »
Si, pour éviter de grands dérapages à rattraper, nous entamions dès maintenant une conversation à grande échelle en vue d’une intégration socialement responsable des technologies quantiques, qu’est-ce que cela voudrait dire ? Quels seraient les ingrédients nécessaires pour une recette réussie ?
Selon moi, le premier ingrédient incontournable est celui de la participation. Pareille anticipation ne peut pas se faire derrière des portes closes entre quelques experts. Les conséquences toucheront tous les membres de notre société, tous doivent donc s’informer et alimenter cette réflexion. Ensuite, le second ingrédient est celui de la vulgarisation. Pour que tous puissent participer, il faut mettre en place des outils de communication qui puissent permettre une contribution éclairée largement partagée. Plus important encore, le dernier ingrédient est celui de la confiance. C’est aussi l’ingrédient le plus délicat : il s’alimente de la vulgarisation et permet une véritable participation. Or, les pratiques en cette matière sont encore à être développées, même si quelques expériences peuvent nous inspirer.
Sommes-nous capables, comme société, de mener à bien cette conversation ? J’en suis convaincue.
Crédit Image à la Une : Ali Pazani